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Le cormier, un arbre au passé glorieux, entre autres meunier, à replanter !

Le cormier (Sorbus domestica L., 1753 ; principaux synonymes : Cormus domestica (L.) Spach ; Crataegus austera Salisb. ; Malus sorbus Borkh.), encore appelé sorbier domestique1 est un élégant arbre fruitier de la famille des Rosacées passablement oublié et devenu rare. Il offre une pigmentation automnale flamboyante.

Arbre adulte @ZoomNature ; tronc et feuilles @Paperblog

C’est un arbre de belles proportions (10 à 35 m de hauteur à l’âge adulte), rustique, diploïde (2n = 34), qui, lorsqu’il est semé, émet un enracinement fasciculé, formé d’une ramification de plusieurs racines principales pénétrant à pic et profondément dans le sol, assurant une grande stabilité à l’arbre.
Plus ou moins thermophile, le cormier a des besoins en lumière élevés. Souvent solitaire car peu concurrentiel, il nécessite au moins 600 mm d’eau, bien répartis sur toute l’année, et supporte les sécheresses estivales si les réserves en eau du sol sont suffisantes. De plus, il résiste aux grands froids et aux gelées tardives. Le cormier est enfin extrêmement plastique vis-à-vis des sols même s’il ne supporte pas l’hydromorphie même temporaire du terrain où il est implanté. Il vit en moyenne 150 à 200 ans, mais des individus de six siècles sont connus2.


Sa croissance selon un axe continu lui permet de développer un tronc rectiligne, de jolie circonférence quand l’arbre est âgé, et un grand houppier. Le plus gros cormier européen serait slovaque avec 5,06 m de circonférence et plus de 20 m de hauteur ; en France, le plus gros arbre connu, avec 4,58 m de circonférence à 1,30 m du sol, se situerait à Mavilly-Mandelot près des Côtes de Beaune3 en Côte d’Or.

D’un point de vue botanique, on peut décrire cet arbre comme suit4 :
Son écorce brun-orangé à grise, écailleuse, ressemble à celle du chêne. Ses bourgeons sont glabres, visqueux et dressés. Les feuilles sont imparipennées à 11-21 folioles oblongues, dentées sauf à la base entière et non échancrée, pubescentes-tomenteuses en dessous, glabres au sommet.

Floraison @AssociationCormier

La floraison a lieu en avril-juin. Les fleurs, mellifères (parfum agréable ; allogamie préférentielle, mais pas totalement stricte – abeilles, bourdons, coléoptères, mouches, syrphes seraient les principaux vecteurs de pollen), sont hermaphrodites, blanc crème, de 8-15 mm de diamètre. Elles sont disposées en corymbes aplaties à l’apex de rameaux courts, à raison de 35 à 75 par corymbe. Leur calice de 5 sépales présente des lobes courbés en dehors après la floraison. Elles ont 5 pétales, 5 styles, coudés, laineux sur toute leur longueur, et 20 étamines. La fructification a lieu en octobre.
Ses fruits ou cormes5, verts, puis jaunâtres, souvent tachetés de brun-rougeâtre à maturité, dits aussi « sorbes », à 5 loges, atteignent la maturité à l’automne suivant et ressemblent à de petites pommes ou poires (3 cm de long maximum), d’où leur autre nom de « poirillons ».
Il existe en effet une grande variabilité dans la forme des fruits6, déjà soulignée par Théophraste (371 – 287 Av. J.-C.) et Pline le Jeune (circa 61-114), et aussi dans leur degré d’astringence. Fraîches, les cormes sont assurément toutes acides et acerbes au point qu’elles sont quasi immangeables d’où l’expression traditionnelle très parlante de la Sarthe : « Si on mange une corme verte on ne peut plus siffler, si vous mangez sept cormes vertes, vous changez de sexe ! »
On cueille ces fruits en automne et on les conserve sur de la paille où ils finissent de mûrir. Il faut attendre que les cormes soient blettes7 pour être consommées (on peut accélérer aujourd’hui le processus en leur faisant subir un choc thermique au congélateur durant au moins 4 heures). On dit qu’une corme est blette lorsqu’elle est arrivée à une maturité avancée, sa texture se ramollissant, sa couleur brunissant et sa saveur s’adoucissant. La pulpe change alors de consistance et de saveur ; de dure et astringente, elle devient molle et veloutée, préférable à la pulpe des meilleures nèfles : les cormes « prennent alors un goût sucré subtil et légèrement alcoolisé8 ».

Fruits @ZoomNature ; détails et coupe @Naturescene

L’aire naturelle du cormier indigène s’étend d’une partie de la péninsule ibérique à l’Ukraine et de l’Allemagne aux côtes du nord de la Méditerranée. Il est également présent de façon plus dispersée en Turquie et au Maghreb. En France, on le trouve de façon très disséminée, à peu près partout, du littoral jusqu’à 1400 m d’altitude. Le cormier aurait été un arbre magique, « donneur de vie », pour les Celtes et les Germains. On le trouvait en abondance autour des cromlechs ou des lieux où se pratiquait la divination9.

Distribution du cormier en Europe et Afrique du nord. Source : EUROFORGEN10

Cet arbre modérément domestiqué est cultivé depuis la plus haute antiquité, ce qui rend difficile de distinguer aujourd’hui sa zone d’origine réelle de celle où il reste spontané. Les Romains consommaient les cormes blettes, les conservaient dans le marc de raisin ou les séchaient afin de s’en servir comme nourriture des hommes et des chevaux durant tout l’hiver. Ils dispersèrent la culture du cormier au temps de leur empire dans toute l’aire européenne de culture de la vigne, zone où sa plantation a continué d’être recommandée à la fin du VIIIe siècle par le Capitulare de villis. Il continua d’être apprécié ensuite jusqu’au milieu du XIXe siècle, période où la concurrence des pommes et des poires, nouvellement améliorées gustativement par sélection, déclencha son déclin.

Au Moyen-Âge11, ses fruits étaient fort appréciés pour fabriquer des confitures, des gelées, des boissons plus ou moins alcoolisées et entraient même dans la pharmacopée. L’arbre est cité en 802 au sein du verger-cimetière du monastère de Saint-Gall en Suisse. On préparait une sorte de vin de cormes, le « cormé » ou « cumi », « curmé », boisson fermentée à la manière du cidre ou du poiré ; souvent, on ajoutait également du cormé au jus de pomme fermenté pour éclaircir le cidre (ou même le vin blanc), lui communiquer la finesse du goût des cormes et augmenter le taux d’alcool. Le cormé passait pour plutôt abrutissant sans doute à cause de son degré d’alcool plus élevé issu de son sucre particulier, le sorbitol. En mettant les cormes à fermenter dans de l’eau avant le blettissement, on obtenait aussi une eau-de-vie fine et très recherchée12. Enfin, « l’écorce de cormier a la propriété de transformer rapidement le vin dans lequel on le trempe, en excellent vinaigre »13. Les cormes séchées au four étaient aussi parfois réduites en farine et cette dernière parfois mélangée à celle de blé ou de seigle pour faire du pain.


Les cormes contiennent de la provitamine A, de la vitamine C, des tanins et des minéraux. Dans la pharmacopée, on considère qu’elles possèdent des propriétés digestives et anti-nauséeuses. Leur absorption « resserre » le ventre et constitue donc un remède efficace contre la diarrhée ou la dysenterie. Elles aideraient aussi selon certains auteurs anciens à réguler du flux sanguin. A la Renaissance, on les utilisait pour tenter de soigner le choléra… Nous avons de la chance qu’il ait disparu.

Tombés au sol, les fruits blets non ramassés sont aussi très appréciés par les mammifères sauvages : blaireaux, cervidés, martres, renards et sangliers jouent un rôle important dans la dissémination des graines de l’espèce à travers leurs excréments, et ce, bien plus que les oiseaux.

C’est un arbre à croissance très lente. On l’a parfois greffé sur le poirier ou le pommier où il reprend rarement, sur le cognassier et l’aubépin qui prennent mieux, afin qu’il fasse des fruits plus précocement, mais dans ce cas, sa durée de vie est moins longue. Le bois rougeâtre du cormier au grain très fin est extrêmement dense : 800 à 900 kg/m3 (quand le chêne fait 700 à 800 kg/m3 et le merisier 550 à 600 kg/m3). Les moines le cultivaient depuis le haut Moyen-Âge pour fabriquer des vis de pressoir ou réaliser des gravures sur bois. C’est, avec le buis, un des bois indigènes les plus durs et les plus homogènes d’Europe : on le nommait « l’ébène de l’Europe » au XVIIIe siècle. Fort cher14, il a longtemps été très apprécié en sculpture, en impression, en lutherie (violon, cornemuse notamment), en ébénisterie, pour la fabrication d’essieux et d’armatures de roues de chars, d’outils (navettes des métiers à tisser, poulies, rabots, règles, rouleaux ou ensubles, toises, trusquins, varlopes, etc.), de semelles de sabots ou de manches d’outils, de boules du jeu dit « boules de fort » dans l’ouest de la France et de crosses de fusils15. Travaillé, ce bois prend un aspect de marbre.

Billes et planches de cormier @AssociationCormier

Le bois de cormier possède de plus la réputation de résister au frottement mécanique, encore plus que celui du frêne et de bien tolérer l’humidité. Aux époques où les métaux étaient trop coûteux et mal usinés, on fabriquait de nombreuses pièces d’usure, notamment dans la mécanique des moulins à eau (ou à vent), en bois de cormier. La roue entraînée par le courant de l’eau de chaque moulin était montée sur un axe généralement de chêne comportant un volant ou « rouet ». Ce dernier était équipé de dents qui, par l’effet de rotation du dispositif s’inséraient exactement entre les rayons d’une autre pièce appelée la « lanterne », montée sur un axe vertical, entrainant un axe vertical actionnant les meules. Afin d’assurer la solidité du dispositif, les dents des engrenages des moulins en bois, étaient recouvertes de pièces de cormier, ou « alluchons », démontables sur couronne de chêne et donc remplaçables ; ces mécanismes de bois furent ensuite remplacés par de la fonte ou de l’acier, sur lesquels on montait toujours des alluchons de cormier pour donner plus de souplesse à l’appareillage. Des dispositifs similaires existaient dans les moulins à vent.

Celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur cet arbre d’anthologie, et peut-être le réhabiliter, pourront se référer aux textes et ouvrages ci-dessous :
– Evelyne Moinet (2009). Le traité du cormier. Arbres remarquables : histoire, usages, répartition dans la Sarthe, alentour et plus loin encore. SEPENES, 208 p. https://www.tela-botanica.org/2009/02/article2890/ 16
– Jan-Peter George et al. (2015). High molecular diversity in the true service tree (Sorbus domestica) despite rareness: data from Europe with special reference to the Austrian occurrence. Ann. Bot. 115, 7, 1105-1115. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4648458/pdf/mcv047.pdf
– Grégory Fontaine (?). Réussir la culture du cormier (Sorbus domestica). Rustica Jardinage https://www.rustica.fr/arbres-et-arbustes/cormier-sorbus-domestica,5293.html
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/39569/FM%20XXVII-1%2017-30.pdf?sequence=1

Ils pourront aussi contacter les deux organisations suivantes:
– Association Cormier Sorbus domestica, 10 rue de la Prairie, 72400 La Ferté-Bernard. https://www.cormier-sorbusdomestica.com/
– Association Cormier Fruitier Forestier (AC2F), 2 chemin de Rosières, 55500 Ligny-en-Barrois. https://www.associationcormier.fr/

Longue vie au cormier !

Alain Bonjean
Orcines, 24 août 2020.

Mots-clefs : cormier, sorbier domestique, Sorbus domestica, Rosacée, corme, sorbe, poirillon, arbre fruitier, arbre forestier, arbre mellifère, pharmacopée européenne, bois, meunerie, alluchon

1 – Albanie: vadhia e butë Allemagne: speierling;Andorre: vadhia e butë;Angleterre: service tree;Autriche:speierling;Belgique:peervorminge, lijsterbes;Bosnie-Herzégovine:oskorusa;Bretagne : iliberenn, gwez iliber ;Bulgarie: skorusha, ckopyllla ; Croatie: oskorusä; Danemark: storfrugted ron; Espagne: serbal cormun; Estonie: aedpihlakas;Finlande: kotipihlaja, pihlakas; Grèce: sorvià ökiaki, sorvià imeri, sourvià; Hongrie: hazi berkenye, fojtoska; Irlande: service tree;Islande: reynividut, reyniber; Italie: sorbo domestico; Lithuanie: namisis sermuksnis; Liechtenstein:speierling;Luxembourg: spirebam;Moldavie: Scorus; Norvège: rogn;Pays-Bas: gewonelijsterbes;Pologne: sarzab domowy; Portugal: sorveira, solveira;Roumanie: scorus;Slovaquie: jarabinaoskorusova, oskorusa;Slovénie: skors;Tchéquie: oskerusedomaci;Turquie: bahçe üvezi;Ukraine: horobyna sadova, horobyna domashnya.

2 – L. Parde (1943). Les feuillus. La Maison Rustique, Paris, 392 p.

3 – Evelyne Moinet (2019). Le cormier de Mavilly-Mandelot, doyen vénérable mais fragile. Association Cormier Sorbus domestica, Lettre d’information 3, 1-2. ;

4https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/124319?lg=en, https://www.tela-botanica.org/bdtfx-nn-65300-statut ; https://www.associationcormier.fr/le-cormier/23-sorbus-domestica

5 – Selon le dictionnaire Ortolang, le terme « corme », connu dès 1225-1230, pourrait provenir du « gaulois *corma auquel on peut rattacher le bas latin curmi indéclinable (« sorte de cervoise »), attesté au Ves. par M. Empiricus ».

6 – A l’instar de certaines variétés de pommes (par exemples, la Calville blanche d’hiver ou la pomme d’Api étoilée), certaines cormes – notamment les types « pannelles » du Midi de la France ou de certaines zones d’Italie présentent une pentalobie, plus ou moins marquée.

7 – Cette transformation est différente de la pourriture ou de la moisissure : le fruit reste consommable et sain. L’origine du mot semble provenir de l’ancien français « blece », autrement dit meurtri (pour un fruit) » ; ce terme de genre féminin est lui-même dérivé du verbe « blecier » pris au sens de meurtrir des fruits.

8 – Michel Bariteau, Patrice Brahic et Jean Thevenet (2006). Comment domestiquer le cormier (Sorbus domestica) ? Bilan des recherches sur la multiplication sexuée et végétative. Forêt méditerranéenne XXVII, 1, 17-30

9 – AC2F, Association cormier fruitier forestier.

10https://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/documents//Cormier2013_cle44c4cf.pdf

11 – Mgr. Vít Hrdoušek (2015). The history of the study and uses of Sorbus domestica in Europe. Proceedings of Service tree – tree for new Europe, International Conference 20.8. – 21.9.2015, Tvarozna Lhota, Morava, Czech Republik, 12-17 ; Viera Paganova (2015). Sorbus domestica L. in urban context and in landscape. Proceedings of Service tree – tree for new Europe, International Conference 20.8. – 21.9.2015, Tvarozna Lhota, Morava, Czech Republik, 18-21.

12 – Dans le début des années 1990, le gouvernement allemand a financé pour continuer de produire cet alcool un programme de plantations de plus de 600 000 arbres.

13 – Evelyne Leterme (1998). Les fruits retrouvés. Editions du Rouergue, p. 208.

14 – Il s’en vendrait actuellement moins de 50 m3/an en France.

15 – J.M. Lambillon (1990). Les emplois du bois : le cormier. La Forêt privée 194, 51-55.

16 – Je tiens à remercier Jean-Noël Plagès qui m’a fait découvrir et généreusement prêté cet ouvrage remarquable par son érudition.

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