Comme nous serons bientôt plongés dans les Fêtes de fin d’année, je vous propose de clore l’an 2021 par un article sur une épice ancienne, presque oubliée : le piment royal (Myrica1 gale2 L., 1753) qui, malgré son nom, n’est pas une Solanée comme le piment commun (Capsicum annuum) et ses apparentées qui sont pour lui autant d’homonymes.
C’est un court arbuste de la petite famille des Myricacées de l’ordre des Fagales qui comprend environ 55 espèces3. En France, il porte une palette d’appellations très variées – gala odorant, lorette, myrte bâtard, myrte des marais, myrte du Brabant, piment aquatique, poivre du Brabant, romarin du nord, que nos cousins québécois enrichissent encore en le nommant joliment bois-sent-bon ou myrique baumier (allemand : Galestrauch ; Sumpfmyrte ; anglais : bay gale, bay myrtle, bog myrtle, Dutch myrtle, moor myrtle, sweet gale, sweetgale ; danois : mose-pors, porse ; espagnol : arrayan de los pantanos ; mirto de Brabante ; estonien : harilik porss, lutikarohi, murdid, soo kaerad, rabaumalad ; finnois : suomyrtti ; gaélique : rideag ; hollandais : gewone gagel ; italien : myrica ; lithuanien : pajurinis sotvaras ; norvégien : pors, post ; polonais : woskownica europejska ; portugais : alecrim-do-norte, samouco-de-brabante ; russe : voskovnik bolotny, datski mirt).


Buissons de piment royal – Biganos (Gironde) ©Telabotanica-DSautet, 2007 ; jeunes pousses – Bussac-Forêt (Charente-Maritime) ©Telabotanica-LRoubaudi, 2013
Les arbrisseaux et arbustes de piment royal4 ont un port touffu, arrondi, résineux et odorant de 0,5 à 2 m de hauteur pour 1 à 2 m de diamètre et drageonnent facilement. Leurs jeunes pousses sont anguleuses et pubescentes. leurs feuilles vert foncé mat, sont alternes, caduques, atténuées en court pétiole à la base, oblongues-elliptiques (2-5 cm), dentées dans le haut ou entières, uninervées, coriaces, glabres ou pubescentes, sans stipules.
Dans l’Hexagone, la floraison de cette espèce dioïque (sexes portés séparément par des plants femelles ou mâles) a lieu en avril-mai : les fleurs sont sans périanthe, solitaires à la base d’une écaille persistante, disposées en chatons dressés, cylindriques pu ovoïdes, sessiles, paraissant avant les feuilles ; on note selon les types, 4-5 étamines ou 2 styles courts, stigmatifères. La pollinisation est anémogame

Fleurs mâles et femelles de piment royal ©SivDomeij
La fructification a lieu entre juillet et septembre avec des fruits drupacés, ovoïdes, comprimés-résineux-poisseux, uniloculaires, monospermes et indéhiscents. Leur dissémination est anémochore et les graines sont connues pour leur grande longévité (nécessité de stratification en culture).

Fruits séchés – https://nativeapothicaire.com/products/fruit-du-myrique-baumier
De manière naturelle, le piment royal est une espèce indigène subarctique du nord et de l’ouest de l’Europe ainsi que d’Amérique du Nord et d’Asie extrême-orientale5 (voir carte de gauche ci-dessous en vert et zone rouge, distribution éteinte ; carte de droite précisant la distribution française) croissant sur des sols pauvres, détrempés, acides, des marais et des tourbières.


Ses racines hébergent des actinobactéries6 fixatrices de l’azote atmosphérique pour compenser la pauvreté de ces environnements en azote minéral.
Les graines et le feuillage du piment royal contiennent des composants aromatiques dont la senteur résineuse, sucrée, boisée et camphrée, rappelle celle des peupliers baumiers (Populus balsmifera, P. trichocarpa). Cette plante est spontanément consommée par les cervidés, les moutons, les chèvres, les bovins ainsi que par de nombreux papillons.
Historiquement7, l’appellation de piment royal provient du fait que les bouquets de mariages royaux devaient contenir son feuillage. Plus largement, cette espèce a longtemps été employée en parfumerie-cosmétiques8 et aussi comme épice : ses feuilles peuvent remplacer en cuisine celles du laurier-sauce et ses graines broyées au mortier parfumer poissons, viandes et desserts.
Les fleurs femelles étaient aussi employées en amorce lors de pêches en étangs ou en rivière en Allemagne, Belgique et Royaume-Uni.

Du Moyen-Âge au XVIe siècle, le piment royal faisait partie d’un mélange de plantes incluant aussi l’achillée millefeuille (Achillea millefolium) et le lédon des marais (Rhododendron tomentosum), appelé le « gruit » qui servait en Europe du Nord-Ouest à parfumer la bière avant le houblon9 – cette tradition se retrouve encore au Danemark dans la production de la « Gageleer » ou en Suède où le piment royal sert à parfumer le schnaps. Dans l’Encyclopédie de 1751 de Diderot et d’Alembert, un texte du médecin Gabriel-François Venel (1723-1775) nous apprend également que « les feuilles de cette plante, séchées, & ensuite infusées comme du thé, ont un goût […] qui n’est point désagréable. Les Flamands nomment cette plante « gagel » ; les gens de la campagne en mettent dans leurs paillasses pour écarter les punaises, mais il est à craindre que son odeur qui est très-forte, n’empêche de dormir ceux qui auroient recours à ce remède. On dit qu’en mettant cette plante dans de la bière, elle enivre très-promptement ; & que par-là, non-seulement elle ôte la raison, mais encore qu’elle rend insensés & furieux ceux qui en boivent »10. Les graines bouillies servaient aussi à préparer une teinture jaune pour teindre la laine11. L’écorce, riche en tanins, étaient usitées en tannage.
Au niveau de la pharmacopée12, le piment royal était réputé comme antiseptique respiratoire et stimulant, cordial, stomachique, hépatique. Il a aussi été utilisé comme traitement de la gonorrhée (feuilles), vermifuge (écorce séchée), produit abortif (feuilles) et pour repousser les piqûres d’insectes (feuilles, huile essentielle). Dans la tradition amérindienne, les tisanes de cet arbuste étaient sensées « favoriser le rêve lucide (lorsque la personne est consciente qu’elle est en train de rêver) 13».
Récemment, un projet a été lancé en Ecosse par la société Alliance Boots en relation avec The University of Highlands and Islands pour tenter de domestiquer cette espèce et de la cultiver pour en extraire l’huile essentielle utilisable dans les soins de l’acné et d’autres soins de la peau14, mais aussi comme base d’agent anti-cancéreux15. Par ailleurs, certains composés du feuillage de cette espèce pourraient permettre de développer des bio-herbicides, des bio-fongicides ou des répulsifs contre les moustiques16.
Bien que nous l’ayons quasiment oublié, le piment royal mériterait incontestablement d’être réexaminé à l’aune de nos besoins contemporains et peut-être cultivé dans certaines régions humides d’Europe où il est naturellement adapté !

Par ailleurs, comme nous nous trouvons déjà dans la semaine des longues nuits du solstice d’hiver et de Noël, permettez-moi par-delà les contraintes de la pandémie que nous continuons de vivre collectivement de vous adresser à toutes et à tous d’excellentes fêtes de fin d’année ainsi qu’à vos proches.
Bien fidèlement,
Alain Bonjean,
Orcines, le 20 décembre 2021.
Mots-clefs : Myrica gale, piment royal, Myricacées, Fagales, arbuste, Europe, Amérique du Nord, mycorhize, actinobactéries, plante fourragère, plante à parfum, plante aromatique, plante tinctoriale, épice, plante médicinale, tisanes, répulsif contre les insectes,
1 – Transcription du grec « myrtkê » qui désignait un tamaris africain selon P. Fournier (1949). Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, tome III, Ed. Le chevalier, Paris, p.64.
2 – Ancien nom celte du piment royal d’après P. Fournier précité.
3 – https://stringfixer.com/fr/Myricaceae ; on trouve également dans ce genre, l’arbre à suif ou cirier (Myrica cerifera) au Canada et dans l’est des Etats-Unis dont le fruit est cireux, la fraise chinoise (Myrica rubra), en Chine, aux fruits comestibles, et Myrica esculenta, en Inde, qui y sert à faire des savons et des bougies.
4 – https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/109130/tab/sources ; https://www.tela-botanica.org/eflore/?referentiel=bdtfx&niveau=2&module=fiche&action=fiche&num_nom=43387&type_nom=&nom=&onglet=description ; https://www.promessedefleurs.com/arbustes/arbustes-de-a-a-z/bois-sent-bon-myrica-gale.html
5 – https://powo.science.kew.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:300581-2 ; https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Myrica-gale-distribution-map.svg
6 – A. Moiroud (1996). Diversité et écologie des plantes actinorhiziennes. Acta Botanica Gallica 143, 7, 651-661.
7 – http://gernot-katzers-spice-pages.com/germ/Myri_gal.html
8 – En Europe de l’Ouest et du Nord, ces rameaux entraient dans la confection de bouquets mais aussi pour parfumer le linge. https://www.bcliving.ca/the-inconspicuous-sweet-gale
9 – K.E. Behre (1983). Plants and Ancient Man. Studies in Palaethnobotany. W. van Zeist and W. Capsarie ed. Rottredam, The Netherlands. 344 p. ; S. Verberg (2018). Medieval herbal ale : Gruit demystified. Medievalmeadandbeer.worldpress.com ; S. Verberg (2019). Medieval gruit beer reconstructed : New theories about old beverages. Poster presentation at Homebrew Con 2019.
Selon les régions et les brasseurs, ils ajoutaient souvent aussi de la résine de pin, du miel des aromates européens (anis, cerise, myrtille, genévrier, romarin, etc.) ou exotiques (cannelle, gingembre, muscade, etc.), voire des grains.
10 – https://www.wikit.wiki/blog/fr/Piment_royal
11 – https://books.google.fr/books?id=V1-Cg_DD0L4C&pg=PA477&lpg=PA477&dq=(Myrica+gale)+Sweet+Gale+Scotlande+Sweden&source=bl&ots=yQUNrBmFkl&sig=ACfU3U37ZhD1v1iJJPH6BX0A96NIdjQrDQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwiN2oiBy_D0AhUSlhQKHZ-oDGo4HhDoAXoECAIQAQ#v=onepage&q=(Myrica%20gale)%20Sweet%20Gale%20Scotlande%20Sweden&f=false
12 – Ibid 1 ; http://dico-sciences-animales.cirad.fr/mobile/liste-mots.php?fiche=30951&def=piment+royal ; https://phytotheque.wordpress.com/2016/05/12/piment-royal-myrica-gale/
13 – https://www.beaucerc.com/sites/24519/realisations/PDZA/PFNL/Arbustes_Myrique_baumier(1).pdf
14 – Ibid 7 ; https://www.uhi.ac.uk/en/ ; P. Martin and X. Chang (2010). Developing sweet gale (Myrica gale) as a new crop for the cosmetic industry. Aspects of Applied Biology 101, 115-122 ; il est à souligner que l’huile essentielle, surtout riche en myrcène, limonène, alpha-phellandrène et 6-caryophyllène, est toxique et ne doit pas être employée en usage interne.
15 – M. Sylvestre et al. (2005). A chemical composition and anticancer activity of leaf essential oil of Myrica gale L. Phytomedicine 2, 4, 299-304.
16 – C. Bertrand, C. Prigent-Combaret (2012). Les alternatives aux pesticides. Biofutur 31, 330, 39-40 ; J. Popovici et al. (2011). An allelochemical from Myrica gale with strong phytotoxic activity against highly invasive Fallopia x bohemica taxa. Molecules, MDPI 16, 2323-2333