Parmi les plantes de la pharmacopée européenne, la grande chélidoine (Chelidonium majus L., 1753), don du ciel, grande éclaire, herbe-aux-boucs, herbe-aux-verrues, herbe de Saint-Clair, lait de sorcière, lait de démon, sologne, félongène, felougne, est probablement l’une des plus connues1, bien que parfois dédaignée et vue comme advantice. Chelidonium signifie en latin « hirondelle » (issu deχελιδών, prononcé chelidôn en grec ancien) : en effet, le botaniste grec Dioscoride (c. 25-c.90) considérait que cette plante fleurissait à l’arrivé des hirondelles venues d’Afrique et mourrait lorsqu’elles y repartaient hiverner.
Lla grande chélidoine appartient à la famille des Papavéracées qui comprend 26 genres et environ 250 espèces, dont le coquelicot annuel, l’eschscholtzia, et le pavot. A titre historique, durant la Grande Révolution, la chélidoine était le nom du 29e jour du mois de Pluviôse du calendrier républicain (soit le 17 février de notre calendrier actuel).

Planche botanique de grande chélidoine ®MateriaMedica-P.Guérin


Jeunes plants accrochés à un vieux mur, Boudes, Puy-de-Dôme, mai 2007 ; floraison, Montaigut-Le-Blanc, Puy-de-Dôme, août 2021 ®AlainBonjean
Cette plante vivace et mellifère (2 n = 2 x = 122) à vie courte possède un rhizome porteur racines rougeâtres épaisses, souvent longues, d’où émerge une rosette de feuilles pétiolées et des tiges dressées et ramifiées pouvant atteindre 10 à 60 cm de haut. Ses tiges sont cylindriques, hérissées de poils épars, creuses et cassantes. Elles portent à leurs articulations noueuses des feuilles alternes, celles du sommet sont sessiles, alternes, pennatiséquées à 5-7 segments ovales, incisés-lobés Elles sont molles, imparipennées et crénelés, voire dentées d’un vert mat un peu glauque surtout en dessous. L’espèce présente de grandes variations, notamment dans la forme des feuilles et leurs divisions.
En France, la floraison a lieu d’avril à octobre. Les fleurs hermaphrodites forment des croix de 2 cm environ à l’extrémité de longs pédoncules inégaux pubescents, puis glabres. Elles sont regroupées en cymes ombelliformes pauciflores de 2 à 7 fleurs. Le calice velu est formé de deux sépales verts caducs. La corolle est composée de quatre pétales jaunes rapidement caducs. L’androcée comprend plus de 15 étamines de 8 mm de longueur, de la même couleur que les pétales, avec un filet élargi vers le haut puis brusquement rétréci au voisinage de l’anthère. Le pistil est surmonté d’un style très court (1 mm de longueur) et de deux stigmates obliques. La pollinisation est partiellement autogame et entomogame. Les graines se développent au sein d’une capsule linéaire, glabre de 3-5 cm de long, ou pseudo-silique, non cloisonnée avec deux valves s’ouvrant de bas en haut. Les graines petites, noires, réniformes tombent sur le sol à maturité. Elles possèdent un élaïosome blanc-jaunâtre riche en protéines et en lipides qui attire diverses espèces de fourmis et contribue à leur dispersion.


Latex jaune de la grande chélidoine ®Astrantia.net ; fausses-siliques et graines ®ANAB
Toute la plante dégage une odeur vireuse. Sectionnées, un latex jaune-orangé abondant s’en écoule : cette coloration due à un pigment, la chélidoxanthine, s’oxyde assez rapidement à l’air. Il est toxique, irritant et contient de nombreuses molécules parmi lesquels une trentaine d’alcaloïdes toxiques, souvent bactéricides, dont la coptisine qui inhibe les divisions cellulaires (antimitotique) et la spartéine, agent antiarythmique. Il renferme aussi des enzymes protéolytiques et d la phytocystatine chélidostatine, une cystéine protéase inhibiteur.

Chélidoine horticole ®Aujardin.info
A noter qu’aux côtés de l’espèce sauvage, il existe une chélidoine à fleurs doubles3 créée par des pépiniéristes.
Selon le Jardin Royal de Kew4, l’espèce est indigène des zones tempérées en Macaronésie, en Europe, Sibérie et Chine ainsi que du bassin méditerranéen à l’Iran. Durant les époques coloniales, elle a été introduite au Royaume-Uni et en Irlande ainsi que dans certains territoires du Canada (Québec inclus), des USA, d’Amérique latine et de Nouvelle-Zélande.
C’est une plante indicatrice des végétations nitrophiles bien exposées à la lumière ou en demi-ombrages (orées des forêts par exemple) entre 0 et 1500 m qui tolère bien le froid. La chélidoine préfère un sol calcaire ou argileux de pH neutre ou alcalin, sec à humide bien drainé. Lorsqu’on la rencontre sur sol neutre ou acide, cela indique la présence de roches calcaires ou d’argiles introduites : pierres calcaires d’un mur, remblais, chaux, ciment, … Par suite, on trouve habituellement la chélidoine soit dans les environnements urbanisés (décombres, vieux murs, etc.), soit dans les bordures des forêts fortement anthropisées.


Durant l’Antiquité, la grande chélidoine a été perçue comme une plante magique. Au Moyen-Âge, les alchimistes la surnommaient « don du ciel » car ils voyaient dans son latex jaune un ingrédient pour transformer en or de moindres métaux. Les paysans lui ont donné à la même époque l’appellation d’« herbe de bouc » du fait de son odeur et de son goût désagréable à l’homme comme au bétail5 – son ingestion crée d’ailleurs de violents troubles digestifs et de la déshydratation. La mystique et docte Hildegarde de Bingen (1098-1179) ne recommandait d’ailleurs son emploi que dans des soins externes, écrivant à son sujet : « La chélidoine est très chaude et vénéneuse car elle contient un suc qui est un poison noir et âcre et ne peut faire aucun bien à l’homme, car, si sur un point elle pouvait faire du bien à l’homme, elle apporterait ailleurs un plus grand mal. Si on en mange ou si on en boit, elle brûle et blesse à l’intérieur, et il arrive qu’elle provoque chez l’homme une digestion douloureuse et mauvaise pour la santé. Si on a mangé, bu, ou touché quelque chose de mauvais, qui fait apparaître des ulcérations sur le corps, il faut prendre du vieux saindoux, y ajouter assez de suc de chélidoine ; mélanger, faire fondre dans une casserole, se frictionner avec cet onguent, et on sera guéri »6.
En pharmacopée traditionnelle7, les vertus de la chélidoine ont depuis souvent été attribuées à des propriétés médicinales externes – traitement de verrues, cors et durillons par application du latex, collyres anti-ophtalmiques pour guérir les ulcères des paupières ou ophtalmies chroniques, etc. Toutefois, sous forme d’infusion, la plante a aussi été employée en anti-douleur( analgésique), diurétique, cholérétique, cholagogue, antispasmodique afin de guérir certaines maladies du foie ou pour améliorer la circulation sanguine en élargissant les coronaires et augmentant la tension. La médecine traditionnelle chinoise l’emploie aussi contre certaines infections et cancers8. En pharmacopée vétérinaire, la chélidoine aussi été utilisée contre la météorisation du bétail9.
En homéopathie, l’espèce a également été travaillée10 pour le foie et les verrues.

A noter que la coptisine de la grande chélidoine se trouve aussi dans le coptide chinois (Coptis chinensis) et dans l’opium11
La chimie moderne a montré que la plante était toxique a des doses modérées car elle contient une gamme d’alcaloïdes isoquinoléiques12 et devait donc être particulièrement dosée.
Le principal alcaloïde présent dans la plante et la racine est la coptisine.
Les autres alcaloïdes présents incluent l’acétate de méthyle 2′-(7,8-dihydrosanguinarine-8-yl), l’allocryptopine, la stylopine, la protopine, la norchélidonine, la berbérine, la chéidonine, la sanguinarine, la chéérythrine et la 8-hydroxydihydrosanguinarine. La sanguinarine est particulièrement toxique avec une DL50 de 18 mg/kg vif (IP chez le rat).
Des dérivés d’acide caféique sont également présents, tel l’acide cafféoylmalique ainsi que divers antioxydants13.
Divers traitements sont désormais proposés en médecine à partir de certains de ces extraits14 ainsi que d’autres applications agricoles ou autres15.

Cycle de culture envisageable en France ®Ooreka
En culture, des travaux russes récents16 menés sur 5 populations différentes, ont montré des productions de biomasse et de graines respectivement de 0,84-1,08 T/ha et de 18,6-19,9 kg/ha. Des travaux 17lettons paraissent montrer que la culture de la grande chélidoine augmente la teneur totale en alcaloïdes et l’activité cytotoxique par rapport à celles des plantes sauvages. Une nouvelle piste à creuser pour la filière des plantes médicinales.
Alain Bonjean, 119e article
Orcines, le 12 décembre 2022
1 – Allemand : Gemeines Schöllkraut ; anglais : garden celandine, greater celandine, swallow-wort, tetterwort ; catalan : berruguera, celidònia, herba d’orenetes ; espagnol : celidonia, celidonia mayor, flor de verrugas, golondrinera, hierba verruguera ; hollandais : stinkende gouwe ; italien : celidònia, cenerognola, erba de porri, erba dele rondini, erba di Santa Chiara ; mandarin :白屈菜 bai qu cai.
2 – https://www.mdpi.com/2223-7747/9/10/1396
3 – https://www.aujardin.info/plantes/chelidonium-majus-cv-flore-pleno.php
4 – https://powo.science.kew.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:303589-2
5 – Elle est particulièrement toxique pour la volaille.
6 – Hildegarde de Bingen. Le livre des subtilités des créatures divines. Physique. Les plantes, les aliments, les pierres et les métaux. Traduction du latin par P. Monat (2002). Ed. Jérôme Million, p. 139.
7 – https://www.florajournal.com/vol3issue1/may2015/2-6-10.1.pdf ; https://www.derpharmachemica.com/pharma-chemica/ethnobotanical-study-and-pharmacological-properties-of-chelidonium-majus.pdf ; https://iupress.istanbul.edu.tr/en/journal/ijp/article/chelidonium-majus-l-papaveraceae-morphology-anatomy-and-traditional-medicinal-uses-in-turkey ;
8 – https://www.karger.com/Article/PDF/321397
9 – https://doc.rero.ch/record/24375/files/BCV_N_112_102_1984_129.pdf
10 – https://ansm.sante.fr/uploads/2020/10/22/chelidonium-majus-grande-chelidoine-pph.pdf ; https://pharmacieetnature.com/produit/1657-chelidonium-majus.htm
11 – S.A.E Hakim et al. (1961). Distribution of certain Poppy-Fumari alkaloids and a possible link with the inicidence of Glaucoma. Nature 189, 4760, 198-201
12 – https://en.wikipedia.org/wiki/Chelidonium_majus : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28379595/ ; https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20980763/ ; https://www.infona.pl/resource/bwmeta1.element.springer-doi-10_1007-S40484-019-0165-X
13 https://www.yumpu.com/en/document/view/32397642/antioxidant-activity-of-chelidonium-majus-l-extracts-from-the-banat-
14 – https://armaghanj.yums.ac.ir/browse.php?a_id=1556&sid=1&slc_lang=en ; https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8584587/ ; http://www.medicinabiomolecular.com.br/biblioteca/pdfs/Cancer/ca-4198.pdf ; https://www.researchgate.net/publication/239949111_CHELIDONIUM_MAJUS_L_-_A_REVIEW_ON_PHARMACOLOGICAL_ACTIVITIES_AND_CLINICAL_EFFECTS?enrichId=rgreq-eac65d89849891e53cd24c8a1bc64e9b-XXX&enrichSource=Y292ZXJQYWdlOzIzOTk0OTExMTtBUzo1MzU1MDk2ODA1MDg5MjhAMTUwNDY4Njg2NTAxNA%3D%3D&el=1_x_3&_esc=publicationCoverPdf ; https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphar.2018.00299/full ; https://dralexjimenez.com/chelidonium-majus-detox-therapy/ ; https://www.thieme-connect.com/products/ejournals/abstract/10.1055/s-0035-1565527
15 – https://pbsociety.org.pl/journals/index.php/aa/article/view/aa.7313 ; https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1064739/
16 – https://www.mdpi.com/2223-7747/9/10/1396
17 – https://www.academia.edu/68698135/The_Cultivation_of_Chelidonium_majus_L_Increased_the_Total_Alkaloid_Content_and_Cytotoxic_Activity_Compared_with_Those_of_Wild_Grown_Plants