
Au début des années 2010, lorsque ma famille était installée à Napaxigu dans la station thermale de Xiaotangshan du district de Changping, au pied des montagnes qui bordent le nord de Pékin, nous avions dans notre jardin un petit arbre buissonnant à feuilles caduques très odorantes et aux épines redoutables. C’était un poivrier du Sichuan (Zhantoxylum simulans Hance, 1866) ditye hua jiao, 野花椒 en mandarin (allemand : Täuschendes Gelbholz ; anglais : Chinese-pepper, Sichuan-pepper ; français : clavalier à feuilles de frêne, poivrier du Sichuan), appartenant à la famille des Rutacées1dont nous utilisions les feuilles et les coques des fruits comme épice. J’insiste sur le « un » car il existe au sein du genre Zhantoxylum2 d’autres espèces voisines d’Extrême-Orient telles Z. armatum, Z. bungeanum, Z. piperitum ou Z. schinifolium qui sont aussi utilisées de la même manière et régulièrement qualifiées de poivrier du Sichuan ou de poivrier de Chine.
Cet arbuste3 assez décoratif de biomes tempérés aussi large que haut atteint 4 à 7 m et comprend des types monoïques et dioïques. Ses feuilles vert-foncé, tournant au jaune orangé en automne avant de tomber, sont disposées de façon alterne, pennées, porteuses de glandes huileuses, longues de 7 à 12,5 cm, avec 5 à 15 folioles, les folioles longues de 3 à 5 cm et larges de 1,5 à 2 cm. Lorsqu’on les froisse, une odeur agréable d’agrume à la fois épicée, boisée, citronnée et légèrement poivrée, mais douce s’en dégage. Le poivrier du Sichuan a la particularité de présenter des aiguillons accrescents de plusieurs cm le long de son tronc ainsi que des épines courtes de 3-6 mm sur les pétioles des feuilles qui décourage petits et grands de grimper dessus en efont un excellent candidat pour créér des haies impénétrables.


Détails des fleurs et des fruits
La floraison apparaît sur les plants de 3 ou 4 ans et devient vite abondante, les arbres cultivés portant préférentiellement des fleurs mâles et femelles et étant auto-fertiles. Elle a lieu en Chine de mars à mai, plutôt de mai à juin en France. Les fleurs jaune-verdâtre, légèrement parfumées et d’environ 4 à 5 mm de diamètre, sont regroupées en cymes élancées. La fructification s’effectue de juillet à septembre en Chine, d’août à octobre en France. Le fruit issu des fleurs femelles fécondées est une baie de 3 à 5 mm avec une coquille rugueuse verte, puis rose-rouge à brun rougeâtre qui se fend à maturité pour libérer de l’intérieur les graines d’un noir brillant, graines qui ressemblent fort à un œil de souris.
Ce poivrier oriental est natif4 des plaines et des forêts de montagne de Chine continentale (centre-nord, centre-sud, sud-est : Anhui, Fujian, Gansu, N Guangdong, NE Guizhou, Hebei, Henan, Hubei, Hunan, Jiangsu, Jiangxi, Qinghai, Shaanxi, Shandong, Zhejiang), de Taïwan, et de la péninsule coréenne.

Distribution spontanée de Zhantoxylum simulans – source Kew Garden
Très rustique, préférant les expositions ensoleillées à mi-ombrées et tolérants tous le sols légèrement acides à basiques, le poivrier du Sichuan pousse très vite et tolère la taille. Il résiste aussi à des froids prolongés pouvant atteindre -15 à -25°c en hiver avec ou sans neige qu’à des températures de l’ordre de 35-45°C en été. Par contre, il vaut mieux l’abriter des vents violents car son système racinaire est souvent faible, surtout lorsqu’il provient de bouture .

Jeune plant de 3 ans issu de semis, Orcines, Puy-de-Dôme – Juin 2020
Ce poivrier du Sichuan est facile à cultiver à partir de semis de graines fraîches dans des pots entreposées dehors pour stratification et ne nécessite pas d’être greffé. Il est opportun de fournir aux plants un arrosage fréquent la première année, sans exagérer celui-ci. Depuis quelques années, ma sœur et moi-même en avons semé et introduit avec succès au Puy-de-Dôme, dans l’ouest de Clermont-Ferrand, à Durtol (marno-calcaire, 560 m d’altitude) et à Orcines (sols d’origine volcanique, 730 m) qui commencent à produire. Des boutures de 15 cm de mi-août dans du terreau frais peuvent être une autre manière de multiplier rapidement un plant déjà existant particulièrement productif.
En cuisine, on peut utiliser au printemps les premières feuilles à la manière de celles du frêne ou du tilleul, pour déguster des omelettes parfumées ou accompagner un poisson ou une viande blanche.
Toutefois, seule la coque constitue l’épice recherchée car si la graine n’est pas toxique, elle n’a pas bon goût.
Au jardin, la coque peut être testée fraîche. En sus de sa dominante poivrée, elle offre une sensation étonnante en bouche sur la langue et les lèvres qui surprendra celles et ceux à qui vous la ferez goûter : subtilement parfumée, florale, peu piquante, légèrement irritante (pseudo-chaleur), et procurant en même temps une sensation de picotement (paresthésie), doublée d’une mini-anesthésie, ce phénomène sans danger dure quelques minutes et ne manque pas de surprendre. Les composés chimiques naturels responsables de cette perception unique sont connus : ce sont l’apha-sanshool et l’alpha-hydroxy-sanshool5, des amides que l’on retrouve aussi dans son huile essentielle6.
Pour obtenir l’épice et la stocker, on récolte les baies à prématurité sur l’arbre et on les laisse traditionnellement dessécher au soleil en couches minces sur une surface plane. Ensuite, par vannage, on sépare les graines des coques, qui sont seules conservées et stockées à l’ombre dans des bocaux étanches en verre ou en porcelaine. Les coques peuvent ensuite être utilisées telles que ou broyées dans un moulin à poivre selon les recettes que l’on veut relever. Comme pour beaucoup d’épices, je vous suggère en cuisine de les faire griller 1-2 minutes dans un wok ou une poêle à sec afin de libérer tous leurs arômes.


Epice – Source : Wiji CC/ W.Grassroot; plat de poulet au poivre du Sichuan servi avec une purée de tomate légèrement pimentée – Source : theironyou.com
Ces coques permettent de fabriquer aussi des huiles ou du sel parfumé d’emploi très facile. On peut de même recréer avec elles le fameux mélange chinois aromatique aux « cinq épices » en les broyant avec de l’anis étoilé (badiane), de la cannelle, du clou de girofle et des graines de fenouil. Je ne m’étendrai pas plus sur ces aspects gastronomiques, vous laissant en votre cuisine consulter les recettes chinoises, tibétaines, bhoutanaises, coréennes et japonaises ayant déjà largement sublimé le poivre du Sichuan ou 川椒 chuānjiāo (il est parfois appelé également 花椒 huājiāo ou « poivre fleur », 山椒 shānjiāo ou « poivre de montagne ») et suivre les ressources de votre propre imagination.
En médecine traditionnelle chinoise, où la cuisine est sensée participer à maintenir quotidiennement chacun en bonne santé, le poivrier du Sichuan aide à la digestion et est employé comme diurétique et anti-douleur, voire anesthésiant. Riche en antioxydants, certaines recherches pharmaceutiques récentes lui prêtent même des effets dans le traitement du cancer de l’estomac, de l’arthrite chronique et d’autres pathologies sérieuses7.
Si vous en avez la possibilité, plantez donc un poivrier du Sichuan chez vous. Comme Alphonse Allais, vous n’hésiterez pas demain de constater que « le sel de l’existence est essentiellement dans le poivre qu’on y met » !
Alain Bonjean, 126e article
Orcines, le 20 février 2023
Mots-clefs : poivrier du Sichuan, Zhantoxylum simulans, Rutacée, arbre, épice, Chine, Taïwan, Corées, hydroxy-alpha-sanshool, plante médicinale
1 – Environ 900 espèces réparties en 150 genres. Les agrumes appartiennent notamment à cette famille.
2 – Le nom de ce genre provient du grec ξανθὸν ξύλον, signifiant « bois jaune ».
D.K. Medhi, B.S. Bau (2013). The genus Zanthoxylum – A stockpile of biological and ethnomedicinal properties. OASR 2, 697 doi:10.4172/ scientificreports.697
3 – Zanthoxylum simulans in Flora of China @ efloras.org ; Zanthoxylum simulans (Chinese-pepper) | BioLib.cz ; 2011-68-3-a-taste-of-sichuan-zanthoxylum-simulans.pdf (harvard.edu)
4 – Zanthoxylum simulans Hance | Plants of the World Online | Kew Science
5 – E. Sugai et al. (2005). Pungent qualities of sanshool-related compounds evaluated by a sensory test and activation of rat TRPV1. Bioscience, biotechnology and biochemistry 69, 10, 1951-1957.
6 – Huile essentielle de Zanthoxyle (Poivre de Sichuan) : comment l’utiliser correctement ? (compagnie-des-sens.fr)
7 – (PDF) Inhibitors Targeting Multiple Janus Kinases From Zanthoxylum simulans Mediate Inhibition and Apoptosis Against Gastric Cancer Cells via the Estrogen Pathway Chelerythrine inhibitory effects on AGS by not only direct inhibiting JAKs but also down- regulating the estrogen pathway (researchgate.net) ; [PDF] Isoquinoline alkaloids from Zanthoxylum simulans and their biological evaluation | Semantic Scholar