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La joubarbe des toits, amie du genre humain.

Joubarbe des toits de mon jardin, Orcines, Puy-de-Dôme, février 2023 -©AlainBonjean

Suite à la lecture de mon récent article sur le souci, une des lectrices de mon blog évoquait dans un message les joubarbes comme plantes compagnes de cette Astéracée, ce qui est souvent le cas dans le sud de la France et m’a suggéré l’idée de ce papier. Je l’en remercie.
Mon père André Bonjean (1926-2015), qui avait parmi ses passe-temps la taille de la pierre de Volvic et aimait beaucoup la nature, était à ce double titre un grand amateur de joubarbes qu’il plantait dans les murets de son jardin, après en avoir collecté des spécimens durant ses nombreuses randonnées. Parmi elles, la joubarbe des toits (Sempervivum tectorum L., 1753) souvent appelée barbe de Jupiter mais aussi artichaut bâtard, artichaut des murailles, artichaut des toits, artichaut sauvage, barbajou, grande joubarbe, herbe-aux-brûlures, herbe-aux-cors, herbe-aux-coupures, herbe du tonnerre, pain d’oiseau, poivre des murailles, rose des pierres (allemand : Dach-Hauswurz, Dachwurz, Donnersbart, Echte Hauswurz, Gemeine Hauswurz ; anglais : common houseleek, hen-and-chicken houseleek, house-leek, houseleek, roof houseleek ; arabe : مخلدة السطوح ; catalan : matafoc comu ; basque : beti-bizi, betibizi, betibizia, betilicia, betilora, betilosa, biarri-belarra, doldabelarr, doldabelarra, teilatuetako betibizi, teilatuetako betibizia, teilatuetako betibizia, zurracallote ; chinois : ching-t’un ; croate : Čuvarkuća ; danois : almindelig husløg, tagløg ; espagnol : alcachotera de gata, hierba de todol el año, simepreviva mayor ; finlandais : kattomehitähti, tähtisipuli ; hollandais : donterblatt ; hongrois : fali kövirózsa, fülfü, házi kövirózsa ; islandais : Þekjulaukur ; italien : semprevivo dei teitti, semprevivo maggiore ; norvégien : takløk, husløk, mor til tusen barn, sifylle, Syfiller, vanlig takløk, Årsens grøde, taklauk ; occitan : barbajòl, cojauda, cussòta, èrba dau copadis, èrba grassa, èrba del tron ; persan : برون ب ر ; polonais : rojnik murowy ; portugais : cardo santo, carne-junta, herba cepeira, herba da foc, herba da punta, herba das nacidas, herba do ponto, herba dos callos, herba dos puntos, herba punteira, herba tioura, pinheira, puntaira, saiaon grande, saiâo, saiâo curto, saiâo-curto, sayaon, sayâo curto, sempre-viva-dos-telhados, semprenoiva ; russe : mолодилокровельное; slovaque : netresk ; slovène : skalnica strechová ; ukrainien : mолодлопокрівльне, mолодилодахове, mолодлодхове), était une de ses plantes favorites. C’est une Crassulacée, donc une plante grasse. Le nom du genre Sempervirens provient du latin « semper », signifiant toujours, et de « vivo », je vis, car ses feuilles succulentes sont toujours vertes. Son nom français dérive du latin « Jovis barba », barbe de de Jupiter.

La joubarbe des toits est une plante vivace robuste (2n = 36, 72)1 aux grandes rosettes (5-10 cm) à feuilles raides, très charnues et succulentes, longues de 2-5 cm sur 1-1,5 cm de large, obovales-oblongues peu rétrécies à la base, aux faces glabres, d’un vert vif à foncé, voire grisâtre, rougeâtre, non glanduleuses qui émet du centre des rosettes des tiges charnues de 15-50 cm mollement velues aux feuilles caulinaires oblongues, submucronées. La racine peu fibreuse est très fréquemment mycorhizée.
Certains botanistes antérieurs au marquage moléculaire en distinguent plusieurs sous-espèces dont la joubarbe d’Auvergne, Sempervirum tectorum subps. arvenense (Lecoq & Lamotte) Rouy & E.G. Camus, 1901, d’origine hybride suivie d’isolation2, qui se différencie du type Sempervirum tectorum subps. tectorum L. 1753 par des feuilles dont les faces sont moins velues au moins dans leur jeunesse et par des étamines à filets velus à la base3. La variabilité de ce taxon est controversée tant la variabilité de la joubarbe des toits est importante, mais il apparaît toutefois assez homogène dans le Massif central.

Plante fleurie, Py, Pyrénées orientales, août 2006 – ©TelaBotanica-CBernier ; détail des fleurs, Le Reposoir, Haute-Savoie, juillet 2011 – ©TelaBotanica-JdeBoos

La floraison intervient en juin-août sous formes de panicules thyrsoïdes ou corymbiformes. Les fleurs hermaphrodites sont étoilées, roses, grandes (20-30 mm), pédicellées ou subsessiles et mellifères. Les 8-20 pétales sont étalés, lancéolés-linéaires, pubescents, deux fois plus longs que le calice, accompagnés de 16-40 étamines et de 8-20 stigmates courts portés par des carpelles divergents, oblongs-acuminés. Les fruits sont des follicules s’ouvrant sur un côté et contenant de nombreuses graines sur deux rangs, généralement dispersées par les fourmis. Epuisée par la floraison de cette inflorescence, la rosette feuillée sèche et meurt après la maturité des graines.

Il est à noter qu’en complément de sa reproduction sexuée, la joubarbe des toits se multiplie végétativement de manière intensive en émettant à partir de ses rosettes de petits stolons se terminant eux-mêmes en mini-rosettes qui se détachent de la plante-mère et s’implantent à l’endroit où ces dernières tombent, ou où le vent les pousse. Elle tend ainsi à former des colonies clonales de dizaines de rosettes très serrées, générant des plaques de véritables matelas végétaux.

Jeune pousse prête à se détacher d’un plant plus âgé, Orcines, Puy-de-Dôme, février 2023 – ©AlainBonjean ; colonie clonale débordant de son support ©ZoomNature


Très probablement transportée de montagnes d’Asie ou d’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest par divers flux d’hommes préhistoriques qui l’avaient proto-domestiquée à partir de montagnardes du même genre et en faisaient un usage médicinal, la joubarbe des toits est aujourd’hui commune dans presque toute la France et une grande partie de l’Europe, notamment centrale, de l’Afrique du Nord et du Caucase, où il est aujourd’hui quasi impossible de distinguer les populations spontanées des populations cultivées antiques de celles échappées des cultures et devenues férales. Elle a aussi été introduite durant la période historique en Scandinavie et sur divers points de la côte est de l’Amérique du Nord4 ainsi que plus rarement dans d’autres points du globe. Espèce de lumière fréquente sur les falaises et les rochers surtout en montagnes, dans les lieux secs, les terrains sablonneux et dans les hauteurs jusqu’aux environs de 2800 m d’altitude, la joubarbe des toits s’adapte bien à la sécheresse comme au froid.

Depuis quelques année, des sélectionneurs de cette espèce et d’autres Sempervirum sp. en Amérique du Nord et en Europe ont collecté, puis sélectionné et hybridé des joubarbes bouleversant le monde de ces espèces par la création de formes ornementales aux feuilles de couleurs et de formes variées, voire aux fleurs de nouveaux coloris.

Joubarbes hybrides ornementales récentes : joubarbe Chick Charms® Gold Nugget TM créée au Michigan, USA par Christopher Hansen ©R.Giguère ; joubarbe Peggy obtenue en Belgique par André Smits ©R.Giguère 

Dans l’Antiquité, le philosophe grec Théophraste (372-288 av. J.-C.) a cité la joubarbe des toits dans ses écrits. Son compatriote médecin, pharmacologue et botaniste Dioscoride (30-90) l’a décrite et précisé que « certains la plantent sur les maisons »5 tout en indiquant qu’il la destinait «  à un ensemble d’affections caractérisées par une inflammation (zona, brûlure, maux de tête, ophtalmie, accès de goutte, etc.) mais aussi pour diverses pathologies pour lesquelles il est nécessaire de resserrer les tissus (diarrhée, dysenterie, ulcère, abcès)6». Le naturaliste et écrivain romain Pline l’Ancien (23-79) en a détaillé l’utilisation au potager en particulier pour protéger les choux des chenilles. Plus tard, Charlemagne (c.742-814) a ordonné par son Capitulaire de Villis qu’on la plante sur les toits des édifices et habitations comme plante susceptible de les protéger de la foudre, rituel d’origine apparemment romaine qui s’est perpétué jusqu’à nos jours dans certaines de nos régions. Il s’explique peut-être par le fait que de nombreux toits antiques étaient en chaume et que ceux couverts de joubarbes résistaient mieux aux incendies déclenchés par la foudre que ceux qui n’en portaient pas7.

Au niveau de la sphère intime, la joubarbe des toits était depuis longtemps considérée en Europe par les femmes comme une plante magique. Porter la plante fraîche sur soi était censé attirer les rencontres amoureuses. Dans certaines régions, comme la Sicile, les jeunes filles donnaient les noms de leurs prétendants à plusieurs fleurs de la joubarbe et le premier à fleurir prédisait le nom du futur mari. Plus tard dans l’existence, faire manger des feuilles de joubarbe (elles ne sont pas toxiques) à son époux pouvait agir contre l’ivresse de celui-ci rentrant tard et enivré à la maison et même, si besoin, aussi aider à « dénouer son aiguillette », à moins qu’ayant glissé sous son oreiller une rosette de joubarbe dans un tissu noir, cela lui ait procuré un sommeil apaisant. En Italie, on faisait souvent boire du suc de joubarbe pour assurer une longue vie aux nouveau-nés, les garantir des convulsions et des fièvres et les protéger des peurs et des sorcelleries. On disait aussi qu’à l’approche d’une sorcière ou d’un sorcier, la joubarbe des toits avertissait les habitants d’un foyer en fanant rapidement quelle que soit la saison. Dans certains cantons d’Auvergne, cette plante était tellement considérée comme une amie de la gent féminine que les grands-mères en offraient encore des pots à leurs petites-filles lors de leurs noces au début du XXe siècle.

En médecine traditionnelle, le recours à la joubarbe des toits est également ancien du fait des propriétés cicatrisantes, kératolytiques (capacité de ramollir, voire de dissoudre la couche cornée de l’épiderme) et apaisantes du suc de ses feuilles, d’où certains de ses noms locaux tels « herbe-aux-brûlures », « herbe-aux-cors » et « herbe-aux-coupures ». Le suc astringent, émollient, vulnéraire et antispasmodique a aussi été employé pour traiter les ulcères des yeux, les dartres, les otites, les piqures d’abeille et d’autres insectes.
Chimie et pharmacie modernes ont révélé que les feuilles de la joubarbe des toits contiennent des acides organiques, en particulier de l’acide citrique, de l’acide formique et de l’acide malique, des tanins, des flavonoïdes, des substances mucilagineuses, des huiles, des résines, des sucres et des traces d’alcaloïdes.

Vu ses divers usages ornementaux et médicinaux, la joubarbe des toits bénéficie depuis des millénaires d’un grand capital de sympathie auprès de diverses populations de l’hémisphère nord, et ce, notamment en Europe. Avec le réchauffement climatique, son indéniable adaptation à la sécheresse devrait continuer d’en faire une plante plus que jamais compagne de notre espèce dans les siècles à venir.

Alain Bonjean, 127e article
Orcines, le 1er mars 2023

Mots-clefs : Joubarbe des toits, Sempervirum tectorum, Crassulacée, plante succulente, suc, plante grasse, plante magique, plante médicinale, plante mellifère, plante ornementale, vivace, Europe et Asie de l’ouest

1SEMPERVIVUM TECTORUM.pdf (jardibotanic-gombren.cat)

2 – A. G. Fabtitzek et al. (2021). Hybridization, ecogeographical displacement and the emergence of new lineages – A genotyping-by-the sequencing and ecological niche and species distribution modelling study of Sempervivum tectorum M. (Houseleek). J. Evolutionary Biology, 34, 830-844, Hybridization, ecogeographical displacement and the emergence of new lineages – A genotyping‐by‐sequencing and ecological niche and species distribution modelling study of Sempervivum tectorum L. (Houseleek) (wiley.com)

3 FLOREALPES : Sempervivum tectorum subsp. arvernense / Joubarbe d’Auvergne / Crassulaceae / Fiche détaillée Fleurs des Hautes-Alpes

4Sempervivum tectorum L. | Plants of the World Online | Kew Science

5 – Dioscoride (c. 70). Materia medica, livre 4, chap. 77.

6 – La joubarbe des toits (Sempervirum tectorum), blog Books of Dante du 23 juillet 2018.

7 – Selon P. Fournier, « il semble que tout d’abord, on plantait la joubarbe sur les huttes primitives afin d’en protéger le toit contre les dégâts des grandes pluies »,
Paul-Victor Fournier (1947), Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Ed . P. Lechevalier, p. 526

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