« Il faut toujours garder une poire pour la soif » nous conseille un joli proverbe de nos amis québécois. D’accord, mais d’où nous vient le poirier européen (Pyrus communis L. 1753), cet arbre à feuilles caduques, ovales à elliptiques et aux fruits piriformes ou subglobuleux, souvent gouteux, de la grande famille des Rosacées pouvant atteindre 20 m de haut, parfois épineux à l’état jeune, que l’on trouve en nos vergers et aussi en nos bois sous une diversité de formes étonnamment variée1 ? Les poiriers asiatiques ont-ils la même origine ?



Diversité morphologique des poiriers cultivés : poirier haute-tige à poiré de 17 m Barenton, Manche ©Manche.observatoiredesarbres.fr ; poirier basse-tige, Belgique ©Lespépinièresd’Enghien ; poirier taillé en palmette ©Gerbeaud

Magnifique collection de poires européennes en papier mâché peint créée par Heinrich Arnoldi & Gotha en Allemagne durant la seconde moitié du XIXe
© Jardinsbotaniquesd’Adelaide
Les poiriers , originaires d’Eurasie entre les 38e et 60e degrés de latitude nord, forment une famille d’arbres fruitiers importants des régions tempérées avec ? selon la FAO, une production mondiale annuelle d’environ 20 millions de tonnes. Le genre Pyrus2comprend au moins 22 espèces et plus de 5000 accessions en seraient aujourd’hui maintenues de par le monde, dont de très nombreux types sélectionnés au XIXe siècle3, fréquemment multipliés par greffe (2n = 2x = 34, plus quelques polyploïdes). Celles-ci présentent une très grande variabilité physiologique et morphologique ainsi qu’une large capacité d’adaptation à des milieux très différents. Les poiriers sauvages étant des plantes à fleurs auto-incompatibles, leur pollinisation croisée est obligatoire4. Par suite, l’hybridation des poiriers n’est pas seulement intraspécifique mais aussi interspécifique malgré leur vaste distribution géographique.
La lignée Pyrus originelle5 remonte probablement à l’ère tertiaire, entre 65 et 55 millions d’années et semble avoir pour origine les montagnes du sud-ouest de la Chine. Par la suite, elle a été dispersée dans diverses chaînes de montagnes tant vers l’est que vers l’ouest6. Cette double répartition géographique régionale a donné lieu au développement respectif des poiriers asiatiques et européens. Les premières cultures connues de poires asiatiques remontent à au moins 3000 ans7, voire 4000 ans, avec la présence certaine de vergers en Chine il y a 2000 ans8. Les poires européennes ont été cultivées depuis plus de 3000 ans9, avec des cultivars bien décrits à compter de 300 av. J.-C. Chez les Grecs, au VIIIe siècle av. J.-C., Homère les nommait « cadeaux des dieux ». Les Romains les ont ensuite propagé systématiquement dans leur empire par greffe, notamment en Gaule, et les consommaient souvent cuites.

Relations génétiques des principaux poiriers sauvages dans leur distribution géographique ©Wu et al. 2022
Divers résultats de biologie moléculaires10 nous permettent aujourd’hui de conclure que les poiriers cultivés européens et les poiriers cultivés asiatiques ont été domestiqués de manière indépendante.
Pyrus communis, le poirier européen, espèce européenne cultivée prédominante a été domestiquée dans l’Asie de l’ouest et l’est de l’Europe, puis a été diffusée dans le reste de l’Europe et certaines zones d’Afrique du Nord11. Il porte des fruits typiques de poire à chair douce et lisse, parfois très dure, ayant un arôme et une saveur marquées12. Les principales espèces de poiriers cultivés en Asie qui incluent le poirier des sables (P. pyrifolia (Burm. F.) Nakai, 1926)13oushali,nashi, le poirier de Bretschneider (P. bretschneideri Rehder, 1915)14ou baili, le poirier du Xinjiang (P. x sinkiangensis T.T. Yu, 1963)15, et le poirier chinois (P. ussuriensis Maxim., 1857)16, dit aussi de Harbin, natif de Mandchourie, proviennent de Chine ainsi que d’un centre secondaire de domestication situé en Asie centrale. Elles offrent des fruits de forme ronde à chair croustillante, riche en sucre, et faible acidité, peu aromatique et de saveur douce.




Fruits des principales poires asiatiques : P. pyrifolia ©HobbySeeds, P. bretschneideri©fpcnnet, P. sinkiangensis©AlainBonjean, et P. ussuriensis©DiversityofLife
L’analyse phylogénétique a révélé que les poiriers cultivés européens (P. communis) formaient un clade niché dans des populations sauvages de poiriers européens. Ce clade peut lui-même être classé en deux groupes : un groupe européen I incluant tous les poiriers sauvages d’Europe et d’Afrique du Nord ; un groupe européen II regroupant tous les poiriers cultivés (à l’exception d’un poirier atypique relié au poirier jaune, dit également poirier des neiges, poirier d’hiver, P. nivalis Jacq. 177417, natif d’Europe centrale et du Sud jusqu’à la Turquie dont les fruits sont utilisés dans la production de poiré, boisson alcoolisée effervescente similaire au cidre obtenue par fermentation du jus de poire) dont le poirier âpre, dit aussi aigrin, blossonier, poirier sauvage (P. communis subsp. pyraster (L.) Ehrh, 1780)18 paraît le progéniteur majeur. Notons toutefois qu’une autre étude moléculaire récente19 menée en Azerbaïdjan semble suggérer que P. communis pourrait être plus proche de P. caucasica et de P. nivalis que de P. pyraster – le choix des accessions retenues pour les analyses par les divers auteurs de ces publications successives pourrait expliquer qu’il subsiste ces apparentes divergences taxonomiques.
Les mêmes analyses ainsi que celle de la structure des populations ont montré que les poiriers asiatiques formaient quatre groupes : Le groupe asiatique I comprend un grand nombre d’accessions de P. bretschneideri et de P. pyrifolia. Le groupe asiatique II regroupe des accessions sauvages de Chine, du Japon et de Corée ; au sein de cet ensemble, la relation phylogénétique étroite des cultures de P. bretschneideri et de P. pyrifolia avec P. pyrifolia sauvage a fourni des preuves au niveau du génome pour appuyer l’hypothèse que les deux espèces cultivées de poire asiatique, P. bretschneideri et P. pyrifolia, dérivent d’un ancêtre commun, le P. pyrifolia sauvage20. Le groupe asiatique III groupe des introductions de P. ussuriensis sauvages et cultivées montrant leur adaptation commune aux régions les plus froides de Chine. Le groupe asiatique IV inclue toutes les accessions cultivées dérivant de P. sinkiangensiset a révélé un fond génétique hybridé de cette espèce entre poiriers asiatiques et européens ; ce résultat est convergent avec les contacts historiques entre l’est et l’ouest au long des routes de la Soie entre 207 av. J.-C. et 220 et aussi avec le récit qu’un envoyé impérial Han Qian Zhang (? -113 av. J.-C.) apporta des poires asiatiques comme présents diplomatiques au Xinjiang21.

Ces analyses ont amener Jun Wu et al. précités à proposer en 2018 l’arbre de divergence suivant des poiriers européens et asiatiques.
Des travaux de compilations de données nutritionnelles et de médecine traditionnelle conduits en Corée du Sud22 et au Pakistan23 ont permis de mettre en évidence des propriétés fonctionnelles de différentes poires. Ces fruits contiennent en effet de nombreux composés actifs, tels des flavonoïdes, des triterpénoïdes et des acides phénoliques y compris l’arbutine, l’acide chlorogénique, l’acide malaxinique, etc. , souvent concentrés dans leurs pelures. Par suite, les fonctions médicinales des poires Comprennent des effets anti-diabétiques, anti-obèsité, anti-hyperlipidémiques, anti-inflammatoires, anti-mutagènes et anti-cancérogènes, mais aussi protecteurs des sphères respiratoires et cardiaques.

Principaux composés actifs et fonctions médicinales des poires ©Note21
« Il faut » donc « toujours garder une poire pour la soif » mais aussi toujours garder des poires à proximité pour notre santé !
Alain Bonjean, 129e article
Orcines le 22 mars 2023
Mots-clefs : poirier, Pyrus communis, Pyrus spp., Rosacée, arbre fruitier, pollinisation croisée, croisement intraspécifique, croisement interspécifique, domestication, flux génétiques, nutrition fonctionnelle, médecine traditionnelle
1 – J. F. Hancock, G.A. Lobos (2014). Pears, chap. 10. In: JF Hancock, ed., Temperate Fruit Crop Breeding : Germplasm to genomics. Kluwer Academic Publishers, 299-336.
2 – R.L. Bell et al. (1996). Fruit breeding, J. Janick, J.N. Moore (co-ed.). New York, John Willey & Sons, 441-514.,
3 – Olivier de Serres, jardinier de Louis XIV ; citait déjà 61 variétés de poirier. André Leroy, dans Les Poires (1867 et 1869) de son Dictionnaire de pomologie, en décrit 915
4 – G. Silva et al. (2018). Pear (Pyrus spp.) breeding, vol. 3. Advances in Plant Breeding strategies: Fruits, 131-163.
5 – J.T. Jan et al. (1992). Identification of Pyrus species by leaf peroxidase isozyme phenotypes. J. Jpn. Soc. Hortic. Sci. 61, 273-286.
6 – G.A. Rubtsov (1944). Geographical distribution of the genus Pyrus and trends and factors in irs evolution. Am. Nat. 78, 358-366.
7 – A. Kikuchi (1946). Speciation and taxonomy of Chinese pears. Collected Records Hort. Res. 3, 1-8.
8 – S.A. Pieniazek (1967). Fruit production in China. In: Proceedings of the XVII International Horticulture Congress, 23–26 July 1967, East Cansing. Michigan, 427–56
9 – U.P. Hedrick et al. (1924). The pears of New York. J Pomol Hort Sci. 3, 153–155.
10 – J. Wu et al. (2018). Diversification and independent domestication of Asian and European pears. Genome Biology 19, 77, Diversification and independent domestication of Asian and European pears | Genome Biology | Full Text (biomedcentral.com) ; Origine, domestication et dispersion de la poire (Pyrus spp.) | St. Charles (stcharlesthemartyr.org)
11 G.J. Silva et al. (2014). Origin, domestication and dispersing of pear (Pyrus spp.). Advances in Agriculture ID 541097, 8 p., https://doi.org/10.1155/2014/541097
12 – Dans la religion chrétienne qui a repris à son compte des rituels grecs appliqués à Héra et Aphrodite, la Vierge Marie a été comparée à un poirier et Jésus, son fils, à son fruit pour sa douceur.
13 – Pyrus pyrifolia (Burm.f.) Nakai (worldfloraonline.org)
14 – Pyrus bretschneideri Rehder | Plants of the World Online | Kew Science
15 – Pyrus sinkiangensis T.T.Yu (worldfloraonline.org)
16 – Pyrus ussuriensis Harbin Pear, Chinese pear, Ussurian Pear PFAF Plant Database
17 – Pyrus nivalis Jacq. | Plants of the World Online | Kew Science
18 – Pyrus communis subsp. pyraster – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; L. Dondini et al. (2012. European pears. In : M.L. Badenes, D.H. Byme, co-ed. Fruit Breeding. New York Springer, 369-413.
19 – Z. U. Aydin (2019). Taxonomic and biogeographic notes on the genus Pyrus L. (Rosaceae): a new record and a new synonym, with data on seed morphology. Plant & Fungal Research 2, 1, 2-8.
20 – L. Bao et al. (2007). Genetic diversity and similarity of pear (Pyrus L.) cultivars native to East Asia revealed by SSR (simple sequence repeat) markers. Genet. Resour. Crop Evol. 54, 959–971; Q. Liu et al. (2015) Genetic diversity and population structure of pear (Pyrus spp.) collections revealed by a set of core genome-wide SSR markers. Tree Genet. Genom. 11,128
21 -L. Boulnois (2004). Silk road: monks, warriors & merchants on the Silk Road. New York: WW Norton & Co Inc. ; J. Prevas (2005). Envy of the gods: Alexander the Great’s ill-fated journey across Asia. Boston: Da Capo Press.
22 – A review of pears (Pyrus spp.), ancient functional food for modern times | BMC Complementary Medicine and Therapies | Full Text (biomedcentral.com)
23 – M. Mushtaq et al. (2019). Pear (Pyrus communis) Seed Oil. In: M.F. Ramadan, ed., Fruit oils: chemistry and functionality 47, 859-874, https://doi.org/10.1007/978-3-030-12473-1_47