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D’où proviennent le poirier européen et les poiriers asiatiques ?

« Il faut toujours garder une poire pour la soif » nous conseille un joli proverbe de nos amis québécois. D’accord, mais d’où nous vient le poirier européen (Pyrus communis L. 1753), cet arbre à feuilles caduques, ovales à elliptiques et aux fruits piriformes ou subglobuleux, souvent gouteux, de la grande famille des Rosacées pouvant atteindre 20 m de haut, parfois épineux à l’état jeune, que l’on trouve en nos vergers et aussi en nos bois sous une diversité de formes étonnamment variée1 ? Les poiriers asiatiques ont-ils la même origine ?

Diversité morphologique des poiriers cultivés : poirier haute-tige à poiré de 17 m Barenton, Manche ©Manche.observatoiredesarbres.fr ; poirier basse-tige, Belgique ©Lespépinièresd’Enghien ; poirier taillé en palmette ©Gerbeaud


Magnifique collection de poires européennes en papier mâché peint créée par Heinrich Arnoldi & Gotha en Allemagne durant la seconde moitié du XIXe
© Jardinsbotaniquesd’Adelaide

Les poiriers , originaires d’Eurasie entre les 38e et 60e degrés de latitude nord, forment une famille d’arbres fruitiers importants des régions tempérées avec ? selon la FAO, une production mondiale annuelle d’environ 20 millions de tonnes. Le genre Pyrus2comprend au moins 22 espèces et plus de 5000 accessions en seraient aujourd’hui maintenues de par le monde, dont de très nombreux types sélectionnés au XIXe siècle3, fréquemment multipliés par greffe (2n = 2x = 34, plus quelques polyploïdes). Celles-ci présentent une très grande variabilité physiologique et morphologique ainsi qu’une large capacité d’adaptation à des milieux très différents. Les poiriers sauvages étant des plantes à fleurs auto-incompatibles, leur pollinisation croisée est obligatoire4. Par suite, l’hybridation des poiriers n’est pas seulement intraspécifique mais aussi interspécifique malgré leur vaste distribution géographique.

La lignée Pyrus originelle5 remonte probablement à l’ère tertiaire, entre 65 et 55 millions d’années et semble avoir pour origine les montagnes du sud-ouest de la Chine. Par la suite, elle a été dispersée dans diverses chaînes de montagnes tant vers l’est que vers l’ouest6. Cette double répartition géographique régionale a donné lieu au développement respectif des poiriers asiatiques et européens. Les premières cultures connues de poires asiatiques remontent à au moins 3000 ans7, voire 4000 ans, avec la présence certaine de vergers en Chine il y a 2000 ans8. Les poires européennes ont été cultivées depuis plus de 3000 ans9, avec des cultivars bien décrits à compter de 300 av. J.-C. Chez les Grecs, au VIIIe siècle av. J.-C., Homère les nommait « cadeaux des dieux ». Les Romains les ont ensuite propagé systématiquement dans leur empire par greffe, notamment en Gaule, et les consommaient souvent cuites.

Relations génétiques des principaux poiriers sauvages dans leur distribution géographique ©Wu et al. 2022

Divers résultats de biologie moléculaires10 nous permettent aujourd’hui de conclure que les poiriers cultivés européens et les poiriers cultivés asiatiques ont été domestiqués de manière indépendante.

Pyrus communis, le poirier européen, espèce européenne cultivée prédominante a été domestiquée dans l’Asie de l’ouest et l’est de l’Europe, puis a été diffusée dans le reste de l’Europe et certaines zones d’Afrique du Nord11. Il porte des fruits typiques de poire à chair douce et lisse, parfois très dure, ayant un arôme et une saveur marquées12. Les principales espèces de poiriers cultivés en Asie qui incluent le poirier des sables (P. pyrifolia (Burm. F.) Nakai, 1926)13oushali,nashi, le poirier de Bretschneider (P. bretschneideri Rehder, 1915)14ou baili, le poirier du Xinjiang (P. x sinkiangensis T.T. Yu, 1963)15, et le poirier chinois (P. ussuriensis Maxim., 1857)16, dit aussi de Harbin, natif de Mandchourie, proviennent de Chine ainsi que d’un centre secondaire de domestication situé en Asie centrale. Elles offrent des fruits de forme ronde à chair croustillante, riche en sucre, et faible acidité, peu aromatique et de saveur douce.

Fruits des principales poires asiatiques : P. pyrifolia ©HobbySeeds, P. bretschneideri©fpcnnet, P. sinkiangensis©AlainBonjean, et P. ussuriensis©DiversityofLife

L’analyse phylogénétique a révélé que les poiriers cultivés européens (P. communis) formaient un clade niché dans des populations sauvages de poiriers européens. Ce clade peut lui-même être classé en deux groupes : un groupe européen I incluant tous les poiriers sauvages d’Europe et d’Afrique du Nord ; un groupe européen II regroupant tous les poiriers cultivés (à l’exception d’un poirier atypique relié au poirier jaune, dit également poirier des neiges, poirier d’hiver, P. nivalis Jacq. 177417, natif d’Europe centrale et du Sud jusqu’à la Turquie dont les fruits sont utilisés dans la production de poiré, boisson alcoolisée effervescente similaire au cidre obtenue par fermentation du jus de poire) dont le poirier âpre, dit aussi aigrin, blossonier, poirier sauvage (P. communis subsp. pyraster (L.) Ehrh, 1780)18 paraît le progéniteur majeur. Notons toutefois qu’une autre étude moléculaire récente19 menée en Azerbaïdjan semble suggérer que P. communis pourrait être plus proche de P. caucasica et de P. nivalis que de P. pyraster – le choix des accessions retenues pour les analyses par les divers auteurs de ces publications successives pourrait expliquer qu’il subsiste ces apparentes divergences taxonomiques.
Les mêmes analyses ainsi que celle de la structure des populations ont montré que les poiriers asiatiques formaient quatre groupes : Le groupe asiatique I comprend un grand nombre d’accessions de P. bretschneideri et de P. pyrifolia. Le groupe asiatique II regroupe des accessions sauvages de Chine, du Japon et de Corée ; au sein de cet ensemble, la relation phylogénétique étroite des cultures de P. bretschneideri et de P. pyrifolia avec P. pyrifolia sauvage a fourni des preuves au niveau du génome pour appuyer l’hypothèse que les deux espèces cultivées de poire asiatique, P. bretschneideri et P. pyrifolia, dérivent d’un ancêtre commun, le P. pyrifolia sauvage20. Le groupe asiatique III groupe des introductions de P. ussuriensis sauvages et cultivées montrant leur adaptation commune aux régions les plus froides de Chine. Le groupe asiatique IV inclue toutes les accessions cultivées dérivant de P. sinkiangensiset a révélé un fond génétique hybridé de cette espèce entre poiriers asiatiques et européens ; ce résultat est convergent avec les contacts historiques entre l’est et l’ouest au long des routes de la Soie entre 207 av. J.-C. et 220 et aussi avec le récit qu’un envoyé impérial Han Qian Zhang (? -113 av. J.-C.) apporta des poires asiatiques comme présents diplomatiques au Xinjiang21.

Ces analyses ont amener Jun Wu et al. précités à proposer en 2018 l’arbre de divergence suivant des poiriers européens et asiatiques.

Des travaux de compilations de données nutritionnelles et de médecine traditionnelle conduits en Corée du Sud22 et au Pakistan23 ont permis de mettre en évidence des propriétés fonctionnelles de différentes poires. Ces fruits contiennent en effet de nombreux composés actifs, tels des flavonoïdes, des triterpénoïdes et des acides phénoliques y compris l’arbutine, l’acide chlorogénique, l’acide malaxinique, etc. , souvent concentrés dans leurs pelures. Par suite, les fonctions médicinales des poires Comprennent des effets anti-diabétiques, anti-obèsité, anti-hyperlipidémiques, anti-inflammatoires, anti-mutagènes et anti-cancérogènes, mais aussi protecteurs des sphères respiratoires et cardiaques.

Principaux composés actifs et fonctions médicinales des poires ©Note21
« Il faut » donc « toujours garder une poire pour la soif » mais aussi toujours garder des poires à proximité pour notre santé !

Alain Bonjean, 129e article
Orcines le 22 mars 2023

Mots-clefs : poirier, Pyrus communis, Pyrus spp., Rosacée, arbre fruitier, pollinisation croisée, croisement intraspécifique, croisement interspécifique, domestication, flux génétiques, nutrition fonctionnelle, médecine traditionnelle

1 – J. F. Hancock, G.A. Lobos (2014). Pears, chap. 10. In: JF Hancock, ed., Temperate Fruit Crop Breeding : Germplasm to genomics. Kluwer Academic Publishers, 299-336.

2 – R.L. Bell et al. (1996). Fruit breeding, J. Janick, J.N. Moore (co-ed.). New York, John Willey & Sons, 441-514.,

3 – Olivier de Serres, jardinier de Louis XIV ; citait déjà 61 variétés de poirier. André Leroy, dans Les Poires (1867 et 1869) de son Dictionnaire de pomologie, en décrit 915

4 – G. Silva et al. (2018). Pear (Pyrus spp.) breeding, vol. 3. Advances in Plant Breeding strategies: Fruits, 131-163.

5 – J.T. Jan et al. (1992). Identification of Pyrus species by leaf peroxidase isozyme phenotypes. J. Jpn. Soc. Hortic. Sci. 61, 273-286.

6 – G.A. Rubtsov (1944). Geographical distribution of the genus Pyrus and trends and factors in irs evolution. Am. Nat. 78, 358-366.

7 – A. Kikuchi (1946). Speciation and taxonomy of Chinese pears. Collected Records Hort. Res. 3, 1-8.

8 – S.A. Pieniazek (1967). Fruit production in China. In: Proceedings of the XVII International Horticulture Congress, 23–26 July 1967, East Cansing. Michigan, 427–56

9 – U.P. Hedrick et al. (1924). The pears of New York. J Pomol Hort Sci. 3, 153–155.

10 – J. Wu et al. (2018). Diversification and independent domestication of Asian and European pears. Genome Biology 19, 77, Diversification and independent domestication of Asian and European pears | Genome Biology | Full Text (biomedcentral.com) ; Origine, domestication et dispersion de la poire (Pyrus spp.) | St. Charles (stcharlesthemartyr.org)

11 G.J. Silva et al. (2014). Origin, domestication and dispersing of pear (Pyrus spp.). Advances in Agriculture ID 541097, 8 p., https://doi.org/10.1155/2014/541097

12 – Dans la religion chrétienne qui a repris à son compte des rituels grecs appliqués à Héra et Aphrodite, la Vierge Marie a été comparée à un poirier et Jésus, son fils, à son fruit pour sa douceur.

13Pyrus pyrifolia (Burm.f.) Nakai (worldfloraonline.org)

14Pyrus bretschneideri Rehder | Plants of the World Online | Kew Science

15Pyrus sinkiangensis T.T.Yu (worldfloraonline.org)

16Pyrus ussuriensis Harbin Pear, Chinese pear, Ussurian Pear PFAF Plant Database

17Pyrus nivalis Jacq. | Plants of the World Online | Kew Science

18Pyrus communis subsp. pyraster – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; L. Dondini et al. (2012. European pears. In : M.L. Badenes, D.H. Byme, co-ed. Fruit Breeding. New York Springer, 369-413.

19 – Z. U. Aydin (2019). Taxonomic and biogeographic notes on the genus Pyrus L. (Rosaceae): a new record and a new synonym, with data on seed morphology. Plant & Fungal Research 2, 1, 2-8.

20 – L. Bao et al. (2007). Genetic diversity and similarity of pear (Pyrus L.) cultivars native to East Asia revealed by SSR (simple sequence repeat) markers. Genet. Resour. Crop Evol. 54, 959–971; Q. Liu et al. (2015) Genetic diversity and population structure of pear (Pyrus spp.) collections revealed by a set of core genome-wide SSR markers. Tree Genet. Genom. 11,128

21 -L. Boulnois (2004). Silk road: monks, warriors & merchants on the Silk Road. New York: WW Norton & Co Inc. ; J. Prevas (2005). Envy of the gods: Alexander the Great’s ill-fated journey across Asia. Boston: Da Capo Press.

22A review of pears (Pyrus spp.), ancient functional food for modern times | BMC Complementary Medicine and Therapies | Full Text (biomedcentral.com)

23 – M. Mushtaq et al. (2019). Pear (Pyrus communis) Seed Oil. In: M.F. Ramadan, ed., Fruit oils: chemistry and functionality 47, 859-874, https://doi.org/10.1007/978-3-030-12473-1_47

Réflexions autour du blé dur.

Mon ami Karim Ammar, sélectionneur blé dur du CIMMYT présentant ses essais variétaux, Ciudad Obregón, Mexique, mars 2009 – ©AlainBonjean

Comme son « neveu » le blé tendre (Triticum aestivum), le blé dur (Triticum turgidum subsp. durum (Desf.) Husn., 1899), parfois dit blé d’Afrique, (allemand : Glas-Weizen, Hart-Weizen, Hartweizen; anglais : durum wheat, pasta wheat ; catalan : blat compacte ; espagnol : trigo semolero ; italien : frumento duro, grano duro), est une céréale de la vaste famille des Poacées incontournable de notre alimentation. Son grain cultivé depuis le Néolithique, caractérisé par une amande dure et vitreuse et sa haute teneur en protéines, nous fournit des plats identitaires de certaines cultures tels boulghour (grain trempé, précuit, concassé grossièrement, traditionnel du Moyen-Orient), couscous (semoule de blé dur, servant à préparer des plats d’origine nord-africaine), freekeh (grain vert séché et rôti des cuisines arabes et turques) et pâtes alimentaires. Son gluten à bas poids moléculaire donne une bonne extensibilité de ses pâtes. Il nous offre également des pains peu levés1. Les blés durs déclassés et leurs issues sont utilisés en alimentation animale dans certains pays, tel l’Espagne ou la Grèce.

C’est une monocotylédone herbacée annuelle tétraploïde (2n = 4 x= 28 ; génome BBAA d’environ 12 Gb2) qui possède un système racinaire3 comprenant plusieurs racines primaires et un plus grand nombre de racines secondaires, parfois porteuses de mycorhizes arbusculaires4. Le blé dur talle, émettant des tiges ou chaumes élevés, dressés, raides. Les feuilles sont planes, vert clair à vert foncé. Les épis en bout de tiges sont gros, subtétragones ou cylindracés comprimés, denses à rachis non fragile. Les épillets sont allongés plus longs que larges, à 3 grains, généralement longuement aristés. Leurs glumes sont presque égales, oblongues, peu ventrues, carénées de la base au sommet, assez fort mucronées-aristées, plus courtes que les fleurs. La glumelle inférieure est caractéristique, munie d’une longue arête. Le grain nu est un caryopse libre, oblong, très dur, à cassure cornée, riche en protéines, en jaune (provitamine A) et en antioxydants.

Détails d’un épi : variété Athoris, obtention LG España, ©Semillas miluma ; variété Orrizonte, obtention F.lli Menzo, Italie, F.lli Menzo ; variété expérimentale CIMMYT de Karim Ammar, Yaqui valley, Mexique ©AlainBonjean ; détails de grains de la variété Arnautka, ©GreatLakesStaple Seeds

Cette espèce a été domestiquée en plusieurs étapes dans le Croissant fertile à partir de plusieurs populations de l’amidonnier sauvage (Triticum turgidum ssp. dicoccoides), aux épis à rachis fragile et grain vêtus. Dans un premier temps, voici environ 10 000 ans, l’amidonnier cultivé (Triticum turgidum spp. dicoccum) à épis à rachis solide et grain vêtu – facilitant sa récolte, est apparu. Il a formé au Levant 4 groupes de diversification durant sa diffusion au Néolithique et l’Ethiopie pourrait représenter un deuxième centre d’origine du blé dur, plutôt qu’un second site de domestication comme on le croyait précédemment5.Deux sous-espèces rares sont connues aux côté de l’amidonnier cultivés, Triticum karamyscheviietT. ispahanicum,ainsi qu’une apparemment disparue T. paleocolchicum. Ces blés vêtus ont été cultivés surtout durant 7 millénaires en Europe, nord de l’Afrique, Asie de l’Ouest jusqu’à l’Asie centrale. Ils restent relictuels surtout en Inde, mais aussi en Ethiopie, Yémen et quelques autres spots.
Voici 7500 à 6500 ans, ce groupe d’espèces primitives a évolué diverses espèces à épis à rachis solide et grain nu : le blé éthiopien (Triticum aethiopicum), le blé poulard (T. turgidum subp. turgidum) au grain moyennement vitreux, le blé de Galice (T. turgidum subp. polonicum) à long grain et glumes, le blé Khorasan (T. turgidum subp. turanicum) à gros grain, le blé de Perse (T. turgidum subp. carthlicum) peut-être issu d’un croisement amidonnier par blé tendre, tous plus ou moins relictuels, ainsi que le blé dur (Triticum turgidum subp. durum). Ce dernier au grain entièrement vitreux n’est devenu une culture céréalière dominante autour du Bassin Méditerranéen et au Proche-Moyen-Orient qu’il y a 2000 à 1500 ans, après que sa culture ait émergé au milieu du IVe siècle av. J.-C en Grèce et en Egypte (probablement suite à la conquête de ce pays africain en 332 av. J.-C. par Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.).

Carte des zones de production actuelles du blé dur – Source : CIMMYT

Du fait de son adaptation originelle aux climats de type méditerranéens tempérés chauds et aux territoires semi-arides et de son adaptation tardive limitée à quelques zones plus nordiques, l’aire de répartition mondiale du blé dur est moindre que celle du blé tendre, même si certaines variétés ont été sélectionnées pour tolérer des climats tempérés froids. En valeur relative, ces surfaces planétaires sont en baisse par rapport à celles du blé tendre qui se sont accrues significativement. Il a été cultivé sur 13,5 millions d’hectares en 2020/21, soit pour 6,2% des surfaces et 4,3% des productions de l’ensemble des blés de par le monde6.

Années (source, FAO, CIMMYT)1850190019502000200520102020*/21**

Surfaces
(mil. ha)
Blé dur8,4114,8916,3315,8815,8813,6913,52*
Blé totaux51,5110,0189,4214,9221,7215,6219,0*
B. dur/autres16,3%13,5%8,6%7,4%7,2%6,4%6,2%*

Prod. (mil. t)
Blé dur



313434
Blé totaux



582655791
B. dur/autres



5,33%5,19%4,30%

Durant les années 1910-1940, la Russie a été le pays avec la surface la plus importante de blé dur avec autour de 6 millions d’hectares. Les surfaces de production ont aussi nettement reculés depuis 1945 du fait de la sécheresse au Proche-Orient, notamment en Turquie et en Syrie. Aujourd’hui, l’Union Européenne, le Canada, le Mexique et les Etats-Unis sont les principaux producteurs mondiaux tandis que les principaux importateurs sont l’Italie, la Turquie, l’Algérie, le Maroc et la Tunisie.

Opérations de mouture du blé dur en semoulerie – ©INRAJAbécassis

Balance mondiale des utilisations de blé dur – source : CIC ; marché récent des semoules – Source – Market Research Future


Il existe deux groupes principaux de consommateurs de blé dur : les populations européennes et américaines utilisent presque exclusivement le blé dur pour produire des pâtes tandis que celles du Proche-Moyen Orient et d’Afrique du Nord emploient une moitié de leur consommation de blé dur pour produire des pains locaux et l’autre pour fabriquer du couscous, des pâtes et divers autres produits. De plus, dans le sud de l’Italie dans toute l’aire méditerranéenne, le blé dur est utilisé dans la formulation de divers types de pain. et En termes d’usages globaux, le blé dur continue d’avoir d’importants débouchés ethniques en alimentation humaine – boulgour, freekeh, couscous, pâtes italiennes, pains variés, etc. – et aussi quelques sorties limitées en alimentation animale. Selon Bulgur Market Outlook, le marché mondial du boulgour est estimé en 2023 autour de 1 262 millions de $ US et devrait croître de 4,5% durant la période 2023-2033. D’après Market Research Future, le marché mondial des semoules est également en hausse dans de nombreux pays. On assite en effet à l’élargissement de l’offre de ces produits ethniques de leurs zones traditionnelles de consommation vers de nouveaux marchés, surtout en Europe et en Amérique du Nord. La consommation des pâtes stable dans les pays développés jusqu’en 2019 en raison de la popularité des régimes à faible teneur en glucides s’est accrue durant la crise du Covid.

Malgré la baisse relative des cultures de blé dur par rapport à celles de blé tendre, je pense que la dynamique du blé dur perdurera dans les décennies à venir au niveau mondial en production comme en consommation du fait des usages ethniques précités des différents produits qui en sont issus. Issus de transformation industrielle simple, ils sont simples, nourrissants, sains, et recommandés dans certains régimes alimentaires (personnes souffrant de diabètes, à la teneur élevée en cholestérol, etc.) contrairement à nombre d’aliments hyper-transformés issus de certaines filières agroalimentaires. Ils sont ensuite relativement bon marché, faciles à préparer et accessibles à tous.

Principaux centres mondiaux de sélection en blé dur
CIMMYT, Obregon, Mexique
Agriculture and Agri-Food Canada’s, Swift Current, Canada
DBA/AGT (Australian Grain Technologies), NSW, Australie
ICARDA, Rabat, Maroc
IIWBR, Karnal, Inde
GIE blé dur (RAGT et Desprez, Panzani), France
Limagrain Europe, Cordoba, Espagne
Université de Nottingham, Leicestershire, Royaume-Uni
Semenciers publics et privés, Italie
Etc.

Même si la recherche et la sélection appliquées au blé dur bénéficie aujourd’hui de bien moindres budgets que le blé tendre, elle n’est pas sans bénéficier de certaines retombées de recherche essentiellement publiques ou parapubliques issues de ce dernier. Citons pour exemples la mise au point d’aliments fonctionnels à partir de nouvelles variétés de blé dur, naturellement riches en composés bioactifs, inspirée de résultats obtenus précédemment sur le blé tendre afin de répondre à la demande de consommateurs urbains soucieux de leur santé (ex., pâtes riches en amylose pour augmenter leur part d’amidons résistants, biscuits et nouilles créés à partir de blés durs mous, pâtes violettes provenant de blés durs plus riches en anthocyanes, etc.).

En notre époque de réchauffement climatique, alors que deux tiers de la consommation mondiale de blé dur a lieu autour du bassin méditerranéen dont les populations nord-africaines ne cessent d’augmenter, suggérer dès aujourd’hui un renforcement de l’effort de R&D sur le blé dur en Europe du Sud, et pourquoi pas à partir de la France, ferait sens, me semble-t-il pour trois raisons :
Offrir aux agriculteurs européens, et notamment français, une alternative rentable à certaines cultures de blé tendre dans des territoires où ce dernier souffre du fait de l’augmentation moyenne des températures ;
Renforcer les exportations de blé dur et de ses dérivés de l’Union européenne vers l’Afrique du Nord et le Proche-Moyen Orient, pour en nourrir et stabiliser les populations, tant que d’un point de vue concurrentiel la Russie ne dispose pas contrairement à l’Union Européenne d’une génétique blé dur aussi performante et qualitative qu’en blé tendre ;
Maintenir dans les mains des sélectionneurs européens un pool génétique essentiel pour créer des blés dits « synthétiques » (en recombinant des blés tétraploïdes avec des accessions d’Aegilops taushii7) et surtout des dérivés de ces synthétiques, que l’on sait particulièrement résilients à des stress biotiques et abiotiques – ce point concerne par nature autant la sélection de variétés-lignées pures que celle demain d’hybrides.

Idées à approfondir bien évidemment à plusieurs avant leur éventuelle mise en œuvre.

Alain Bonjean – 128e article
Orcines, le 15 mars 2023

Mots-clefs : céréale, Poacées, blé dur, Triticum turgidum subsp. durum, blé tétraploïde, blé à grain nu, origines, domestication, Croissant fertile, diffusion, marché mondial, alimentation, caryopse, grain vitreux, boulghour, couscous, freekeh, pâtes alimentaires, pains, réchauffement climatique, géopolitique, blés synthétiques, dérivés de blés synthétiques

1 – Contrairement au blé tendre, le blé dur ne contient pas naturellement le locus Glu-D1 essentiel pour la fabrication de pains de qualité. Toutefois des sélectionneurs travaillent à intégrer ce gène par croisement dans son génome – cf. Frontiers | Re-evolution of Durum Wheat by Introducing the Hardness and Glu-D1 Loci (frontiersin.org)

2Durum wheat genome – interomics ; Durum wheat genome highlights past domestication signatures and future improvement targets | Nature Genetics

3Etude du développement du système radiculaire du Blé. – Persée (persee.fr)

4(PDF) Arbuscular mycorrhizal symbiosis mitigates the negative effects of salinity on durum wheat (researchgate.net) ; Université de Montréal – Thèse et mémoire (core.ac.uk) ; P. de Vita et al. (2018). Genetic markers associated to arbuscular mycorrhizal colonization in durum wheat. Scientific Reports 8:40612

5Frontiers | Genetic Diversity within a Global Panel of Durum Wheat (Triticum durum) Landraces and Modern Germplasm Reveals the History of Alleles Exchange (frontiersin.org)

6 – Au XIXe siècle, il est estimé que les blés durs couvraient 14 à 16% des blés mondiaux, puis 7 à 9% entre 1950 et 2005, et 6-7% depuis.
Cf. F. Martinez-Moreno, K. Ammar, I. Solis (2022). Global Changes in Cultivated Area and Breeding Activities of Durum Wheat from 1800 to Date: A Historical Review. Agronomy 12, 1135, https://doi.org/10.3390/agronomy12051135/

7Exploitation d’une variabilité génétique nouvelle issue de blés synthétiques pour l’amélioration de la stabilité du rendement (fsov.org) ; (PDF) Synthetic Hexaploid Wheat: Yesterday, Today, and Tomorrow (researchgate.net) ; (99+) Yield of Synthetic-Derived Bread Wheat Under Varying Moisture Regimes | Naqib Khan – Academia.edu

La joubarbe des toits, amie du genre humain.

Joubarbe des toits de mon jardin, Orcines, Puy-de-Dôme, février 2023 -©AlainBonjean

Suite à la lecture de mon récent article sur le souci, une des lectrices de mon blog évoquait dans un message les joubarbes comme plantes compagnes de cette Astéracée, ce qui est souvent le cas dans le sud de la France et m’a suggéré l’idée de ce papier. Je l’en remercie.
Mon père André Bonjean (1926-2015), qui avait parmi ses passe-temps la taille de la pierre de Volvic et aimait beaucoup la nature, était à ce double titre un grand amateur de joubarbes qu’il plantait dans les murets de son jardin, après en avoir collecté des spécimens durant ses nombreuses randonnées. Parmi elles, la joubarbe des toits (Sempervivum tectorum L., 1753) souvent appelée barbe de Jupiter mais aussi artichaut bâtard, artichaut des murailles, artichaut des toits, artichaut sauvage, barbajou, grande joubarbe, herbe-aux-brûlures, herbe-aux-cors, herbe-aux-coupures, herbe du tonnerre, pain d’oiseau, poivre des murailles, rose des pierres (allemand : Dach-Hauswurz, Dachwurz, Donnersbart, Echte Hauswurz, Gemeine Hauswurz ; anglais : common houseleek, hen-and-chicken houseleek, house-leek, houseleek, roof houseleek ; arabe : مخلدة السطوح ; catalan : matafoc comu ; basque : beti-bizi, betibizi, betibizia, betilicia, betilora, betilosa, biarri-belarra, doldabelarr, doldabelarra, teilatuetako betibizi, teilatuetako betibizia, teilatuetako betibizia, zurracallote ; chinois : ching-t’un ; croate : Čuvarkuća ; danois : almindelig husløg, tagløg ; espagnol : alcachotera de gata, hierba de todol el año, simepreviva mayor ; finlandais : kattomehitähti, tähtisipuli ; hollandais : donterblatt ; hongrois : fali kövirózsa, fülfü, házi kövirózsa ; islandais : Þekjulaukur ; italien : semprevivo dei teitti, semprevivo maggiore ; norvégien : takløk, husløk, mor til tusen barn, sifylle, Syfiller, vanlig takløk, Årsens grøde, taklauk ; occitan : barbajòl, cojauda, cussòta, èrba dau copadis, èrba grassa, èrba del tron ; persan : برون ب ر ; polonais : rojnik murowy ; portugais : cardo santo, carne-junta, herba cepeira, herba da foc, herba da punta, herba das nacidas, herba do ponto, herba dos callos, herba dos puntos, herba punteira, herba tioura, pinheira, puntaira, saiaon grande, saiâo, saiâo curto, saiâo-curto, sayaon, sayâo curto, sempre-viva-dos-telhados, semprenoiva ; russe : mолодилокровельное; slovaque : netresk ; slovène : skalnica strechová ; ukrainien : mолодлопокрівльне, mолодилодахове, mолодлодхове), était une de ses plantes favorites. C’est une Crassulacée, donc une plante grasse. Le nom du genre Sempervirens provient du latin « semper », signifiant toujours, et de « vivo », je vis, car ses feuilles succulentes sont toujours vertes. Son nom français dérive du latin « Jovis barba », barbe de de Jupiter.

La joubarbe des toits est une plante vivace robuste (2n = 36, 72)1 aux grandes rosettes (5-10 cm) à feuilles raides, très charnues et succulentes, longues de 2-5 cm sur 1-1,5 cm de large, obovales-oblongues peu rétrécies à la base, aux faces glabres, d’un vert vif à foncé, voire grisâtre, rougeâtre, non glanduleuses qui émet du centre des rosettes des tiges charnues de 15-50 cm mollement velues aux feuilles caulinaires oblongues, submucronées. La racine peu fibreuse est très fréquemment mycorhizée.
Certains botanistes antérieurs au marquage moléculaire en distinguent plusieurs sous-espèces dont la joubarbe d’Auvergne, Sempervirum tectorum subps. arvenense (Lecoq & Lamotte) Rouy & E.G. Camus, 1901, d’origine hybride suivie d’isolation2, qui se différencie du type Sempervirum tectorum subps. tectorum L. 1753 par des feuilles dont les faces sont moins velues au moins dans leur jeunesse et par des étamines à filets velus à la base3. La variabilité de ce taxon est controversée tant la variabilité de la joubarbe des toits est importante, mais il apparaît toutefois assez homogène dans le Massif central.

Plante fleurie, Py, Pyrénées orientales, août 2006 – ©TelaBotanica-CBernier ; détail des fleurs, Le Reposoir, Haute-Savoie, juillet 2011 – ©TelaBotanica-JdeBoos

La floraison intervient en juin-août sous formes de panicules thyrsoïdes ou corymbiformes. Les fleurs hermaphrodites sont étoilées, roses, grandes (20-30 mm), pédicellées ou subsessiles et mellifères. Les 8-20 pétales sont étalés, lancéolés-linéaires, pubescents, deux fois plus longs que le calice, accompagnés de 16-40 étamines et de 8-20 stigmates courts portés par des carpelles divergents, oblongs-acuminés. Les fruits sont des follicules s’ouvrant sur un côté et contenant de nombreuses graines sur deux rangs, généralement dispersées par les fourmis. Epuisée par la floraison de cette inflorescence, la rosette feuillée sèche et meurt après la maturité des graines.

Il est à noter qu’en complément de sa reproduction sexuée, la joubarbe des toits se multiplie végétativement de manière intensive en émettant à partir de ses rosettes de petits stolons se terminant eux-mêmes en mini-rosettes qui se détachent de la plante-mère et s’implantent à l’endroit où ces dernières tombent, ou où le vent les pousse. Elle tend ainsi à former des colonies clonales de dizaines de rosettes très serrées, générant des plaques de véritables matelas végétaux.

Jeune pousse prête à se détacher d’un plant plus âgé, Orcines, Puy-de-Dôme, février 2023 – ©AlainBonjean ; colonie clonale débordant de son support ©ZoomNature


Très probablement transportée de montagnes d’Asie ou d’Europe de l’Est en Europe de l’Ouest par divers flux d’hommes préhistoriques qui l’avaient proto-domestiquée à partir de montagnardes du même genre et en faisaient un usage médicinal, la joubarbe des toits est aujourd’hui commune dans presque toute la France et une grande partie de l’Europe, notamment centrale, de l’Afrique du Nord et du Caucase, où il est aujourd’hui quasi impossible de distinguer les populations spontanées des populations cultivées antiques de celles échappées des cultures et devenues férales. Elle a aussi été introduite durant la période historique en Scandinavie et sur divers points de la côte est de l’Amérique du Nord4 ainsi que plus rarement dans d’autres points du globe. Espèce de lumière fréquente sur les falaises et les rochers surtout en montagnes, dans les lieux secs, les terrains sablonneux et dans les hauteurs jusqu’aux environs de 2800 m d’altitude, la joubarbe des toits s’adapte bien à la sécheresse comme au froid.

Depuis quelques année, des sélectionneurs de cette espèce et d’autres Sempervirum sp. en Amérique du Nord et en Europe ont collecté, puis sélectionné et hybridé des joubarbes bouleversant le monde de ces espèces par la création de formes ornementales aux feuilles de couleurs et de formes variées, voire aux fleurs de nouveaux coloris.

Joubarbes hybrides ornementales récentes : joubarbe Chick Charms® Gold Nugget TM créée au Michigan, USA par Christopher Hansen ©R.Giguère ; joubarbe Peggy obtenue en Belgique par André Smits ©R.Giguère 

Dans l’Antiquité, le philosophe grec Théophraste (372-288 av. J.-C.) a cité la joubarbe des toits dans ses écrits. Son compatriote médecin, pharmacologue et botaniste Dioscoride (30-90) l’a décrite et précisé que « certains la plantent sur les maisons »5 tout en indiquant qu’il la destinait «  à un ensemble d’affections caractérisées par une inflammation (zona, brûlure, maux de tête, ophtalmie, accès de goutte, etc.) mais aussi pour diverses pathologies pour lesquelles il est nécessaire de resserrer les tissus (diarrhée, dysenterie, ulcère, abcès)6». Le naturaliste et écrivain romain Pline l’Ancien (23-79) en a détaillé l’utilisation au potager en particulier pour protéger les choux des chenilles. Plus tard, Charlemagne (c.742-814) a ordonné par son Capitulaire de Villis qu’on la plante sur les toits des édifices et habitations comme plante susceptible de les protéger de la foudre, rituel d’origine apparemment romaine qui s’est perpétué jusqu’à nos jours dans certaines de nos régions. Il s’explique peut-être par le fait que de nombreux toits antiques étaient en chaume et que ceux couverts de joubarbes résistaient mieux aux incendies déclenchés par la foudre que ceux qui n’en portaient pas7.

Au niveau de la sphère intime, la joubarbe des toits était depuis longtemps considérée en Europe par les femmes comme une plante magique. Porter la plante fraîche sur soi était censé attirer les rencontres amoureuses. Dans certaines régions, comme la Sicile, les jeunes filles donnaient les noms de leurs prétendants à plusieurs fleurs de la joubarbe et le premier à fleurir prédisait le nom du futur mari. Plus tard dans l’existence, faire manger des feuilles de joubarbe (elles ne sont pas toxiques) à son époux pouvait agir contre l’ivresse de celui-ci rentrant tard et enivré à la maison et même, si besoin, aussi aider à « dénouer son aiguillette », à moins qu’ayant glissé sous son oreiller une rosette de joubarbe dans un tissu noir, cela lui ait procuré un sommeil apaisant. En Italie, on faisait souvent boire du suc de joubarbe pour assurer une longue vie aux nouveau-nés, les garantir des convulsions et des fièvres et les protéger des peurs et des sorcelleries. On disait aussi qu’à l’approche d’une sorcière ou d’un sorcier, la joubarbe des toits avertissait les habitants d’un foyer en fanant rapidement quelle que soit la saison. Dans certains cantons d’Auvergne, cette plante était tellement considérée comme une amie de la gent féminine que les grands-mères en offraient encore des pots à leurs petites-filles lors de leurs noces au début du XXe siècle.

En médecine traditionnelle, le recours à la joubarbe des toits est également ancien du fait des propriétés cicatrisantes, kératolytiques (capacité de ramollir, voire de dissoudre la couche cornée de l’épiderme) et apaisantes du suc de ses feuilles, d’où certains de ses noms locaux tels « herbe-aux-brûlures », « herbe-aux-cors » et « herbe-aux-coupures ». Le suc astringent, émollient, vulnéraire et antispasmodique a aussi été employé pour traiter les ulcères des yeux, les dartres, les otites, les piqures d’abeille et d’autres insectes.
Chimie et pharmacie modernes ont révélé que les feuilles de la joubarbe des toits contiennent des acides organiques, en particulier de l’acide citrique, de l’acide formique et de l’acide malique, des tanins, des flavonoïdes, des substances mucilagineuses, des huiles, des résines, des sucres et des traces d’alcaloïdes.

Vu ses divers usages ornementaux et médicinaux, la joubarbe des toits bénéficie depuis des millénaires d’un grand capital de sympathie auprès de diverses populations de l’hémisphère nord, et ce, notamment en Europe. Avec le réchauffement climatique, son indéniable adaptation à la sécheresse devrait continuer d’en faire une plante plus que jamais compagne de notre espèce dans les siècles à venir.

Alain Bonjean, 127e article
Orcines, le 1er mars 2023

Mots-clefs : Joubarbe des toits, Sempervirum tectorum, Crassulacée, plante succulente, suc, plante grasse, plante magique, plante médicinale, plante mellifère, plante ornementale, vivace, Europe et Asie de l’ouest

1SEMPERVIVUM TECTORUM.pdf (jardibotanic-gombren.cat)

2 – A. G. Fabtitzek et al. (2021). Hybridization, ecogeographical displacement and the emergence of new lineages – A genotyping-by-the sequencing and ecological niche and species distribution modelling study of Sempervivum tectorum M. (Houseleek). J. Evolutionary Biology, 34, 830-844, Hybridization, ecogeographical displacement and the emergence of new lineages – A genotyping‐by‐sequencing and ecological niche and species distribution modelling study of Sempervivum tectorum L. (Houseleek) (wiley.com)

3 FLOREALPES : Sempervivum tectorum subsp. arvernense / Joubarbe d’Auvergne / Crassulaceae / Fiche détaillée Fleurs des Hautes-Alpes

4Sempervivum tectorum L. | Plants of the World Online | Kew Science

5 – Dioscoride (c. 70). Materia medica, livre 4, chap. 77.

6 – La joubarbe des toits (Sempervirum tectorum), blog Books of Dante du 23 juillet 2018.

7 – Selon P. Fournier, « il semble que tout d’abord, on plantait la joubarbe sur les huttes primitives afin d’en protéger le toit contre les dégâts des grandes pluies »,
Paul-Victor Fournier (1947), Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France, Ed . P. Lechevalier, p. 526

Le poivrier du Sichuan, ami des jardiniers gourmets.



Au début des années 2010, lorsque ma famille était installée à Napaxigu dans la station thermale de Xiaotangshan du district de Changping, au pied des montagnes qui bordent le nord de Pékin, nous avions dans notre jardin un petit arbre buissonnant à feuilles caduques très odorantes et aux épines redoutables. C’était un poivrier du Sichuan (Zhantoxylum simulans Hance, 1866) ditye hua jiao, 野花椒 en mandarin (allemand : Täuschendes Gelbholz ; anglais : Chinese-pepper, Sichuan-pepper ; français : clavalier à feuilles de frêne, poivrier du Sichuan), appartenant à la famille des Rutacées1dont nous utilisions les feuilles et les coques des fruits comme épice. J’insiste sur le « un » car il existe au sein du genre Zhantoxylum2 d’autres espèces voisines d’Extrême-Orient telles Z. armatum, Z. bungeanum, Z. piperitum ou Z. schinifolium qui sont aussi utilisées de la même manière et régulièrement qualifiées de poivrier du Sichuan ou de poivrier de Chine.

Cet arbuste3 assez décoratif de biomes tempérés aussi large que haut atteint 4 à 7 m et comprend des types monoïques et dioïques. Ses feuilles vert-foncé, tournant au jaune orangé en automne avant de tomber, sont disposées de façon alterne, pennées, porteuses de glandes huileuses, longues de 7 à 12,5 cm, avec 5 à 15 folioles, les folioles longues de 3 à 5 cm et larges de 1,5 à 2 cm. Lorsqu’on les froisse, une odeur agréable d’agrume à la fois épicée, boisée, citronnée et légèrement poivrée, mais douce s’en dégage. Le poivrier du Sichuan a la particularité de présenter des aiguillons accrescents de plusieurs cm le long de son tronc ainsi que des épines courtes de 3-6 mm sur les pétioles des feuilles qui décourage petits et grands de grimper dessus en efont un excellent candidat pour créér des haies impénétrables.

Détails des fleurs et des fruits

La floraison apparaît sur les plants de 3 ou 4 ans et devient vite abondante, les arbres cultivés portant préférentiellement des fleurs mâles et femelles et étant auto-fertiles. Elle a lieu en Chine de mars à mai, plutôt de mai à juin en France. Les fleurs jaune-verdâtre, légèrement parfumées et d’environ 4 à 5 mm de diamètre, sont regroupées en cymes élancées. La fructification s’effectue de juillet à septembre en Chine, d’août à octobre en France. Le fruit issu des fleurs femelles fécondées est une baie de 3 à 5 mm avec une coquille rugueuse verte, puis rose-rouge à brun rougeâtre qui se fend à maturité pour libérer de l’intérieur les graines d’un noir brillant, graines qui ressemblent fort à un œil de souris.

Ce poivrier oriental est natif4 des plaines et des forêts de montagne de Chine continentale (centre-nord, centre-sud, sud-est : Anhui, Fujian, Gansu, N Guangdong, NE Guizhou, Hebei, Henan, Hubei, Hunan, Jiangsu, Jiangxi, Qinghai, Shaanxi, Shandong, Zhejiang), de Taïwan, et de la péninsule coréenne.

Distribution spontanée de Zhantoxylum simulans – source Kew Garden


Très rustique, préférant les expositions ensoleillées à mi-ombrées et tolérants tous le sols légèrement acides à basiques, le poivrier du Sichuan pousse très vite et tolère la taille. Il résiste aussi à des froids prolongés pouvant atteindre -15 à -25°c en hiver avec ou sans neige qu’à des températures de l’ordre de 35-45°C en été. Par contre, il vaut mieux l’abriter des vents violents car son système racinaire est souvent faible, surtout lorsqu’il provient de bouture .

Jeune plant de 3 ans issu de semis, Orcines, Puy-de-Dôme – Juin 2020

Ce poivrier du Sichuan est facile à cultiver à partir de semis de graines fraîches dans des pots entreposées dehors pour stratification et ne nécessite pas d’être greffé. Il est opportun de fournir aux plants un arrosage fréquent la première année, sans exagérer celui-ci. Depuis quelques années, ma sœur et moi-même en avons semé et introduit avec succès au Puy-de-Dôme, dans l’ouest de Clermont-Ferrand, à Durtol (marno-calcaire, 560 m d’altitude) et à Orcines (sols d’origine volcanique, 730 m) qui commencent à produire. Des boutures de 15 cm de mi-août dans du terreau frais peuvent être une autre manière de multiplier rapidement un plant déjà existant particulièrement productif.

En cuisine, on peut utiliser au printemps les premières feuilles à la manière de celles du frêne ou du tilleul, pour déguster des omelettes parfumées ou accompagner un poisson ou une viande blanche.

Toutefois, seule la coque constitue l’épice recherchée car si la graine n’est pas toxique, elle n’a pas bon goût.
Au jardin, la coque peut être testée fraîche. En sus de sa dominante poivrée, elle offre une sensation étonnante en bouche sur la langue et les lèvres qui surprendra celles et ceux à qui vous la ferez goûter : subtilement parfumée, florale, peu piquante, légèrement irritante (pseudo-chaleur), et procurant en même temps une sensation de picotement (paresthésie), doublée d’une mini-anesthésie, ce phénomène sans danger dure quelques minutes et ne manque pas de surprendre. Les composés chimiques naturels responsables de cette perception unique sont connus : ce sont l’apha-sanshool et l’alpha-hydroxy-sanshool5, des amides que l’on retrouve aussi dans son huile essentielle6.
Pour obtenir l’épice et la stocker, on récolte les baies à prématurité sur l’arbre et on les laisse traditionnellement dessécher au soleil en couches minces sur une surface plane. Ensuite, par vannage, on sépare les graines des coques, qui sont seules conservées et stockées à l’ombre dans des bocaux étanches en verre ou en porcelaine. Les coques peuvent ensuite être utilisées telles que ou broyées dans un moulin à poivre selon les recettes que l’on veut relever. Comme pour beaucoup d’épices, je vous suggère en cuisine de les faire griller 1-2 minutes dans un wok ou une poêle à sec afin de libérer tous leurs arômes.

Epice – Source : Wiji CC/ W.Grassroot; plat de poulet au poivre du Sichuan servi avec une purée de tomate légèrement pimentée – Source : theironyou.com

Ces coques permettent de fabriquer aussi des huiles ou du sel parfumé d’emploi très facile. On peut de même recréer avec elles le fameux mélange chinois aromatique aux « cinq épices » en les broyant avec de l’anis étoilé (badiane), de la cannelle, du clou de girofle et des graines de fenouil. Je ne m’étendrai pas plus sur ces aspects gastronomiques, vous laissant en votre cuisine consulter les recettes chinoises, tibétaines, bhoutanaises, coréennes et japonaises ayant déjà largement sublimé le poivre du Sichuan ou 川椒 chuānjiāo (il est parfois appelé également 花椒 huājiāo ou « poivre fleur », 山椒 shānjiāo ou « poivre de montagne ») et suivre les ressources de votre propre imagination.

En médecine traditionnelle chinoise, où la cuisine est sensée participer à maintenir quotidiennement chacun en bonne santé, le poivrier du Sichuan aide à la digestion et est employé comme diurétique et anti-douleur, voire anesthésiant. Riche en antioxydants, certaines recherches pharmaceutiques récentes lui prêtent même des effets dans le traitement du cancer de l’estomac, de l’arthrite chronique et d’autres pathologies sérieuses7.

Si vous en avez la possibilité, plantez donc un poivrier du Sichuan chez vous. Comme Alphonse Allais, vous n’hésiterez pas demain de constater que « le sel de l’existence est essentiellement dans le poivre qu’on y met » !

Alain Bonjean, 126e article
Orcines, le 20 février 2023

Mots-clefs : poivrier du Sichuan, Zhantoxylum simulans, Rutacée, arbre, épice, Chine, Taïwan, Corées, hydroxy-alpha-sanshool, plante médicinale

1 – Environ 900 espèces réparties en 150 genres. Les agrumes appartiennent notamment à cette famille.

2 – Le nom de ce genre provient du grec ξανθὸν ξύλον, signifiant « bois jaune ».

D.K. Medhi, B.S. Bau (2013). The genus Zanthoxylum – A stockpile of biological and ethnomedicinal properties. OASR 2, 697 doi:10.4172/ scientificreports.697

3Zanthoxylum simulans in Flora of China @ efloras.org ; Zanthoxylum simulans (Chinese-pepper) | BioLib.cz ; 2011-68-3-a-taste-of-sichuan-zanthoxylum-simulans.pdf (harvard.edu)

4Zanthoxylum simulans Hance | Plants of the World Online | Kew Science

5 – E. Sugai et al. (2005). Pungent qualities of sanshool-related compounds evaluated by a sensory test and activation of rat TRPV1. Bioscience, biotechnology and biochemistry 69, 10, 1951-1957.

6Huile essentielle de Zanthoxyle (Poivre de Sichuan) : comment l’utiliser correctement ? (compagnie-des-sens.fr)

7(PDF) Inhibitors Targeting Multiple Janus Kinases From Zanthoxylum simulans Mediate Inhibition and Apoptosis Against Gastric Cancer Cells via the Estrogen Pathway Chelerythrine inhibitory effects on AGS by not only direct inhibiting JAKs but also down- regulating the estrogen pathway (researchgate.net) ; [PDF] Isoquinoline alkaloids from Zanthoxylum simulans and their biological evaluation | Semantic Scholar

Le souci, grand ami de la peau

Lorsque j’entends le nom de cette Astéracée qu’est le souci (Calendula officinalis L,. 1753), je repense aux jardins clermontois de mes grands-parents qui en contenaient toujours des plants dans leurs bordures ainsi que des giroflées et des agératums. Leur parfum musqué entêtant, modérément agréable, qui attire beaucoup les abeilles et d’autres pollinisateurs me revient aussitôt en tête. Le fait aussi que mes deux grands-mères les appelaient de noms différents m’a marqué : souci, souci des jardins, souci officinal, souci des vignes pour ma grand-mère maternelle Marie-Antoinette Finaud (1902-1993) qui était née à Chabreloche dans les monts du Forez du Puy-de-Dôme ; calendule, fleur de tous les mois, gauc, safran du pauvre, pour ma grand-mère paternelle Marcelle Marmeisse (1901-1986) native de Langeac en Haute-Loire (albanais : kalendula mjekësore ; allemand : Garten-Ringelblume, Goldröserl ; anglais : garden marigold, en-and-chikens ; marigold, Mary’s gold, pot marigold, ruddles, Scotch marigold ; basque : aigneru lorea, ebaqui-belarra, ilen kultibatu, ilena, illen ; catalan : boixac de jardi, boixac ver, calèndula, flor de mort, gauja ; croate : ljekoviti neven ; danois : havemorgenfrue ; espagnol : boton de oro, caldo corona de rey, caléndula, maravilla de jardin, marquesita, mercadela ; hollandais : goudsbloem, tuingoudsbloem ; hongrois : orvosi körömvirág ; italien : calendula, fiorancio cultivato ; polonais : nagietek lekarski ; portugais : belas-noites, boas-noites, calendula-hortense, erva-vaqueira ; roumain : filimică, gălbenele ; russe : календулалекарственная, ноготкилекарственные ; suédois : ringblomma ; tchèque :měsíček lékařský ; turc : aybisafa ; ukrainien : нагідкилікарські).
Le nom du genre Calendula tire son origine du mot latin calendae, probablement parce que les soucis fleurissent en début des mois de l’année. La dénomination anglaise marigold provient du vieux saxon ymbglidegold qui signifie « elle tourne avec le soleil » et fait référence à la Vierge Marie. Le mot souci dérive du bas latin solsequia, signifiant « qui suit le soleil », qui a évolué en solsie, soucy puis souci1.

Détails d’un capitule en début de floraison – source CC wikipedia.

C’est une plante de lumière vivace de courte vie, parfois cultivée comme annuelle (2n = 4x =28 ou 32)2. Elle mesure 5 à 50 cm de haut, rarement plus. Les tiges sont rameuses, anguleuses et velues. Les rameaux sont couchés ou dressés. Les feuilles alternes, sessiles, oblongues et spatulées embrassent très légèrement la tige. L’inflorescence est un racème de capitules terminaux de 3-7 cm de diamètre, jaunes safranés à jaunes orangés. Chaque capitule floral est muni à sa base d’un involucre de deux rangs de bractées sensiblement égales entre elles, velues et verdâtres. À sa face supérieure, plane, il porte des fleurs à corolle gamopétale, tubulées au centre et ligulées en bordure. L’espèce est hermaphrodite avec une pollinisation à la fois autogame et entomogame. Les fruits sont des akènes de trois types différents suivant leur position sur le capitule : ceux du cercle externe sont épineux sur la face dorsale et recourbés en arc ; ils simulent des chenilles par leur forme et leur couleur verte à l’état jeune et, une fois secs, leurs aspérités leur permettent de s’accrocher aux toisons des animaux. Ceux du centre , en ballonnet, peuvent être disséminés par le vent. Les plus internes sont lisses, enroulés en anneaux ; tombés sur le sol, ils germent sur place

Détail d’un capitule à maturité – source : CC Wikipedia

Le souci paraît indigène de Macaronésie, des régions sud, centrale et est de l’Europe et au Proche-Moyen Orient jusqu’en Iran. Depuis l’Antiquité, Grecs, Romains, Perses, Arabes l’ont utilisé dans leurs préparations culinaires, tinctoriales et médicinales. Il semble que le souci ait été cultivé dans les jardins européens dès le XIIe siècle à partir de graines provenant d’Egypte tant comme pesticide pour tuer les insectes et comme simple médicinale3. La moniale Hildegarde de Bingen (1098-1179) préconisait une pommade à base de souci pour soigner le cuir chevelu. Albert le Grand (c. 1193-1280) a recommandé le souci pour faciliter la cicatrisation et traiter les piqures d’insectes, voire de serpents. Au XIXe siècle, les Eclectiques, médecins américains alternatifs4, apaisaient les brûlures et les lésions cutanées avec des onguents à base de souci.

En cuisine, les jeunes pousses de souci, légèrement amères, peuvent être incorporées en petites quantités dans des salades, des soupes et les boutons s’emploient comme des câpres. Les pétales servent à colorer et aromatiser beurre, fromages, sauces et pâtisseries ou à confectionner des boisons épicées ou des tisanes.

En sus de ses utilisations alimentaires, le souci est employé comme teinture pour laines et tissus, et comme base de produits et d’huiles cosmétiques.

Variétés ornementales de souci – source : http://dusentieraupotager.fr/

Au niveau ornemental, il existe depuis les années 1920 diverses variétés à pétales simples ou doubles dans divers coloris et parfois bicolores5.

Au niveau phytochimique, les pétales et le pollen de C. officinalis contiennent des esters triterpénoïdes, des saponines et des caroténoïdes, telles la flavoxanthine et l’auroxanthine qui sont des antioxydants et la source de leur coloration jaune-orangé. La récolte des capitules6 a été mécanisée pour en faciliter l’exploitation.

Les tiges et les feuilles renferment d’autres caroténoïdes, principalement de la lutéine (80%), de la zéaxanthine (5%) et du bêta-carotène. La plante est aussi source d’huile essentielle7. Le souci en suspension ou en teinture continue d’être utilisé par voie topique pour traiter l’acné, réduire les inflammation de la peau, contrôler le saignement et apaiser les tissus irrités. Des études pharmacologiques récentes8 confirment que les extraits de souci ont des propriétés in vitro antivirales, antibactériennes, antifongiques, anti-génotoxiques et anti-inflammatoires.

Alain Bonjean, 128e article
Orcines, le 10 février 2023

Mots-clefs : souci, Calendula officinalis, Astéracée, plante ornementale, plante médicinale, mécanisation de la récolte, huile essentielle, saponines, antioxydants, soins de la peau

1 – F . Couplan (2012). Les plantes et leurs noms. Histoires insolites. Ed. Quae, 198.

2Artificial Chromosome Doubling in Allotetraploid Calendula officinalis | Semantic Scholar

3 – F. Stary (1991). The natural guide to medicinal herbs and plants. Aventinum, Prague; S. Zaman (2003). Medicinal plants. QoQnus pub. Tehran, Iran, 45-90.

4La médecine éclectique, entre l’expérience et la raison (edimark.fr)

5Breeding aspects of Calendula officinalis L. | Request PDF (researchgate.net)

6 – B. Veselinov et al. (2014). Mechanized harvesting and primary processing of Calendula officinalis. Spanish Journal of Agricultural Research 12, 2, 329-337.

7 – I. Ourabia et al. (2019). Determination of essential oil composition, phenolioc content, and antioxidant, antibacterial and antifungal activities of marigold (Calendula officinalis L.) cultivated in Algeria. Carpathian Journal of Food Science and technology CJFST11(2)2019_8.pdf (ubm.ro)

8 – E. Jimenez-Medina, et al. (20006). A new extract of the plant Calendula officinalis produces a dual in vitro effect. BMC Cancer 5, 6, 119, A new extract of the plant Calendula officinalis produces a dual in vitro effect: cytotoxic anti-tumor activity and lymphocyte activation – PubMed (nih.gov) ; E. Efstratiou et al. (2012). Antimicrobial activity of Calendula officinalis petal extracts against fungi, as well as Gram-negative and Gram-positive clinical pathogens. Complement Ther. Clin. Pract. 18, 3, 173-176; (PDF) Therapeutic Potential of Calendula officinalis (researchgate.net) ; K.A. Khalid; J.A. Teixera da Silva (2012). Biology of Calendula officinalis Linn. : Focus on Pharmacology, Biological Activities and Agronomic Practices. Medicinal and Aromatic Plant Science and Biotechnology 6,1, 12-27; (PDF) Calendula Officinalis-An Important Medicinal Plant with Potential Biological Properties (researchgate.net) ; V.D. Ashwlayan et al. (2018). Therapeutic potential of Calendula officinalis. Med Crave Ph. & Pharmacol. Int. J. 6, 2, 48-155.

Renoncement aux néonicotinoïdes : un signe de décroissance qui va au-delà de la filière betteravière.

Jusqu’au 23 janvier 2023, l’application des néonicotinoïdes, appliqués uniquement sur les semences et non pas pulvérisés en culture, permettait aux betteraviers de lutter efficacement contre un puceron qui provoque la jaunisse de la betterave et entraîne des pertes de rendement de 30% en moyenne, pouvant s’élever à 60%. Depuis, leur emploi est interdit en France.

Ce qui est révoltant dans cette décision, ce n’est pas tant la suppression de l’emploi de ces molécules rémanentes qui étaient à remplacer pour perpétuer dans nos plaines perdrix et autres insectivores, que l’absence irresponsable d’anticipation et de réactivité à ce niveau qui précarise la filière betteravière ainsi que les conditions dans lesquelles ce renoncement est effectif à cinq ou six semaines des semis et les conséquences sociétales qui en découleront d’ici quelques mois.

ContinentsProduction in mt% mondial
Afrique14 3045%
Amériques20 2267%
Asie41 50715%
Europe194 46070%
Divers8 3853%
Production 2019 de betterave sucrière par continent source : FAO


La découverte rapide et la production massive de vaccins anti-Covid en Occident a été réalisée en 2020 et 2021 grâce à des alliances établies entre équipes de chercheurs, entreprises industrielles et États. Qu’a fait sur la même période l’Union Européenne premier producteur mondial de betterave sucrière, qu’a fait la France premier producteur européen de cette espèce face à la nécessité de substituer d’autres solutions techniques aux néonicotinoïdes? Pas grand-chose et rien de concerté.

Quelques scientifiques se sont certes intéressés à la question. Les alternatives aux néonicotinoïdes qu’ils suggèrent aujourd’hui (rotation accrue des cultures, paillage, semis de plantes compagnes, produits issus du biocontrôle, éventuellement application de flonicamid en végétation, etc.) étant fréquemment complexes à mettre en œuvre et moins efficaces, la sole betteravière française va chuter et les pertes de production, accompagnées de baisses des revenus, seront dès 2023 implacables pour les planteurs. Ceux qui en Europe continueront de cultiver des betteraves leur appliqueront 3 à 5 fois par an des phytosanitaires modérément opérants en végétation en lieu et place d’un traitement unique enfoui – les vrais écologistes qui savent que la betterave n’attire pas les abeilles et autres pollinisateurs apprécieront ! Des sucreries seront fermées, des emplois perdus.

Plus globalement, à l’instar de notre ministre de l’Agriculture, Marc Fresneau, nos politiques vont continuer de nous délivrer régulièrement des discours lénifiants sur la protection de l’environnement, la lutte contre le changement climatique et nous prôner simultanément l’indépendance alimentaire, alors qu’ils laisseront importer au sein de l’Union Européenne du sucre de canne ou de betterave produit sur d’autres continents autorisant encore les néonicotinoïdes, tout en se contrefichant du bilan carbone désastreux qui en découlera et du recul immédiat de notre balance commerciale. Comme il le fait déjà avec l’énergie, le consommateur payera son sucre au prix fort.

Beaucoup minimiseront cette décision impactant apparemment la seule filière betteravière, d’autant que les nutritionnistes recommandent une réduction de la consommation de sucre dans notre alimentation pour éviter surpoids, obésité, diabète de type 2 et autres pathologies. Il reste que toute disposition de ce type résultant d’un manque d’anticipation et de courage politique conduit notre société à la décroissance, nous affaiblit au niveau technique, nous émousse au niveau des rapports de force internationaux et nous appauvrit.

La pauvreté risquant de conduire à l’autocratie, prenons la mesure de ce signal faible et anticipons les solutions nécessaires à la pérennité de toutes nos filières.

Alain Bonjean, 124e article
Orcines, le 1er février 2023

Mots-clefs : betterave sucrière, néonicotinoïdes, puceron, jaunisse, décision politique, Union Européenne, signal faible, décroissance

Vie et mort de la filière tinctoriale à base de garance des teinturiers.

Troupes françaises en 1914 ©Laportedelhistoire.fr ; plants de garance, Beaumes-de-Venise, Vaucluse ©CVisquenel-TelaBotanica

En juillet 1914, les pantalons des soldats de l’armée française ainsi que des pièces d’uniformes d’autres soldats des deux camps de la Grande guerre étaient colorés d’un rouge éclatant faisant d’eux pour quelques mois des cibles faciles de leurs adversaires avant que l’on ne modifie leurs équipements1. Leur teinture provenait de la partie racinaire de la garance ou rouge des teinturiers (Rubia tinctorum L., 1753), une plante cousine de la garance voyageuse et des gaillets, de la famille des Rubiacées qui comprend aussi parmi les plantes utiles, entre autres, le caféier, le gardénia et les arbres à quinquina

La garance2 (all. FärberröteKrapp, angl. dyer’s madder, madder, cat. granza, esp. rubiagranza, rubia de tinteros, grec. Ριζάρι, Σχοινοβάφιον, ital. robbia, robia tintoria, garanza, néerl. meekrap) est une plante vivace glabre possédant des racines rhizomateuses rampantes pouvant atteindre 0,8 à 1,0 m de long pour 12 mm de diamètre et des tiges couchées, grimpantes de 1,0 à 1,5 m de long, à section carrée munie sur les angles d’aiguillons crochus qui lui permettent de se hisser sur la végétation alentour lors de leur croissance (2 n = 66). Les feuille assez grandes et minces sont annuelles, peu dentées, réunies en 6 verticilles, porteuses elles aussi de petits aiguillons crochus sur la nervure et les bords. La floraison en France a lieu en juin-juillet, voire août. Les fleurs hermaphrodites actinomorphes jaune vif à 5 lobes lancéolés forment des cymes axillaires et terminales. Elles portent des anthères linéaires-oblongues et des stigmates obovales en massue. Les fruits sont des baies subglobuleuses de la taille d’un pois (5-8 mm de diamètre), verts, puis rouges et noirs à maturité.
Il est à noter que, de manière assez surprenante, les animaux qui consomment de la garance des teinturiers en pacageant colorent de rouge leur urine, leur lait, leurs tissus et même leurs os.

Fleurs, Robion, Vaucluse ©MMenand-TelaBotanica ; baies, Fleury, Aude ©LRobaudi-TelaBotanica ; rgizomes©Ricapeupodate.com


C’est une plante aimant la lumière, la chaleur et une humidité atmosphérique modérée. Sa culture est délicate : elle préfère les sols basiques, profonds à texture argileuse, pauvres en nutriments et en matière organique, à la fois meubles, humides et proprement drainés – en effet, l’excès d’eau fait pourrir les racines.
Ces dernières constituent la richesse de la plante car elles contiennent dès l’âge de 3 ans de l’alizarine et de la purpurine, anthracènes qui, précipitées sur de l’alun ou d’autres mordants, permettent de teinter en rouge divers tissus3.


Structures chimiques de la purpurine et de l’alizarine4


La garance des teinturiers dérive de la garance voyageuse ou pélerine (Rubia peregrina L. 1753)5, espèce essentiellement circumméditerranéenne, proche-orientale, présente également dans le Caucase et en Iran dans les bois, les maquis et les haies, très résistante aux stress, dont le nom provient de la propriété de cette plante à s’agripper au pelage des animaux qui dispersent ainsi ses graines. Ses racines, plus petites que celles de la garance officinale, ont un pouvoir tinctorial vieux rose.
Sa période de domestication et sa durée sont assez méconnues, même si on suppose qu’elle a eu lieu dans la partie orientale des côtes méditerranéennes voire en Asie occidentale ou centrale6. En effet depuis environ 4000 ans, les racines sèches pulvérisées des deux espèces sauvage, Rubia peregrina, et cultivée, Rubia tinctorum, ont été employées7comme colorant rouge des fils de laine, de coton et de soie utilisés dans les tissus, les tentures et les tapis en Asie, Europe et Afrique du Nord ainsi que pour la production d’une laque rouge rosée transparente, dite laque de garance, employée en peinture à l’huile comme en aquarelle par les peintres européens et les miniaturistes persans.
Le premier témoignage de l’utilisation de la garance provient d’un texte mésopotamien en cunéiformes, daté entre 2013 et1982 av. J.-C. qui fait référence à une paire de sandales teintées à la garance. En Egypte, aucune trace de teinture de garance n’apparait avant la XVIIIe dynastie et il semble qu’elle ait été importée. La pigmentation de la garance a toutefois été révélée au cours des années 1930s sur des tissus de la tombe de Toutankhamon (c. 1345-1327 av. J.-C.) ; des cosmétiques en contenaient également. En Palestine, le terme garance est noté dans le Talmud puah en araméen. En Extrême-Orient, des fragments d’un pantalon de laine teintés à la garance ont été découverts dans une tombe de Tourfan au Xinjiang. En Iran, l’utilisation de la garance semble avoir débuté au Ier millénaire av. J.-C., puis est devenue importante de l’Antiquité à l’ère moderne. Au XIXe siècle, la demande de cette teinture était grande en Inde et en Russie faisant de la culture de garance une culture de rente en Iran, au Balûchistân et aussi dans le Caucase.

Teinture de tissus à la garance au Moyen-Âge en Europe ©http://www.passionprovence.org/

En Europe8, les Grecs et les Romains ont aussi employée la garance. Elle faisait partie en 812 des plantes dont la culture était recommandée sous Charlemagne (c. 742-814) par le Capitulaire de Villis sous l’appellation de warentiam. Ensuite, la Hollande garda dans sa province de Zélande dès le Moyen-Âge et jusqu’aux Lumières un quasi-monopole sur cette culture en Europe en lien avec les grands centres drapiers, même si dès Louis XIV (1638-1715) des essais furent tentés en France à la demande Colbert (1619-1683). Finalement, au milieu du XVIIIe siècle un agronome arménien, Hovannès Althounian dit Jean Althen (1709-1774)9 initia dès 1737 de nouveau essais de cultures à Saint-Chamond, puis à compter de 1760 avec plus de succès dans le Comtat Venaissin (Drôme et Vaucluse actuels).

Racines et poudre de garance ; mémoire sur la culture de la garance de Jean Athen, 1763 © www.lachezleswatts.com

Après la Révolution10, la culture se développa principalement dans le sud-est de la France et notamment dans le Vaucluse pour atteindre son maximum aux alentours de 186011. Pour mémoire, avant 1850, la culture de la garance connut un petit succès en Limagne12 alors très chanvrière aux alentours d’Aubière et de Sarliève, au sud de Clermont-Ferrand, puis fut remplacée par la betterave sucrière. La culture était assez complexe et nécessitait 3 ans avant la récolte : les sols devaient être travaillés avec une bêche spéciale étroite, plate ou à 3 dents, le louchet, sur 50 cm de profondeur avant les semis qui avaient lieu en mars ; ils étaient fertilisés avec des tourteaux de graines oléagineuses provenant des huileries de Marseille ; les sarclages d’adventices devaient être fréquents pour entretenir les cultures ; le feuillage constituait un fourrage de qualité ; la récolte des rhizomes se faisait en automne de la troisième année de culture au louchet, plus rarement avec des charrues tirés par des attelages de 12 à 20 chevaux, et atteignait environ 3 tonnes par hectare ; celle-ci était ensuite coupée et broyée dans des moulins locaux à pierre pour donner la poudre de teinture.

En 1823, un chimiste et industriel lillois, Frédéric Kuhlman (1803-1881) commença sérieusement à étudier la plante et publia plusieurs documents sur sa chimie. En 1826, deux autres chimistes français Jean-Jacques Colin (1784-1865) et Pierre-Jean Robiquet (1780-1840) réussirent à isoler l’alizarine rouge et la purpurine qui s’affadit plus rapidement à partir de poudres de racines de garances. En 1869, deux chimistes allemands Carl Graebe (1841=1927) et Carl Libermann (1842-1914) employés chez BSAF synthétisèrent l’alizarine artificielle qui fut brevetée13, puis produite industriellement dès 1871, pour moins de la moitié du coût d’une production au champ donnant un coup d’arrêt aux cultures de la garance. Vers 1880, pratiquement toutes les garancières avaient disparu en Europe, puis très vite ailleurs.

En complément de cette histoire, notons que la garance des teinturiers a longtemps été aussi exploitée pour ses vertus médicinales, notamment pour ses propriétés diurétiques afin d’éliminer les calculs rénaux ou biliaires. Toutefois, elle n’est plus autorisée en herboristerie européenne depuis 2011 en raison des irritations de l’intestin qu’elle provoque. La prise interne de racine de garance peut aussi être la cause d’avortements et de fausses-couches.
Toutefois, diverses études pharmacologiques récentes14 d’extraits de garance ont montré des résultats significatifs dans la diminution du poids corporel, l’amélioration du profil lipidique, la normalisation de l’hyperglycémie, de la résistance à l’insuline, de l’hyperinsulinisme et une amélioration du tissu hépatique chez des diabétiques de type II ainsi que des propriétés antimicrobiennes et anticancéreuses.

L’avenir nous dira si ces nouvelles pistes de médicaments ouvrent la porte à un renouveau de la culture de garance des teinturiers.

Alain Bonjean, 123e article
Orcines, le 23 janvier 2023

Mots-clefs : garance des teinturiers, Rubia tinctorum, Rubia peregrina, Rubia spp., Rubiacée, plante tinctoriale, teinture, alizarine, purpurine, plante médicinale, fourrage

1 – Si le ministre de la guerre Alphonse Marie Messimy prend la décision de changer l’uniforme français -pantalon rouge, veste longue bleu roi, képi rouge, par décret le 27 juillet 1914, un jour avant l’entrée en guerre, ce ne sera effectivement qu’au 1er juin 1915 que la France abandonnera l’uniforme garance pour le remplacer par un plus discret, bleu horizon.

2Rubia tinctorum – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Garance des teinturiers | Le guide des plantations

3Rubia tinctorum a source of natural dyes: agronomic evaluation, quantitative analysis of alizarin and industrial assays – ScienceDirect

4 – Sun C. et al. (2016). Optical and electrical properties of purpurin and alizarin complexone as sensitizers for dye-sensitized solar cells. J. of Materials Sciences: Materials in electronics, 27. DOI: 10.1007/s10854-016-4799-4

5Rubia peregrina L., 1753 – Garance voyageuse, Petite garance-Présentation (mnhn.fr) ; Rubia peregrina – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Rubia peregrina – Garance voyageuse (quelleestcetteplante.fr) ; Rubia peregrina L. – Préservons la Nature (preservons-la-nature.fr) ; Rubia peregrina L.: A stress resistant weed – ScienceDirect ; Rubia peregrina L. (gbif.org)

6 – En effet il existe en Asie centrale d’autres espèces de garance. On trouve ainsi en Inde la garance indienne, Rubia cordifolia, cultivée historiquement pour ses racines riches en purpurine qui permettent de fabriquer un pigment rouge et toujours utilisée comme colorant pour les cheveux et comme plante médicinale ayurvédique et tibétaine. Elle est appelée manjishata en sanskrit. Il existe aussi une Rubia argyi en Asie de l’est (Chine, Japon).

7(99+) Potts 2022. On the history of madder (Rubia peregrina L., and Rubia tinctorum L.) in pre-modern Iran and the Caucasus. Asiatische Studien 76. | D.T. Potts – Academia.edu

8Plantes tinctoriales : une histoire majeure – Jardins de France ;

9L’histoire du kermès et de la garance – Passion Provence ; La garance, l’or rouge du Vaucluse et d’Althen des Paluds – (lachezleswatts.com)

10 – Lors de la Grande révolution, le nom de Garance fut donné au 23e jour du mois de Brumaire du calendrier républicain (13 novembre actuel) et devint un prénom féminin assez rare.

11 . Les statistiques officielles donnent 14 676 ha en 1840 et 20 548 ha en 1962, dont 9515 ha et 13 500 ha à ces deux dates dans Le Vaucluse. Althen-des-Paluds en était le principal marché local.

12http://cghaubiere.blogspot.fr/2014/07/cultures-industrielles-aubiere-19eme.html

13 – Un jour avant la découverte indépendante des mêmes substances par le chimiste anglais William Henry Perkin (1838-1907).

14Rubia tinctorum root extracts: chemical profile and management of type II diabetes mellitus – PubMed (nih.gov) ; (99+) Investigation Preliminary antimicrobial and anticancer properties: on Topic Rubia tinctorum plant by using Polydimethylsiloxane (CAR/PDMS | Advances in Applied NanoBio-Technologies AANBT – Academia.edu ; BIOLOGICAL ACTIVITIES AND CHEMICAL COMPOSITION OF Rubia tinctorum (L) ROOT AND AERIAL PART EXTRACTS THEREOF. | Semantic Scholar, Antifungal activity of Rubia tinctorum, Rhamnus frangula and Caloplaca cerina – ScienceDirect

Les plus vieux restes végétaux connus de plats cuits

La recherche sur l’alimentation des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique a longtemps été concentrée sur la consommation d’animaux parce que leurs ossements se conservent relativement bien. Une analyse récente1 des macro-vestiges carbonisés de plantes découverts dans la grotte Franchthi dans le bassin de la mer Égée en Grèce, datés en entre 13 100 et 11 400 avant le présent (AP), et dans la grotte Shanidar dans le nord-ouest des montagnes Zagros au Kurdistan irakien, datée entre 45 000 et 70 000 AP et occupée par des groupes de Néandertaliens, apporte un nouvel éclairage sur la consommation de plantes alimentaires par nos ancêtres. Ces très anciens témoignages d’aliments carbonisés confirment également que les Néandertaliens maîtrisaient la cuisson tout comme Homo sapiens.

L’examen au microscope de ces restes carbonisés révèle en particulier l’utilisation de graines de légumineuses pilées, mais non broyées, comme ingrédient commun dans les aliments végétaux cuits retrouvés sur ces sites. Il s’agit essentiellement d’ers – Vicia ervilla, lentille – Lens spp.et pois – Pisum spp., en présence d’avoines et d’orge sauvages mais également d’amandes et de pistaches à la grotte Franchthi tandis qu’à Shanidar, ce sont des pois sauvages – Pisum fulvum ou P. sativum subsp. elatius, et diverses gesses – probablement Lathyrus cassius, L. hirsutus ou L. nissolia qui ont été détectées en présence de ce qui semble être des restes de graines de moutardes sauvages et de térébinthes.

Dès le Paléolithique moyen, plusieurs techniques de préparation des aliments végétaux paraissent ainsi avoir été communes à l’Asie du Sud-Ouest et aux rivages de la Méditerranée orientale tout en ayant été indépendantes des variations climatiques de ces régions et de leur impact sur la biomasse de la végétation2.

Les graines de légumineuses, spécialement celles d’ers et de gesses, contiennent des quantités importantes d’alcaloïdes et de tannins3, notamment dans leurs enveloppes, qui leur confère un goût amer et astringent. Le trempage des graines de légumineuses sauvages, comme l’indiquent les fragments d’aliments carbonisés de Franchthi et de Shanidar, aurait permis leur consommation sécuritaire et amélioré leur goût en éliminant la plupart des composés amers. Toutefois, la présence de fragments de téguments laisse supposer qu’une faible quantité de produits chimiques végétaux, y compris certains tanins et alcaloïdes, a pu être intentionnellement retenue dans les préparations alimentaires végétales. Dans le contexte de la littérature archéologique régionale, les plantes de cette famille botanique pourraient avoir été des ingrédients identitaires de la cuisine paléolithique en Asie du Sud-Ouest et en Méditerranée orientale.

Outre leur impact évident en désintoxication des bols alimentaires, les pratiques de trempage et de pilonnage mis en évidence dans la préparation des aliments de ces deux sites et d’autres de datations intermédiaires auraient également amélioré la biodisponibilité des nutriments bien avant l’apparition de l’agriculture. D’autres aspects du choix et de l’utilisation des ressources végétales, y compris les matières premières et les utilisations médicinales, ont également été mis en évidence en ce qui concerne l’alimentation du Paléolithique moyen et inférieur 4.

Alain Bonjean – 122e article
Orcines le, 12 janvier 2023

Mots-clefs : archéologie, Bassin méditerranéen, Proche et Moyen-Orient, Paléolithique, Homo neanderthalensis, Homo sapiens, Fabacées (Légumineuses), Poacées, amandes, procédés de désintoxication des plantes alimentaires, nutrition, cuisson, biodisponibilité des aliments, usages médicinaux


1 – C. Kabukcu et al. (2022). Cooking in caves: Palaeolithic carbonised plant food remains from Franchthi and Shanidar. Antiquity, 1-17, https://doi.org/10.15184/aqy.2022.143/

2 K. Hardy (2018). Plant use in the Lower and Middle Palaeolithic: food, medicine and raw materials. Quaternary Science Reviews 191, 393–405 ; R.C. Power, F. L. Williams (2018). Evidence of increasing intensity of food processing during the Upper Paleolithic of western Eurasia. Journal of Paleolithic Archaeology 1, 281–301, https://doi.org/10.1007/s41982-018-0014-x

3 09 PARUL REVIEW.pdf (jairjp.com) ; (PDF) Anti‐nutritional compounds in pulses: Implications and alleviation methods (researchgate.net)

4 – K. Hardy (2018). Plant use in the Lower and Middle Paleolithic : food, medicine and raw materials. Quaternary Science Reviews 191, 393–405.

Bonne année 2023

La transition d’une année à l’autre est souvent une période de bilan des activités. Ce blog, ouvert fin 2019, regroupe déjà 120 articles évoquant les origines, la diffusion, les usages de différentes plantes sauvages et cultivées – herbacées, arbustes, arbres, provenant de 47 familles botaniques de la planète et quelques sujets variés, également riches en chlorophylle. 

Familles20192020



Amaranthacées
Quinoa, Chenopodium quinoa
Aquifoliacées
Houx, Ilex aquifolium
Amaryllidacées
Ail des ours, Allium ursinum
Araucariacées
Araucaria araucan, Araucaria araucana
AsparagacéesHosta spp.Muscari à grappes, Muscari neglectum
AstéracéesTournesol oléagineux, Helianthus annuusCarline à feuilles d’acanthe, Carlina acanthifolia
Bétulacées
Noisetier, Corylus avellana
Brassicacées
Cameline, Camelina sativa Roquette jaune ou kha-e-kshir, Sisymbrium irio
CannabinacéesChanvre, Cannabis sativa
Célestracées
Khat, Catha edulis
FabacéesSoja edamame, Glycine max Féverole, Vicia fabaLentille, Lens culinaris subsp. culinaris Pois chiche, Cicer arietinum
Fagacées
Châtaignier d’Europe, Castanea sativa
Gentianacées
Gentiane jaune, Gentiana lutea
IridacéesSafran, Crocus sativus
Liliacées
Lis martagon, Lilium martagon
Orchidacées
Orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis) et loroglosse à odeur de bouc (Himantoglossum hircinum)
PoacéesHerbe à mouton, Leymus chinensis Millet commun, Panicum miliaceumAlpiste, Phalaris canariensis Amidonnier, Triticum turgidum subsp. dicoccon Engrain, Triticum monococcum Maïs géant blanc de Cuzco, Zea mays subsp. mays
Polémoniacées
Collomie à grandes fleurs, Collomia grandiflora
Polygonacées
Sarrasin commun, Fagopyrum esculentum
Rosacées
Cormier, Sorbus domestica
Rubiacées
Arbres à quinquina, Cinchona spp. Gaillet croisette, Cruciata laevipes
Santalacées
Gui, Viscum album
UrticacéesRamie, Boehmeria nivea
VerbénacéesVerveine odorante, Aloysia citrodora



Thèmes diversRéchauffement climatique en Afrique, N.I. VavilovAgriculture aborigène d’Australie, Amazonie, avenir des blés face au réchauffement climatique, deux prix Nobel de la paix pour l’alimentation, fusariose du blé, Granipain, nutriécologie, Yelena Barulina
Familles20212022



Actinidiacées
Kiwis, Actnidia spp.
Amaranthacées

Aquifoliacées

AmaryllidacéesPerce-neige, Galanthus nivalis
Apiacées
Angélique vraie, Angelica archangelica Livêche, Levisticum officinale
Aracées
Plante ZZ, Zamioculcas zamiifolia
AraliacéesLierre grimpant, Hedera helix
Araucariacées

ArécacéesPalmier-bâche, Mauritia flexuosa
Asparagacées
Fragon ou petit houx, Ruscus aculeatus
AstéracéesChardon Marie, Silybum marianum Guayule, Parthenium argentatumArnica, Arnica montana Génépis, Artemisia spp. Laitue vireuse, Lactuca virosa Séneçon du Cap, Senecio inaequidens Tournesol (origines), Helianthus annus
BalsaminacéesBalsamine des bois, Impatiens noli-tangere
BétulacéesAulne noir ou vergne, Alnus glutinosa
BrassicacéesCakilier maritime, Cakile maritimaChou européen, Brassica oleracea Chou kale, Brassica oleracea var. sabellica
CannabinacéesChanvre (origines), Cannabis sativaHoublon, Humulus lupulus
Caprifoliacées
Chévrefeuille d’Etrurie, Lonicera estrusca Mâche ou doucette, Valerianella locusta
CaryophyllacéesNielle des blés, Agrostemma githago
Célestracées

Conifères
Métaséquoia, Metasequoia glyptostroboides
Cucurbitacées
Courge à huile de Styrie, Cucurbita pepo subsp. pepo var. styriaca
Cyperacées
Souchet comestible, Cyperus esculentus
FabacéesErs, Vicia ervilla Féverole (origines), Vicia faba Pois, Pisum spp.
Robinier faux-acacia, Robinia pseudoacacia Tarwi, Lupinus mutabilis
Caroubier, Ceratonia siliqua Soja (marchés), Glycine max
Fagacées

Gentianacées

Iridacées
Glaïeul des moissons, Gladiolus italicus
Juglandacées
Noyer commun, Juglans regia
LamiacéesThym serpolet, Thymus serpyllumMélisse, Melissa officinalis Origan, Origanum vulgare
LiliacéesErythrone dent-de-chien, Erythronium dens-canis
MényanthacéesTrèfle d’eau, Menyanthes trifoliata
Musacées
Bananiers (origines), Musa spp.
MyricacéesPiment royal, Myrica gale
OrchidacéesOphrys bécasse, Ophrys scolopaxListère à feuilles ovales, Neottia ovata
Papavéracées
Pavot de Californie, Eschscholzia californica
Passifloracées
Passiflore officinale, Passiflora incarnata
PoacéesEgilope de Taush, Aegilops taushii Larmier de Job, Coix lacryma-Jobi Orge nue à 6 rangs du Tibet ou qingke, Hordeum vulgare var. trifurcatum Téosintes, Zea spp. I et IIMillet des oiseaux, Setaria italica
Polémoniacées

Polygonacées

RenonculacéesHellébores spp., Helleborus spp. Pied d’alouette royal, Delphinium regalisChélidoine ou herbe-à-verrues, Chelidonium majus
Rhamnacées
Jujubier chinois, Ziziphus jujuba var. jujuba
RosacéesFrasier cultivé, Fragaria x ananassaMarmotier de Briançon, Prunus brigantina Prunellier ou épine noire, Prunus spinosa
Rubiacées

Santalacées

ThéacéesThéier, Camellia sinensis
TiliacéesTrois tilleuls d’Europe, Tilia spp.
ThymélaeacéesBois joli, Daphne mezereum
Urticacées

Verbénacées

Violacées
Pensée sauvage, Viola tricolor



Thèmes diversAgriculture hors-sol, enjeux de l’eau, L’homme et le grain, macroalgues, Le tour d’Europe des dynamiques agricoles, oléagineux en France depuis 1750, Sanjaya Rajaram, wild genes, Yuan LongpingAgriculture du Bhoutan, jus d’herbe de blé, prix Corbay


« Va prendre tes leçons dans la nature » conseillait déjà Léonard de Vinci (1452-1519) de son vivant. Avec le passage du Nouvel An, je vous propose que nous ouvrions avec le Nouvel An de nouveaux espaces en découvrant d’autres végétaux, et vous adresse à toutes et à tous ainsi qu’à vos proches mes meilleurs vœux pour cette année 2023.

Bien cordialement,

Alain Bonjean, 121e article
Orcines, le 2 janvier 2023

Du rebondissement d’un fossile vivant, le métaséquoia.

En 1941, un paléobotaniste japonais Shigeru Miki (1901-1974)1 de l’Université de Kyoto publia des recherches décrivant comme un nouveau genre, Metasequoia, des fossiles jusque-là considérés comme appartenant aux genres Sequoia ou Taxodium. Ces fossiles ayant plus de 150 millions d’années, ce genre paraissait définitivement éteint.

Fossile de Metasequoia occidentalis ®Wikipediacommons

En 1943, un professeur de sylviculture de l’université de Pékin et inspecteur de la forêt pour le ministère de l’agriculture et de la forêt, Zhan Wang (1911-2000)2, fut mis en présence d’un conifère à feuilles caduques remarquable de près de 50 m à Moudao (autrefois Modaoxi), dans le district de Lichuan de la province du Hubei en Chine, non loin du Yangtze, par un ancien camarade de classe, et des villageois. Il était appelé localement shuisa (sapin d’eau) par les autochtones qui avaient construit autour de lui un petit sanctuaire en raison de sa singularité. Sur le moment, Zhan Wang l’identifia comme Glyptostrobus pensilis, le pin d’eau, mais n’étant pas trop sûr de son fait, il en collecta quelques échantillons de branches et de cônes. De plus, en raison de la guerre sino-japonaise, il n’avait pas connaissance des travaux nippons.

Vallée des métaséquoias, Xiaohe, Hubei, Chine ®S.A. Spongberg3

Les échantillons et les observations de Zhan Wang ont ensuite été transmis en 1946 à un dendrologue de l’Université centrale nationale, Wanjun Cheng (1908-1987)4, qui, intrigué, envoya un de ses étudiants, Jiru Xue, cueillir de nouveaux échantillons. Ceux-ci présentés au directeur de l’Institut de biologie Fan Memorial de Pékin, Xiansu Hu (1894-1968)5, qui avait eu accès aux articles de Shigeru Miki permit de lever définitivement le mystère. Les échantillons provenaient d’un fossile vivant. En 1948, Xiansu Hu et Wanjun Cheng publièrent un papier lui attribuant le nom de Metasequoia glyptostroboides Hu & W.C. Cheng, 1948, connu sous le nom commun de métaséquoia (anglais : dawn redwood, water fir, water larch ; mandarin : 水杉 shui shan) et rattaché à la famille de Taxodiacées.

Depuis cette première découverte près de la frontière Sichuan-Hubei, vers 30°10’N, 108°45’E, avec une occurrence périphérique dans le nord-ouest de Hunan, à une altitude de 750 à 1500 m6, d’autres exemplaires spontanés ont été trouvés en Chine dans le Hunan et le Sichuan entre 750 et 1500 m7. L’espèce a également été inscrite sur la liste rouge de l’UICN des espèces sauvages en voie de disparition.

Exemplaire type de métaséquoia – Geelong Botanic Gardens, Australie, de gauche à droite en février, mai et juin ®DJ8

Le métaséquoia est un arbre9 rustique à croissance très rapide qui atteint 50 à 60 m de hauteur, avec un tronc droit qui peut atteindre 2 m de diamètre ou plus (2n = 22). L’écorce est brun-rouge, scoriacée. Le port est conique ou colonnaire. Comme chez les mélèzes, le feuillage formé de feuilles opposées simples, linéaires et souples de 0,8 à 1,5 cm de long est caduc. Vert brillant, il vire à l’orangé à l’automne avant de tomber. Les cônes mâles sont des panicules de quelques cm, les cônes femelles sont petits, pourvus de 16 à 30 écailles et mesurent 2 à 3 cm de diamètre. Les graines maturent environ 8-9 mois après fécondation.

Feuillage ®Plantes et fleurs ; cônes mâles et femelles, graines ®WikimediaCommons

On sait désormais10 que le métaséquoia étaitlargement distribué dans l’hémisphère nord en Europe, Amérique du Nord et en Asie de l’Est depuis le Crétacé jusqu’au dernier Âge de glace où il a failli disparaître. Ce qu’il y a d’amusant dans sa redécouverte, c’est que des botanistes chinois et américains collaborèrent dès 1947 pour en distribuer des semences de ce fossile vivant dans le monde11 avant même qu’un nom lui fut attribué. Ainsi, depuis les années 1950, le métaséquoia s’est redéployé grâce aux pépiniéristes sur de vastes territoires au climat tempéré de la planète. Aujourd’hui avant tout ornemental, les feuilles et l’écorce de ce bel arbre sont utilisées en médecine traditionnelle chinoise12comme antimicrobiens, analgésiques et anti-inflammatoires pour les maladies de peau. Plus récemment, certains pharmacologues voient en lui, une source de molécules anticancéreuses13 ou autres14. Un sujet de recherche probablement appelé à se développer.

Alain Bonjean, 120e article
Orcines, le 11 décembre 2022

Mots-clefs : Métaséquoia, Metasequoia glyptostroboides, conifère à feuilles caduques, Taxodiacée, fossile vivant

1https://www.jstage.jst.go.jp/article/hisbot/19/1-2/19_1/_pdf/-char/en

2https://www.semanticscholar.org/paper/Zhan-Wang-(1911-2000)-Shao-Liu/6e692153e67948ad283df546f3ccde2afb0b5bb5 ; J. Ma (2002). The history of the discovery and initial seed dissemination of Metasequoia glyptostroboides, a ‘living fossil’. Aliso : A journal of Systematics an evolutionary Botany 21, 2, 4.

3https://www.shelterwoodforestfarm.com/blog/2020/7/7/metasequoia-creating-a-forest-of-living-gods ; https://arboretum.harvard.edu/plants/plant-exploration/the-living-fossil/

4https://plants.jstor.org/stable/10.5555/al.ap.person.bm000326666

5https://wap.sciencenet.cn/blog-225931-571389.html?mobile=1

6 – P. Raven, et al (1986). Biology of Plants, 4th ed. New York: Worth. 774 p. ; J. SIlba (2010). Journal of the International Conifer Preservation Society, 17, 1, 25.

7 – Silba, J. (1986). An international census of the Coniferae. Phytologia  no. 8. Corvallis, OR: H.N. Moldenke and A.L. Moldenke..

8https://www.geelongaustralia.com.au/gbg/default.aspx

9https://www.mnhn.fr/fr/metasequoia-de-chine#:~:text=Le%20m%C3%A9tas%C3%A9quoia%20de%20Chine%20est,scientifiques%20la%20pensaient%20d%C3%A9finitivement%20%C3%A9teinte.&text=Ce%20conif%C3%A8re%20%C3%A0%20feuillage%20compos%C3%A9,la%20surface%20de%20la%20plan%C3%A8te , https://web.stanford.edu/group/humbioresearch/cgi-bin/wordpress/?p=297 ; http://www.friendsgbg.org.au/uploads/images/Plants-in-Focus/Metasequoia%20glyptostroboides.Liz%20Bennetto.PiF.2019-11.2.150.PW%20(1).pdf

10https://factsanddetails.com/china/cat10/sub68/item1737.html

11https://www.nybg.org/planttalk/a-botanical-puzzle-of-the-20th-century/ ; . Ma (2002). The history of the discovery and initial seed dissemination of Metasequoia glyptostroboides, a ‘living fossil’. Aliso : A journal of Systematics an evolutionary Botany 21, 2, 4.

12https://www.hindawi.com/journals/ecam/2014/136203/

13https://www.nature.com/articles/s41598-020-79573-8

14https://downloads.hindawi.com/journals/ecam/2014/136203.pdf