Des origines des divers types du colza oléagineux

En 2024, les surfaces de colza (Brassica napus L., 1753 ; )1 sont estimées en France à 1,350 million d’hectares de types d’hiver. Retrouvant dans ma bibliothèque la revue CNTA Informations2 de 1980 préfacée par François Guillaume et mesurant le chemin parcouru depuis par cet oléagineux de la famille des Brassicacées3, je me remémore que cette année-là les surfaces n’atteignaient pas les 350 000 hectares dans l’Hexagone. Je me souviens aussi de quelques noms aujourd’hui quasi oubliés qui ont suffisamment cru en cette espèce de grandes cultures au sortir de la Seconde guerre mondiale pour initier cette filière aujourd’hui emblématique de la France – Roger Petit, Raymond Noury, Bernard Le Quellec, Jacques Poly, André Cauderon, Jacques Morice, Claude Héros, relayés ensuite par Jean-Claude Sabin, Philippe Tillous-Bordes, Jean-Paul Jamet, Jean-Loup Helle, et d’autres dont j’ai eu l’honneur de faire un temps partie. Plus tard, dans les années 2000, vivant alors en Chine, j’ai eu l’opportunité de côtoyer des colzas de type alternatif en Extrême-Orient, puis d’observer des types de printemps dits canola au Canada. Ces expériences m’ont amené à creuser la question des origines de cette mellifère annuelle ou bisannuelle qui constitue le thème de cet article.


Triangle de U montrant les relations génétiques entre 6 espèces du genre Brassica, dont le colza ®CCA-2.0G


Le colza allopolyploïde (AnAnCnCn, 2n = 4x = 38) est inconnu à l’état sauvage. Son centre d’origine est incertain : certains scientifiques pensent qu’il est situé sur les côtes européennes de la Méditerranée tandis que d’autres penchent pour de multiples centres d’origine, notamment en Inde4. Cette espèce résulte de l’hybridation monophylétique survenue voici environ 7500 ans entre deux espèces diploïdes hautement polymorphiques la navette ou chou chinois (Brassica rapa L., 1753) et le choux commun (Brassica oleracea, L., 1753) qui sont également d’anciens polyploïdes, avec des restes de deux événements de polyploïdisation précédents évidents5.

Exemples de diversité génétique de Brassica rapa ®WageningenUR

Différentes sous-espèces de Brassica oleracea®SeedCollection


Ces dernières années, l’analyse génomique de populations de B. napus, B. rapa et B. oleracea a montré que le sous-génome An de B. napus provient d’un B. rapa var. rapa6 proche d’une navette européenne et que son sous-génome Cn doit provenir d’un ancêtre commun à B. oleracea var. alboglabra, italica, botrytis et gongylodes, qui pourrait être un chou sauvage. Etant donné le statut domestiqué du progéniteur européen de la navette et l’absence de populations sauvages de colza, il semble raisonnable de supposer que l’hybridation originale a probablement eu lieu dans un environnement cultivé plutôt que naturel, où des plants sauvages des régions côtières d’Europe de B. oleracea étaient implantés à proximité de populations de navette européenne7 cultivées pour l’huile d’éclairage. Suite à sa spéciation, au départ, le colza a probablement été cultivé comme un nouveau légume destiné à la consommation humaine8, voire en fourrage avant d’être spécialisé à son tour en oléagineux voici 3000 ans9.

Le séquençage récent du génome du colza10 par un consortium international de chercheurs, piloté par l’INRA et le CEA (Genoscope) associant le CNRS et l’université d’Évry a montré que « le colza aurait accumulé 72 génomes ancestraux au cours de son évolution, faisant de son génome un des plus dupliqués chez les plantes à fleurs (Angiospermes). Ce phénomène récurrent, suivi par des restructurations du génome, a conduit à l’accumulation d’un grand nombre de gènes, soit plus de 101 000. Un nombre plus de quatre fois plus important que les 20 000 à 25 000 gènes de l’Homme »… « Les chercheurs ont observé que la grande majorité des gènes du colza sont dupliqués, existant donc en deux copies à séquences proches ou quasi identiques. La totalité d’entre eux est exprimée ; pour un même gène, les deux copies participent conjointement à leur fonction. Les chercheurs suggèrent qu’ils confèrent un réservoir important de diversification, d’adaptation et d’amélioration ; la fonction principale étant régie par une copie des gènes dupliqués, la deuxième copie peut se restructurer et muter pour l’émergence de nouvelle fonction. Le dialogue se traduit également par des échanges de gènes et d’ADN entre les deux sous-génomes du colza. Ainsi, pour un gène dupliqué, normalement présent sur les deux sous-génomes, une copie peut être remplacée par la séquence de la deuxième copie du second sous-génome. Le mécanisme d’échange à l’œuvre ainsi que son avantage sélectif restent encore à déterminer, bien qu’il ait déjà été montré que ce phénomène conduit à une diversification »11.

Colza d’hiver français, canola canadien et colza chinois alternatif de gauche à droite ®Limagrain


En effet, pour s’adapter successivement à divers biomes, le colza a produit une multitude de variations phénotypiques et génomiques. Les colza oléagineux de type hivernal paraissent représenter le type primitif qui est apparu durant la formation du colza et ses premières cultures
12. Les deux autres groupes d’écotypes, les colzas oléagineux de type printemps ou canolas et les colzas oléagineux de type alternatifs ou semi-hiver se seraient ensuite formé progressivement par adaptations à différentes conditions de croissance et à l’introgression chromosomique d’espèces ancestrales et apparentées au cours des derniers siècles13.


Schéma de culture et des étapes de domestication des différents types de colza ®Hu et al., 202114, 15


Au niveau historique, la culture du colza aurait ensuite été diffusée vers l’est. Divers textes sanscrits datant de 2000 à 1500 ans av. J.-C. paraissent confirmer cette culture en Inde comme source d’huile alimentaire, de combustible de lampe à huile, de fabrication de savons, de cosmétiques et de remèdes ainsi que plusieurs témoignages grecs, gaulois, romains remontant aux années 500 à 200 av. J.-C.16

Actuellement, l’espèce est le troisième oléagineux mondial après le soja et le palme. Ses principaux bassins de production sont l’Australie, l’ouest du Canada, la Chine centrale, le Royaume-Uni et divers pays de l’Union européenne dont la France. Ils ont largement bénéficié de grands progrès en sélection depuis les années 1930, ce qui pourra constituer le sujet d’un second article sur cette robuste espèce.


Alain Bonjean, 173
e article,
Orcines, le 1er juin 2024


Mots-clefs : colza, Brassica napus, Brassica oleracea, Brassica rapa, Brassicacée, allopolyploïde, allotétraploïde, génome, sous-génome, hybridation, spéciation, diffusion précoce, bassin méditerranéen, Eurasie, culture, cultigène annuel ou bisannuel, types hiver, printemps et alternatif, légume ancien, oléagineux.

1 – Allemand, Lewat, Raps: anglais, oil-seed rape, rape; canadien: canola; espagnol: nabo, colza; hollandais: koolzaad; italien: cavolo navone, colza; mandarin : 欧洲油菜 ou zhou you cai)

2 – CNTA/OLEAGRI (1980). CNTA Informations, Paris, CNTA, 98 p.

3Brassica rapa – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org)

4OECD (2012). Organization for Economic Co-operation and Development. Consensus document on the biology of the Brassica crops (Brassica spp.). Series on Harmonisation of Regulatory oversight of Biotechnology, No 54, OECD, Paris, 142 p. ; G. Rakow, éd. (2004). I.1 Species Origin and Economic Importance of Brassica. Springer-Verlag Berlin Heidelberg.

5 – N. U (1935). Genome analysis in Brassica with special reference to the experimental formation of B. napus and peculiar lode of fertilization. Japan J. Bot. 7, 389-452; B. Chalhoub et al. (2014). Early allopolyploid evolution in the post-Neolithic Brassica napus oilseed genome. Science 345, 950-953; A.S. Mason, R. Snowdon (2016). Oilseed rape: Learning about ancient and recent polyploid evolution from a recent crop species. Plant Biology 18, 6, DOI: 10.1111/plb.12462; J. Gu et al. (2024). The story of a decade: Genomics, functional genomics, and molecular breeding in Brassica napus. Plant Communications 5, 100884, https://doi.org/10.1016/j.xplc.2024.100884

6 – J. Yang et al. (2016). Comparative mitochondrial genome analysis reveals the evolutionary rearrangement mechanism in Brassica. Plant Biol. 18, 527-536; K. Lu et al. (2019). Whole-genome resequencing reveals Brassica napus origin and genetic loci involved in its improvement. Nat. Commun 10, 1154 ; T. Wang et al. (2023). Interploidy introgression shaped adaptation during the origin and domestication history of Brassica napus. Mol. Biol. Evol. 40, 9:msad199, https://doi.org/10.1093/molbev/msad199

7 – T. Wang et al. (2023). Interploidy introgression shaped adaptation during the origin and domestication history of Brassica napus. Mol. Biol. Evol. 40, 9:msad199, https://doi.org/10.1093/molbev/msad199

8 – La collecte et la consommation de jeunes pousses florales de colza au Portugal et en Chine du Sud peuvent être vus comme des usages potagers relictuels de cette culture.

9 – C.J. Allender and G.J. King (2010). Origins of the amphiploid species Brassica napus L. investigated by chloroplast and nuclear molecular markers. BMC Plant Biology 10, 54.

10La séquence du colza rendue publique (futura-sciences.com)

11La séquence du colza rendue publique (futura-sciences.com)

12The high-quality genome of Brassica napus cultivar ‘ZS11’ reveals the introgression history in semi-winter morphotype – PubMed (nih.gov)

13 – H. An et al. (2019). Transcriptome and organellar sequencing highlights the complex origin and diversification of allotetraploid. Nat. Commun 10, 2878 ; D. Hu et al. (2021). Exploring the gene pool of Brassica napus by genomic-based approaches. Plant Biotechnology Journal 19, 1693-1712; F. Sun et al. (2017). The high quality genome of Brassica napus cultivar ‘Z511’ reveals the introgression history in semi-winter morphotype. Plant J. 92, 3, 452-468.

14 –  Brassica napus subsp. rapifera est le chou-navet ou rutabaga.

15 Brassica napus subsp. paularia est le chou-kale.

16Le colza : une espèce majeure en France – SEMAE Pédagogie (semae-pedagogie.org) : S. Saeidnia & A. Raza Gohari (2012). Importance of Brassica napus as a medicinal food plant. Journal of Medicinal Plants Research 6,14, 2700-2703; SK. Gupta, A. Pratap (2007). History, origin and evolution. Advances in Botanical Research 45, 1-20 ; The Regional Institute – History of the rapeseed (Brassica napus l.) growing and breeding from middle age Europe to Canberra ; R. Snowdown et al. (2006). Genome mapping and molecular breeding in plants – Oilseeds. Springer Science+Business Media.

One Reply to “”

  1. Bonjour Monsieur Bonjean,

    Je me permets de vous écrire étant abonnée à votre lettre.

    Je suis en train de créer un podcast sur le thème des aliments bruts avec 4 axes sensoriel, emotionnel, culturel et évolutif. En effet, je suis médecin nutritionniste de formation et je n’en peux plus des injonctions alimentaires tous azimuts et du discours purement nutritionnel sur les aliments, vantant les bienfaits de leurs composants et les réduisant à des scores chiffrés, le summum étant pour moi le nutriscore.

    Je démarre mes épisodes par des témoignages de vécus alimentaires puis j’ouvre sur un sujet. Dans l’épisode 2, une personne témoigne de sa rencontre avec la carambole à la Réunion quand elle était enfant. J’ai découvert que la carambole possédait deux substances potentiellement toxiques pour l’humain et peut être d’autres animaux d’ailleurs (?), les oxalates, présents par ailleurs dans nombres de plantes et la caramboxine avec des effets néphrotoxiques et neurotoxiques.

    J’aimerais aborder apres ce témoignage, dans cet épisode un sujet plus général sur les moyens de défenses que les plantes mettent en place pour se protéger des agressions physiques, chimiques et des prédateurs, illustré par la carambole. J’ai des notions limitées de par une formation en phytothérapie et je souhaiterais qu’un spécialiste de la question intervienne.

    Accepteriez vous de partager vos connaissances à ce sujet lors d’une interview ?

    Je vous remercie par avance de votre retour et vous souhaite une agréable journée.

    Bien cordialement

    Bénédicte GUIU Tel : 06-33-32-34-31 3 impasse des Alquiers 31560 NAILLOUX http://www.oleotop.fr

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