Le cirse des champs, cauchemar du paysan !

Population de cirse des champs femelle en floraison, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juin 2023 ©AlainBonjean

Le cirse des champs (Cirsium1 arvense (L.). Scop., 1771) ou chardon des champs, chardon des vignes, cherdu, échausside, herbe aux varices, sarette (allemand : Ackerdistel, Acker-Distel, Acker Kratzdistel ; anglais : Canada thistle, Canadian thistle, creeping thistle ; catalan : calcida vera ; espagnol : carda cundidor, carda reiguera ; hindi : kandai ; italien : cardo campestre, scardaccione, stoppione ; mandarin : 丝路蓟si lu ji)2 est une adventice envahissante des cultures et des prairies que redoutent les agriculteurs, les éleveurs et les jardiniers. Cette plante vivace nitrophile fait partie de la famille des Astéracées (ou Composées). C’est une géophyte qui passe l’hiver sous forme racinaire et redémarre au printemps.


Aire de distribution du cirse des champs native en vert et introduite en violet ©RKG3

Cette espèce d’origine eurasiatique est très commune dans les milieux anthropisés, aux terres riches et ensoleillées d’Europe (2 n = 34). Elle a été diffusée involontairement au début du XVIIe siècle en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, Afrique du Sud, Australie et dans divers autres pays.


Rosette d’une jeune cirse des champs, Sées, Orne, avril 2013 ©TelaBotanica-MHamel ; détails de feuille caulinaire, Paris, juillet 2011 ©TelaBotanica-BBui


Le cirse des champs4 présente un système racinaire complexe incluant des racines pivotantes de 2- 5 m de profondeur et des rhizomes horizontaux. Sa partie aérienne dressée atteint 50-150 cm, plus rarement 200 cm. La plante jeune forme une rosette. Ses tiges sont supérieurement rameuses, non ailées, glabres of presque glabres, presque sans épines. Les feuilles caulinaires sont sessiles, parfois légèrement décurrentes, blanchâtres aranéeuses en-dessous ou vertes et glabres sur les deux faces, oblongues lancéolées.


Capitules femelle à gauche et mâle à droite ©CACP-EPérié  et en fin de floraison, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juillet 2023 ©AlainBonjean

La floraison a lieu de juin à septembre. L’espèce est dioïque et à fleurs tubulées. Les petits capitules ovoïdes sont entourés de bractées peu épineuses ; leur couleur peut varier du pourpre ou blanc en passant par diverses nuances de rose. Les capitules femelles et mâles sont disposés en panicules corymbiformes et assez dissemblables : les fleurs mâles sont d’un rose plus vif et d’un port étalé tandis que les fleurs femelles sont plus petites, de forme allongées et légèrement plus claires ; les fleurs femelles peuvent être pollinisées par les fleurs mâles à plus de 150 mètres et produisent chacune 1500 à 5300 graines par an, lesquelles peuvent rester en dormance dans le sol durant 20 ans. Les graines sont dotées d’une aigrette qui facilite leur dissémination par le vent jusqu’à une distance de 120-250 m.


Extraordinaire potentiel semencier du cirse des champs, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juillet 2023 ©AlainBonjean

Outre sa capacité à se reproduire de façon sexuée, le cirse des champs peut se multiplier également par son système racinaire :
– Ses rhizomes qui peuvent s’étendre latéralement jusqu’à 2 mètres par an donnent naissance à de nouveaux plants à proximité de leur plant-mère, créant ainsi des petites colonies de plantes soit uniquement femelles, soit mâles.
– Lors de passage d’un outil agricole dans le sol, la plante peut aussi se bouturer par fragment de racine : un fragment de 3 mm de long suffit à ce bouturage même si la régénération est optimale pour des fragments d’au moins 2 cm.

Tout ceci suffit à expliquer que le cirse des champs reconnu comme une mauvaise herbe gênante dans le sud-est de l’Europe au XVIe siècle et commun dans toute l’Europe dès le milieu du XVIIIe siècle5 soit devenue un cauchemar pour les agriculteurs de notre sous-continent depuis cette date même si la panoplie phytosanitaire apparue au cours du XXe siècle permet aujourd’hui de partiellement la maîtriser6.


Graine entière de cirse ©TelaBotanica-LRouvbaudi et graines sans aigrettes ©SERAIL


La vie étant rarement dualiste, le cirse des champs présente aussi quelques vertus si on sait les repérer :
– Même si peu de gens la cueillent encore, la racine cuite de première année, quoique fade, est comestible7 .Les jeunes tiges pelées et cuites comme les asperges sont également consommables. Leur saveur est à la fois sucrée et salée, un peu voisine de celle de l’artichaut. Les feuilles sont également utilisables pour coaguler le lait. La graine contient environ 22% d’huile alimentaire. – Le cirse des champs est un bio-indicateur8des sols basiques riches à excédentaires en matière organique et/ou en nitrates, de la présence de calcium ou de calcaire actif (pH>7) et du compactage des sols par battage ou tassement (machines, piétinement).
– C’est une plante médicinale9 classique. La racine est tonique, diurétique, astringente, antiphlogistique et hépatique. Historiquement, elle a été mâchée contre les rages de dents. La partie aérienne du cirse des champs possède des propriétés émétiques et emménagogue. Les feuilles sont antiphlogistiques : elles provoquent une inflammation et ont des propriétés irritantes.
A noter plus largement que les espèces du genre Cirsium sont utilisées comme médecine traditionnelle chinoise depuis des centaines d’années. On pense en Extrême-Orient que celles-ci ont la capacité de de refroidir le sang et d’arrêter les saignements, de dissiper la stase sanguine, de détoxifier et d’éliminer le carboncle (inflammation nécrosante de la peau). Actuellement, elles sont principalement utilisées dans le traitement de l’hémoptysie, de l’hématémèse, de l’hémoptysie, de l’hématurie, du saignement traumatique et du purpura de Henoch-Schonlein.
– Elle joue un rôle de protection de la biodiversité10. Elle possède notamment un cortège entomologique très riche et ses graines sont apprécies de nombres de petits oiseaux. Ce cirse jouerait ainsi un rôle dans l’existence de de plus de 80 espèces animales.

Le manichéisme est un prêt-à-penser qui n’a pas sa place dans l’observation de la vie.

Alain Bonjean, 169e article
Orcines, le 22 avril 2024


Mots-clefs : cirse des champs, Cirsium arvense, Astéracée, géophyte, adventice, plante alimentaire d survie, bio-indicateur, plante médicinale, biodiversité

1Cirsium provient du grec “kirkos » qui signifie varices.

2Cirsium arvense (CIRAR)[Overview]| EPPO Global Database

3Cirsium arvense (L.) Scop. | Plants of the World Online | Kew Science

4Cirsium arvense – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Fiche espèce (infoflora.ch) ; me77.fr/IMG/pdf/seme_chardons2015web_bd.pdf ; Avis01-2017_SciCom201616_ARcirsechamps.pdf (agripress.be) ; Le chardon des champs (Cirsium arvense) – Agro Transfert (agro-transfert-rt.org) ; Scheda IPFI, Acta Plantarum Cirsium_arvense

5 – R. J. Moore (1975). The biology of Canadian weed. 13. Cirsium arvense (L.) Scop. Canadian Journal of Plant Science 55, 4, 1033-1048.

6untitled (arvalis.fr) ; Fiche 6 – chardon des champs vdef (agriculture.gouv.fr) ; Retreatment with Fall-Applied Herbicides for Canada Thistle (Cirsium arvense) Control | Weed Science | Cambridge Core ; Moyens de lutte au chardon des champs ( Cirsium arvense ) | Agriculture biologique – Agri-Réseau | Documents (agrireseau.net) ;

7Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia ; Cirsium arvense Creeping Thistle, Canada thistle PFAF Plant Database

8Fiche_8p.Chardon:Mise en page 1 (agriculture.gouv.fr)

9 – A. Preerty et al. (2020). Cirsium arvense: a multi-potent weed. Annals of Biology 36, 3, 442-447; Recent research progress of Cirsium medicinal plants in China – ScienceDirect ; Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia ; Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia

10seme_chardons2015web_bd.pdf (me77.fr), Fiche_8p.Chardon:Mise en page 1 (agriculture.gouv.fr) ; Cirsium arvense (creeping thistle) | CABI Compendium (cabidigitallibrary.org)

L’arbre aux étoiles, le badianier de Chine !

Plantation de badianiers de Chine, Funing, province du Yunnan, R.P. de Chine, février 2012, ©AlainBonjean

C’est en Chine, au sud-est de la province du Yunnan, dans le district de Funing qui borde le Guangxi au nord, à l’est et au sud-est, et la province Ha Giang du Vietnam au sud que j’ai eu la chance de visiter des plantations montagnardes sur sols de latérite de badianier de Chine (Illicium1 verum Hook. (F.), 1888), localement appelé 八角 ba jiao (littéralement, « huit cornes) par les ethnies locales qui regroupent aux côtés des Hans (vrais Chinois) divers « peuples moins nombreux » comme les Zhuang, les Buyang, les Gelao, les Yi, les Maisoe et les Yao. Cet arbre toujours vert est cultivé pour ses fruits dits « anis étoilé »2 ou « badiane » et leurs graines riches en huile essentielle. Il appartient à la famille des Schisandracées3 qui regroupe des Angiospermes primitives, essentiellement des arbres et des lianes monoïques ou dioïques d’Eurasie et du sud-est des Etats-Unis.
C’est un arbre sempervirent4 qui atteint 14-18, voire 20 m mètres de haut (2n = 2 x = 28). Le tronc très droit avec une écorce blanchâtre porte une cime pyramidale. Ses feuilles persistantes, d’un beau vert brillant sont assez grandes, (5-15 x 2-5 cm), allongées, lancéolées et lisses, coriaces à épaisses, regroupées en grappes de 3-6 aux nœuds distaux. En cette zone tropicale, l’arbre présente deux floraisons annuelles à partir de 5-6 ans : une première de mars à mai et une seconde d’août à octobre. Les fleurs sont axillaires ou subterminales, à pédoncule de 1,5-4 cm. Tépales 7-12, jaune, rose à rouge foncé, largement elliptiques à largement ovales (plus grand), 0,9-1,2 0,8-1,2 cm (plus grand). Étamines (11-)13 ou 14(-20), 1,8-3,5 mm; filaments 0,5-1,6 mm; connecteurs tronqués; anthères 1-1,5 mm; grains de pollen trisyncolpate5. Carpelles généralement 7-9(-11), 2,5-4,5 mm; ovaire 1,2-2 mm; style plus long que l’ovaire. La fructification intervient de septembre à octobre t de mars à avril. Pédoncule de fruit 2-5,5 cm. Fruit avec env. 8 follicules de 1,4-2×0,7-1,2×0,3-0,6 cm. Graines de 7-10×4-6×2,5-3 mm. La récolte généralement pratiquée par des jeunes filles et des femmes est dangereuse : elle se fait la main, en utilisant des échelles de bambou ( dans ces montagnes assez pentues, les hommes portent sur leur dos les sacs remplis de badiane par les femmes jusqu’à des camions ayant empruntés des pistes forestières ; les fruits sont ensuite séchés sur des dalles de béton dans les villages avant d’être acheminées chez des collecteurs) . L’arbre se récolte jusque vers 80 ans.

Feuilles, fleurs et fruits immatures ©G.Viall-cc-by-sa ; fruit and seeds ©RBGKew

Aire de distribution du badianier en Asie ©RBGKew

L’espèce est cultivée en Chine depuis 3000 ans. Elle pourrait être native de la province du Guangxi en Chine et du sud du Vietnam, même si ces données sont assez incertaines : il ne faut surtout pas la confondre avec la badiane du Japon (Illicium anisatum), sacrée pour les bouddhistes, qui est toxique6.

Son commerce international ne semble pas remonter à une longue antiquité
. En effet, son nom en chinois ancien ba-ji-ao- huí-xiang signifie « épice musulman à huit cornes » où « épice musulman » est en fait le nom chinois du vrai fenouil (Foeniculum vulgare)7, plante d’origine méditerranéenne qui a été commercialisée en Chine impériale par des commerçants musulmans d’Asie centrale. Cela suggère que le fenouil n’est probablement devenu connu en Chine qu’à une époque où le commerce impliquait les communautés musulmanes, et l’anis étoilé par la suite.

L’anis étoilé est aujourd’hui récolté comme épice pour la cuisine, simple médicinale et base de la parfumerie dans les provinces chinoises du Fujian, Guangdong, Guangxi, Jiangxi et Yunnan dans des forêts situées entre 200 et 1600 m d’altitude ainsi que dans une grande partie du territoires du Vietnam. Même si la Chine produit 80 à 90% de l’anis étoilé mondial, le badianier est désormais cultivé aussi dans des pays voisins (Inde, Indonésie, etc.)8 et plus lointains des régions sud d’Europe9 en et d’Amérique du Nord à petite échelle où il peut tolérer jusqu’à -8°C sur de courtes périodes.


Séchage d’anis étoilé au soleil sur dalle de béton, 2022 ©STurner et al.10

Comme épice11,
le fruit sec contient 5 à 8% d’huile aromatique, essentiellement de l’anéthol qui lui donne son goût spécifique, 22% d’huile grasse, des protéines et des résines. Ses graines sont une bonne source de minéraux comme le calcium, le fer, le cuivre, le potassium, le manganèse, le zinc et le magnésium. Il est aromatique et a un goût fort, piquant et légèrement sucré. Il est traditionnellement très employé dans les cuisines chinoises (c’est notamment un des cinq-épices de la poudre chinoise traditionnelle ; plats de viande, pain d’épices, etc.), vietnamiennes (préparation de la soupe phở ) et indiennes (préparations du biryani et du masala chai, mais aussi de tisane à laquelle on ajoute souvent du jus de citron et parfois de la cannelle).
Il est à noter que depuis la fin du XIXe siècle l’anis étoilé est aussi utilisé en Occident comme un substitut de l’anis vrai (Anethum graveolens), en moins cher, en boulangerie-pâtisserie et aussi dans la fabrication de nombreux apéritifs (pastis français, ouzo grec, sambuca italien, anisette maltaise, etc.).

Composition chimique de l’anis étoilé © Sharafan, 2022


Au niveau des médecines traditionnelles12, l’anis étoilé est essentiellement usité pour soigner la toux, le rhume, la grippe, les douleurs dentaires, les indigestions, la glycémie, la neurasthénie et renforcer le système immunitaire. Les scientifiques qui ont étudié l’anis étoilé expliquent ses propriétés antivirales, antibactériennes et même antifongiques par sa richesse en vitamine C, en acide shikimique et antioxydants, notamment en flavonoïdes, qui peuvent avoir de nombreux effets médicaux bénéfiques sur la santé.
L’huile essentielle d’anis étoilé contient de l’anéthol (85 à 90% de l’huile essentielle), de l’estragol, de l’eugénol, du pseudoeugénol, du méthylchavicol et de l’anisaldéhyde, des coumarines, de l’umbelliférone, des estrols, des hydrocarbures terpéniques et des polyacétylènes comme composés principaux. L’huile végétale a des effets pharmacologiques et cliniques. Leurs effets pharmacologiques combinés comprennent des effets antimicrobiens, hépatorétectifs, anticonvulsifiants, anti-inflammatoires, antispasmodiques, bronchodilatateurs, œstrogéniques, expectorants et insecticides, et des effets cliniques tels que nausées, constipation, ménopause, virus, diabète, obésité et sédation.

En parfumerie, son parfum obtenu par distillation est apprécié pour sa fraicheur et ses notes essentiellement destinées à des parfums masculins, ou alors pour aromatiser des dentifrices, des savons, etc. Il est aussi utilisé dans divers rituels asiatiques religieux.

Conseil du jour : ayez toujours des étoiles de badiane sous la main !

Alain Bonjean, 168e article
Orcines, le 12 avril 2024

Mots-clefs : badianier, Illicium verum, Schisandracée, anis étoilé, badiane, arbre sempervirent, Chine, Vietnam, épice, plante médicinale, plante à parfum, anéthol, acide shikimique.

1 – Le genre Illicium a son centre de diversité dans le sud-ouest de la Chine avec 27 espèces, dont I. verum est la seule à posséder des propriétés aromatiques et alimentaires.

2 – Le nom anglais du badianier est d’ailleurs star anise.
Allemand (Sternanis, Badian); danois (stjerneanis, stjerne anis); hollandais (steranijs, aas china); hindou (badayan, snasphal); indonesian (adas cina, bunga lawang, pe ka); italien (anice stellato); khmer (phka cann, poch kak lavhak, innish tähtianis); portugais (anis estrelado); espagnol (anís estrellado); thai (dok chan,poy kak bua); vietnamien(vat giac huong, dai hoi, hoi sao, mai, cay hoy).

3 – M.I.Chye (2001). A phylogenetic analysis of the Schisandraceae based on morphology and nuclear ribosomal ITS sequences. Botanical Journal of the Linnean Society 135, 401-411.

4Illicium verum in Flora of China @ efloras.org ; (anonymous) (doc-developpement-durable.org) ; Illicium verum Hook.f., 1888 – Anis étoilé-Présentation (mnhn.fr)

5 – C’est-à-dire grains de pollen avec trois fentes (syncolpes) à sa surface pour libérer le pollen.

6On the Toxin of Illicium Anisatum. I. The Isolation and Characterization of a Convulsant Principle: Anisatin1 | Journal of the American Chemical Society (acs.org)

7 – S.Y. HU. (2005). Food plants of China. Chinese University Press.

8Star Anise Cultivation in India : A Comprehensive Guide (pureleven.com), Star Anise Cultivation in Vietnam – Star Anise Crop Production in Vietnam (vietnamstaranise.com), C. Cobo, B. Fahy and D. Q. Fuller (2022). Star anise from a fifteenth century Indonesian shipwreck. Archaeology in Oceania 57, 3, 214-222.

9 – Le badianier introduit en Europe au XVIe siècle parle navigateur anglais Thomas Cavendish (1560-1592) peut se développer dans le sud de la France et en Corse. La reine Marie-Antoinette en aurait même fait planter un au Petit-Trianon.

10 – S. Turner et al. (2022). Fragant frontier: Global spice entanglements from the Sino Vietnamese uplands. NIAS Press, Copenhagen.

11The efficacy and cultivation techniques of star anise (bintangfood.com)

12Molecules | Free Full-Text | A Comprehensive Review of the Pharmacology, Chemistry, Traditional Uses and Quality Control of Star Anise (Illicium verum Hook. F.): An Aromatic Medicinal Plant (mdpi.com) : Illicium verum (Star Anise) and Trans-Anethole as Valuable Raw Materials for Medicinal and Cosmetic Applications – PubMed (nih.gov)

L’origine des variétés de pays espagnoles de blé dur et d’olivier d’après l’analyse de leurs structures génétiques et les données historiques

Un grand merci à mes collègues et amis Fernando Martínez-Moreno, José Ramón Guzmán-Álvarez, Concepción Muñoz Díez et Pilar Rallo du Département d’Agronomie de l’Université de Séville, 41013 Séville, Espagne, qui m’adressent cet article sur les variétés de pays de blé dur et d’olivier de leur pays.
Alain Bonjean

Variétés de pays de blé dur Raspinegro et d’OlivierLechin de Sevilla ©AnNvarro ; ©V.Sophie


Le blé dur (Triticum turgidum L. subsp. durum (Desf.) Husn.) est une culture céréalière annuelle et auto-pollinisée (figure 1). La plupart des variétés espagnoles sont de type printemps et peuvent être semées à l’automne dans les régions de climat méditerranéen où cette culture est bien adaptée. En fait, la culture elle-même est, on le sait, originaire du Levant méditerranéen. En outre, la qualité du grain s’améliore dans des conditions de maturité sèche et chaude, en particulier sa vitrosité, ce qui augmente le rendement de la semoule, la matière première des pâtes et du couscous. L’olivier d’Espagne (Olea europaea L. ssp. europaea var. sativa) est un arbre auto-incompatible dont les fruits sont riches en huile de haute qualité, c’est-à-dire en huile d’olive (figure 2). Il est également bien adapté au climat méditerranéen et a été décrit comme une culture tolérante à la sécheresse et à la chaleur.

Ces deux cultures ont été fondamentales pour comprendre l’agriculture du sud et de l’est de l’Espagne, spécialement dans la région méridionale de l’Andalousie, et en particulier au long de la vallée du Guadalquivir (qui comprend les provinces de Jaén, Cordoue et Séville). En 1898, il y avait 770 000 ha de blé dur et 1 092 300 ha d’oliviers (figure 3). Aujourd’hui, l’Espagne est le plus grand producteur d’huile d’olive au monde, et environ 2 700 000 ha sont consacrés à cette culture, tandis qu’environ 210 000 ha de blé dur sont semés chaque année dans le pays (2021/22). Les deux cultures présentent une grande diversité de variétés de pays. Certaines de ces variétés de blé dur étaient Rubio (littéralement « blond »), Raspinegro (« barbes noires ») ou Recio (« dur, robuste »). En ce qui concerne l’olivier, la répartition régionale et provinciale était plus claire. Ainsi, Lechin et Manzanilla de Séville étaient les principales variétés locales dans la province de Séville; Hojiblanca et Picual étaient majoritaires à Cordoue; Picual à Jaén; Aloreña et Verdial de Málaga à Malaga; Cornicabra à Ciudad Real et Toledo; Arbequina à Lleida; Empeltre dans les îles Baléares, etc. (Figure 4). Certaines de ces variétés de pays (par exemple, Picual, Arbequina, Hojiblanca) sont encore largement cultivées.

Figure 1. Parcelles d’expérimentation à Escacena (Huelva) comparant un cultivar actuel (à gauche) et une variété de pays (à droite) de blé dur. Notez les différences de hauteur et de précocité.


Figure 2. Quelques-unes des principales variétés de pays d’oliviers espagnols : (a) Arbequina; (b) Blanqueta; (c) Cornicabra; (d) Gordal Sevillana; (e) Manzanilla de Sevilla; (f) Picual. Avec l’autorisation de Grupo UCOLIVO (Université de Cordoue).


Figure 3. Provinces cultivant majoritairement le blé dur (a) et l’olivier (b) en Espagne en 1898.



Figure 4. Principales variétés de pays de blé dur (a) et d’olivier (b) cultivés en Espagne en 1898.


Méthodologie
Pour cette étude, plusieurs articles scientifiques portant sur le génotypage des variétés de pays espagnoles de ces deux cultures avec des marqueurs ADN (SSR, SNP, etc.) ont été consultés. Dans ces articles, des logiciels appropriés tel Structure ont été appliqués pour analyser la structure génétique de ces variétés locales, pour repérer les relations entre les groupes et pour représenter un dendrogramme des groupe ancestraux.

Résultats concernant le blé dur
Le blé dur était une culture importante en Espagne durant les périodes romaines et islamiques. Dans le livre du XIXe siècle « Los trigos de la Ceres Hispanica » des botanistes espagnols M. Lagasca et S.R. Clemente, la répartition des principales espèces de blé d’Espagne est clairement décrite, incluant celle blé dur qui abondait en Andalousie, Murcie et Valence. La principale utilisation de la farine de blé dur, c.-à-d. la semoule, était la fabrication du pain, bien que l’« alcuzcuz » (couscous) et surtout les « fideos » (nouilles courtes) fussent également des aliments populaires.

Pour comprendre la circulation des grains de blé dur (et du blé en général) dans le bassin méditerranéen, il est important de comprendre le concept de « saca » (à emporter) et de « trigos de la mar » (blés marins). Les villages ou les emplacements disposant d’un surplus de grain bénéficiaient d’un droit (accordé par le pouvoir public) de vente de ce grain. Dans les situations de déficit céréalier (par ex., une sécheresse), l’interdiction de la « saca » était proclamé. Lorsqu’un lieu, surtout de la côte, manquait de grain de blé, les « trigos de la mar » pouvaient être importés par bateaux. Les importations de blé de Sicile et d’Oran (dans l’actuelle Algérie) à partir des ports espagnols de Palma de Majorque, Valence ou Séville ont été particulièrement importantes. Les principales causes d’un déficit de blé dans une région espagnole provenaient des sécheresses, bien que le criquet, la carie commune ou même les inondations des champs aient également été mentionnés. Des raisons commerciales telles que des prix bas dans la région d’origine constituaient une autre raison.

Dans une étude portant sur 172 marqueurs SSR, Soriano et al. (2016) ont trouvé quatre groupes génétiques cohérents dans les variétés de pays du bassin méditerranéen. Les variétés espagnoles y sont regroupées dans le groupe du Bassin méditerranéen occidental, avec les variétés de pays du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie, de la France et de l’Italie. Par conséquent, il y avait une circulation de ces variétés au sein de ce groupe (figure 5A).

Plusieurs situations pouvaient aboutir à l’établissement d’une variété de pays de blé dur :
– Situation 1. Dans une région, par exemple, une sécheresse survenait, entraînant un déficit de blé, empêchant les habitants de semer leur blé la saison prochaine. Dans ce cas du grain de blé devait être importé d’une « saca » (intérieur des terres) ou d’un « trigo de la mar » (p. ex., de la Sicile ou d’Oran).
– Situation 2. Une partie du blé pouvait être semée, mais ce n’était pas suffisant. Par conséquent, de la semence devait être importée de l’une des deux sources citées (« saca » ou « trigo de la mar »), laissant place à un mélange à deux génotypes.
Situation 3. Une partie du grain de blé peut être semée, mais ce n’était pas suffisant. Si la semence importée provenait de deux sources différentes (« saca » et « trigo de la mar »), un mélange à trois génotypes en résultait.

Et des situations plus complexes pouvaient se produire, qui expliquent le mélange des génotypes des variétés de pays qui sont conservées dans les banques de semences espagnoles.

En ce qui concerne les regroupements des variétés de pays en Espagne, aucune liaison claire n’a été observée. C’était prévisible, car une quantité importante de semences (~100-120 kg/ha) était nécessaire pour obtenir environ 500 kg/ha de grain. Parfois, la « saca » et le « trigo de la mar » compensent le manque de semences, mais aboutissaient finalement à un mélange de génotypes qui circulait ensuite dans tout le pays jusqu’à l’endroit où l’apport de semence était nécessaire. Les variétés de blé dur espagnoles proviennent ainsi d’une circulation constante de génotypes entre l’Espagne et la région méditerranéenne occidentale (par exemple, la Sicile et Oran), et dans de régions de l’est et du sud du pays, en particulier entre les XIVe et XIXe siècles.

Résultats concernant l’olivier

En ce qui concerne le regroupement génétique des oliviers du Bassin méditerranéen, Diez et al. (2015) ont observé trois groupes, nommés Q1, Q2 et Q3. Q1 représente les variétés de pays d’oliviers du Bassin méditerranéen occidental; Q2, celles du Bassin méditerranéen central; et Q3, celles du Bassin méditerranéen oriental (le Levant), la région d’origine de la culture. Les groupes Q1 et le Q3 étaient étroitement liés, tandis que les variétés de pays du Q2 (par exemple, celles d’Italie) formaient un mélange génétique avec des oléastres locaux. Un croisement naturel entre des variétés locales d’oliviers cultivés et des oléastres locaux pourrait être plausible, tandis que des chercheurs plus aventureux ont même proposé un événement de domestication mineur et indépendant dans cette région. Cependant, cette hypothèse est toujours en débat.

Fait intéressant, les groupes Q1 et Q2 apparaissent en Espagne clairement différenciés; Q1 dans le sud (avec des variétés telle que Picual), et Q2 dans l’est (avec des variétés comme Arbequina). En quelque sorte, la répartition géographique des variétés de pays ressemblait à une carte historique de l’Espagne du Moyen-Âge et la période moderne. Les variétés Q1 provenaient du sud de l’ancien royaume de Castille (Andalousie), tandis que les variétés Q2 étaient issues de l’ancien royaume d’Aragon (à l’est). Les deux royaumes ont fusionné en 1492 pour former l’Espagne moderne, mais ils avaient leurs propres règlements et lois, jusqu’au début du XVIIIe siècle (Figure 5B et 5C). En outre, la plupart des variétés de pays d’Amérique (Californie, Mexique, Chili, Argentine, etc.) ont montré une ascendance commune avec celles du sud de l’Espagne (Q1), prouvant que c’était le royaume de Castille qui a effectué la colonisation et le commerce avec l’Amérique (en particulier de Séville) du XVe au XVIIIe siècles. Par ailleurs, le royaume d’Aragon contrôlait la Sardaigne, la Sicile et le sud de l’Italie (royaume de Naples).

La plantation d’oliviers était un travail lent et laborieux. De grandes propagules, telles que des boutures de bois dur et des drageons prélevés dans la partie basale des vieux troncs, ont été utilisées pour la plantation. Un moyen plus rapide d’obtenir une oliveraie était de greffer de petites branches d’un olivier sur des oléastres ou sur d’autres oliviers.


Figure 5. (A) Analyse de la structure génétique d’une population de 192 génotypes de blé dur du pourtour méditerranéen avec quatre groupes (représentés chacun par une couleur) et répartition géographique des groupes. (B) Carte indiquant le groupe coloré de 289 cultivars d’olive, chaque couleur représentant les trois pools de gènes différents, comme inféré par Structure. Les olives sauvages sont également colorées selon l’origine géographique et le patrimoine génétique. (C) Les proportions d’ascendance des cultivars d’olives et des olives sauvages selon Structure pour K = 5 subdivisions. L’origine géographique ainsi que le statut putatif des échantillons (cultivés ou sauvages) sont précisés. Est M = Bassin méditerranéen oriental ; Centre M = Bassin méditerranéen central ; Ouest M = Bassin méditerranéen occidental ; * désigne l’Amérique.



Par conséquent, l’extension de la culture était lente et à assez courte distance. Ceci, associé à la longévité élevée de l’arbre, explique la faible circulation des variétés locales et la nette distinction entre le sud et l’est. Les variétés de pays Q2 ont pu provenir d’Italie, en plusieurs vagues, notamment à l’époque de l’Empire romain, mais aussi lors la Renaissance quand la Sicile et le royaume de Naples étaient sous contrôle espagnol. Les variétés de pays du sud du Q2 sont très probablement originaires d’Afrique du Nord, en lien avec l’époque de l’expansion islamique (8-11ème siècles). La sécheresse et le gel ont constitué les agents les plus fréquents pour le remplacement de l’olivier. Il est intéressant de noter que les gelées, qui étaient fréquentes pendant le Petit âge glaciaire du Moyen Âge, apparaissent à plusieurs reprises dans les rares événements de circulation de matériel végétal de l’olivier. La raison en est que tous les villages en Espagne voulaient avoir de l’huile d’olive et des olives pour se nourrir, aussi a-t-on planté des oliviers dans de nombreux villages du centre et du nord du pays. Cela a induit une sélection des génotypes les plus tolérants au gel, tel qu’Arbequina.

Conclusion

Ces deux cultures ont eu des modèles différents de circulation du matériel végétal.
Dans le cas du blé dur, où le taux de semis était élevé, le manque récurrent de semences dans certaines régions d’Espagne a rendu nécessaire l’acquisition de nouvelles semences d’origine voisine ou plus lointaine, qui peuvent avoir appartenu à un génotype différent, donnant lieu à des changements génétiques dans les populations de variétés de pays.
Chez l’olivier, la longévité et la grande taille du matériel de propagation ont causé une circulation beaucoup plus lente du matériel végétal, conduisant à ls persistance dans une certaine zone sur une longue période.



Fernando Martínez-Moreno, José Ramón Guzmán-Álvarez,
Concepción Muñoz Díez et Pilar Rallo, 167
e article
Séville, le 1er avril 2024


Mots-clefs : blé dur, Triticum turgidum subsp. Durum, olivier, Olea europaea ssp. europaea var. Sativa, variétés de pays, Espagne, origine, diffusion, structure génétique, histoire


Bibliographie restreinte
Diez, C.M., Trujillo, I., Martinez-Urdiroz, N., Barranco, D., Rallo, L., Marfil, P., Gaut, B.S. Olive domestication and diversification in the Mediterranean Basin. New Phytol. 2015. 206(1): 436-447. https://doi.org/10.1111/nph.13181
Guzmán Álvarez, J.R. El Palimpsesto Cultivado. Historia de los Paisajes del Olivar Andaluz. Junta de Andalucía, Sevilla, España, 2004. https://www.juntadeandalucia.es/export/drupaljda/1337165052El_Palimpsesto_cultivado.pdf
Martínez-Moreno, F., Guzmán-Álvarez, J.R., Díez, C.M., Rallo, P. The Origin of Spanish Durum Wheat and Olive Tree Landraces Based on Genetic Structure Analysis and Historical Records. Agronomy 2023, 13, 1608. https://doi.org/10.3390/agronomy13061608
Pascual, L., Ruiz, M., López-Fernández, M. et al. Genomic analysis of Spanish wheat landraces reveals their variability and potential for breeding. BMC Genomics 21, 122 (2020). https://doi.org/10.1186/s12864-020-6536-x
Soriano, J.M., Villegas, D., Aranzana, M.J., García del Moral, L.F., Royo, C. (2016) Genetic structure of modern durum wheat cultivars and Mediterranean landraces matches with their agronomic performance. PLoS ONE 11(8), e0160983. https://doi.org/doi:10.1371/journal.pone.0160983

FLASH : Sortie de mon dernier livre « Plaidoyer pour l’agriculture verticale en enceintes contrôlées (ou AVEC) »

J’ai le plaisir de vous annoncer l’édition de « Plaidoyer pour l’agriculture verticale en enceintes contrôlées (ou AVEC) ». Vous pouvez d’ores et déjà le commander ci-dessous en contactant son éditeur, Ph. Audubert sur son email : philippe.audubert@vif-group.com

Depuis 2023, nous sommes 8 milliards d’humains à peupler la Terre et, selon les Nations Unies, nous devrions atteindre 9,7 milliards en 2050. Travaillant depuis plusieurs années sur les productions végétales conduites en fermes verticales, j’ai volontairement écrit cet essai dans un style très simple afin de montrer au public le plus large qu’au côté de l’agriculture traditionnelle qu’elle ne remplacera pas, l’innovation technologique qu’est l’AVEC constitue sous ses diverses formes un nouveau paradigme et présente de multiples avantages pour notre planète de plus en plus peuplée et urbanisée.

Ceux-ci peuvent être résumés comme suit :
– utilisation réduite de sols agricoles ne nécessitant pas de déforestation préalable et agilité d’implantation,
– usage limité d’eau et d’intrants, pas de produits phytosanitaires requis,
– possibilité de réaliser plusieurs récoltes optimisées par an au lieu d’une seule au champ limitée par les aléas biotiques et abiotiques,
– production régulière, dé-risquée des risques du changement climatique et possibilité de transformation des surplus en produits alimentaires ou industriels simples.
– fourniture de produits frais, sains et goûteux en circuits courts aux consommateurs, avec un faible impact carbone,
– revenu complémentaire désaisonnalisé et significatif pour les producteurs,
– contribution à la protection de l’environnement et de la biodiversité.

Cette nouvelle forme d’agriculture, ne se substitue pas aux productions agricoles traditionnelles au champ ou sous serre. L’AVEC les complète, lisse leurs aléas technico-économiques annuels, ouvre les portes à de nouvelles filières de transformation quand on sait appliquer les business-modèles adéquats et crée des emplois qualifiés. Elle répond aux défis alimentaires, environnementaux et sociétaux qui se posent actuellement à l’humanité. Elle fait ainsi largement sens et mérite un maximum d’attention et de soutiens, notamment au niveau politique. Sans rien céder aux marchands de peur qui trop souvent nous environnent, employons-nous à développer rapidement l’AVEC pour mieux vivre ensemble.

Alain Bonjean, article spécial livre
Orcines, le 18 février 2024

Mots-clefs : Plaidoyer pour les fermes verticales en enceintes contrôlées, AVEC, innovation technologique,

Réminiscence de la corne de cerf.


Vers la fin de mes vingtièmes années alors que je végétais en région parisienne, j’ai eu en appartement durant quelques saisons une fougère corne-de cerf (Platycerium bifurcatum (Cav.) C. Chr., 1906)1 perchée sur une étagère dont la contemplation m’a aidé à résister aux brutales exactions d’un quotidien tout-urbain et à retrouver par instants le surgissement du merveilleux de la nature. Dans cette petite boîte bétonnée de mon immeuble si semblable à tant d’autres d’Île-de-France, cette beauté chlorophyllienne aux formes étranges qui a beaucoup grandi durant notre coexistence, fut une muse discrète, un appel au voyage, une passerelle vers d’autres destinations que j’ai finies par trouver. J’ai oublié depuis longtemps comment cette magicienne avait surgi dans mon existence. Mais comme une amante chérie éloignée par les venelles de la vie, je ne l’ai jamais oubliée et, ayant côtoyé depuis certaines de ses sœurs sauvages entre tropiques du Cancer et du Capricorne, j’ai appris depuis que cette plante faisait partie de la famille des Polypodiacées qui compte environ 50 genres et près de 1000 espèces des climats chauds et humides de la planète.


Spécimen sauvage, nord de l’Australie (Qeensland) en forêt tropicale humide vers 800
d’altitude ®HTBrent-Ferns&LycophyptesoftheWorld

Le genre Platycerium2regroupe des fougères épiphytes pantropicales et comprend selon les botanistes 6 espèces afro-malgaches, 8 à11 espèces d’Australasie et une seule espèce d’Amérique du Sud tropicale, lesquelles sont souvent cultivées dans les jardins tropicaux ou en intérieur.


Aire de distribution native de la corne de cerf (en vert) et zones d’introduction (en violet) ®KewGarden


La corne de cerf est native d’Australie (New South Wales, Norfolk Is., Queensland), de Java, Nouvelle Calédonie, des petites îles de la Sonde et de Sulawesi.

Cette espèce3 peut atteindre autour de 90 cm à maturité. Elle s’implante dans les cavités d’arbres-supports à partir de rhizomes courts qui produisent deux types de frondes :
– les frondes basales stériles sont les structures arrondies en forme de cœur, de 12-45 cm de dimaètres se chevauchant, s’accrochant, comme un bouclier à la base de la fougère. Initialement vert terne et succulentes, elles deviennent brunes avec l’âge. Ces frondes sont aplaties contre l’arbre pour protéger les rhizomes et les racines touffetées qui y poussent et recueillir les détritus organiques qui peuvent fournir des nutriments à la plante.
– Les frondes fertiles ou reproductrices sont les parties vertes plus brillantes, fourchues qui poussent à partir de la base comme des feuillages dressés ou tombants. Ces frondes irrégulièrement lobées et arquées peuvent atteindre 40-90 cm de long. Chaque fronde se ramifie en deux ou trois segments plusieurs fois sur sa longueur. Les spores sont produites dans des sporanges au sein des masses brunâtres foncées (sori) sur la face inférieure de l’extrémité de ces frondes fertiles


Frondes stériles (à gauche) – et frondes fertiles vues de dessous (à droite) nzfloea.info

Comme pour toutes les fougères, la corne de cerf passe par deux phases alternée : la phase sporophytique diploïde, que nous appelons la fougère, et la phase gamétophytique haploïde
Les spores produites sur les plantes adultes se développent dans le gamétophyte, un petit corps en forme de cœur ou de rein (qui est rarement remarqué car il est vert, a seulement l’épaisseur d’une cellule, sans racines, tiges ou feuilles) et possède des organes sexuels mâles et femelles. Ceux-ci mûrissent à différents moments pour augmenter la probabilité de fécondation croisée, libérant des spermatozoïdes flagellés qui nagent vers les œufs qui sont produits dans des structures en forme de flasque (appelées archegonia) sur d’autres gamétophytes. Une fois fécondé, un zygote se forme, qui se transforme en un nouveau sporophyte. Du fait de sa reproduction par spores, cette fougère produit parfois des rejetons qui peuvent être séparés de leur plante-mère s’’ils disposent déjà de racines.

La corne de cerf est l’espèce la plus couramment cultivée du genre Platycerium comme plante ornementale, car elle est probablement la plus facile à cultiver sous réserve de bénéficier d’une température d’au moins +5 °C.

Pour mémoire, dans son aire natale, c’est aussi une plante médicinale traditionnelle employée pour traiter les ulcères les œdèmes, la toux et l’hypertension. Des études récentes04 ont permis d’en identifier les molécules les plus actives.


Alain Bonjean, 166e article
Orcines, le 18 mars 2024



Mots-clefs : corne de cerf, Platycerium bifurcatum, fougère épiphyte, Tropiques, plante ornementale, plante d’intérieur, plante médicinale traditionnelle

1 – Anglais : antelope eras, Australian elk’s horn fern, elkhorn fern, common staghorn fern

2 – H.-P. Kreier & H. Schneider (2006). Phylogeny and biogeography of the staghorn fern genus Platycerium (Polypodiaceae, Polypodiidae). J. Am. J. Bot. 93, 2, 217-225, Phylogeny and biogeography of the staghorn fern genus Platycerium (Polypodiaceae, Polypodiidae) – PubMed (nih.gov)

3Platycerium bifurcatum (Cav.) C.Chr. | Plants of the World Online | Kew Science ; NParks | Platycerium bifurcatum ; Platycerium bifurcatum · iNaturalist ; Platycerium bifurcatum – Growing Native Plants (anbg.gov.au);

4 – V.G. Kikeloma et al. (2023). Pharmacognostic evaluation of Platycerium bifrurcatum (Cav.) C. Chr. (Polypodiaceae). Int. J. of Pharmacognosy & Chinese Medicine 7, 1, 1-6: M.O. Agbo et al. (2014). Phenolic constituents from Platycerium bifrurcatum and their antioxidant properties. Journal of Natural Products 7, 48-57 ; Fatty Acids Composition of the Epiphytic Ferns, Platycerium bifurcatum and Asplenium nidus, and the Terrestrial Fern, Asplenium trichomanes (bioone.org)

L’arbre fruitier le plus vieux de France !

Olivier bimillénaire de Roquebrune-Cap-Martin ®FrancineLambert&PierreBourque, février 2024

Selon le professeur de physiologie végétale de la faculté d’Orsay Robert Bourdu2, spécialiste des arbres remarquables, cet arbre de la famille des Oléacées aurait plus de 2000 ans. D’autres sources évoquent même des durés de vie pouvant s’échelonner entre 2500 à 2800 ans. Sa datation exacte est quasi-impossible dans la mesure où comme beaucoup d’oliviers âgés du bassin méditerranéen, cet arbre a été creux avant d’émettre de nouveaux troncs de sa souche. Avec une circonférence de 23,5 m pour une hauteur de 15 m et 18 m d’envergure, il est considéré sans conteste comme le plus âgé de France3 et a été labellisé « arbre remarquable » en octobre 20164. Autofertile, il continue de produire tous les ans de petites olives noires appelées localement « pichoulinas »5.


Olivier bimillénaire de Roquebrune-Cap-Martin ®FrancineLambert&PierreBourque, février 2024 ; olive « pichoulina » ®promessedefleurs


Pour mémoire, ce superbe olivier reste néanmoins relativement jeune par rapport à deux oliviers de Crète6, situés à Pano Vouves et le second à Kavousi qui sont respectivement datés de 3000 et de 3250 ans, période où Rome n’était pas fondée7 et où les Phéniciens établissaient leurs premiers comptoirs sur les rives de la péninsule italienne

Quant au plus vieil arbre vivant de la planète, quel est-il ? La question n’est pas aussi simple qu’il y paraît selon qu’elle concerne un arbre individuel ou des populations clonales. Dans le premier cas, ce pourrait être un pin de Bristlecone (Pinus longaeva) d’environ 5000 ans poussant dans le Nevada ou un épicéa suédois (Picea abies) dont les racines ont 9552 ans et qui a la propriété de se multiplier par marcottage, les plants-mères disparaissant les uns après les autres aux alentours de 600 ans. Dans le cas des populations clonales d’arbres où chaque clone appartient à un même organisme, le record atteint environ 80 000 ans pour « Pando » une population clonale de peupliers faux-trembles (Populus tremuloides) de l’Utah aux USA.

Dans la crise profonde que vivent nos sociétés en ce premier quart du XXIe siècle, l’ainesse et l’altérité des arbres nous incitent à reprendre le contrôle de notre approche des problématiques contemporaines et nous offrent, outre leur oxygénation de l’atmosphère, leurs ombres et leurs fruits, un esthétisme inspirant.


Alain Bonjean, 165e article
Orcines, le 11 mars 2024

Mots-clefs : olivier cultivé, Olea europaea subsp. europaea var europaea, Oléacée, arbre fruitier, oléagineux, arbre remarquable, Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes)

1Olea europaea subsp. europaea – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org)

2PressReader.com – Digital Newspaper & Magazine Subscriptions ; Olivier Millénaire (Roquebrune-Cap-Martin) | Office de Tourisme Menton, Riviera & Merveilles (menton-riviera-merveilles.fr)

3 – R. Bourdu (1999). Histoires de France racontées par les arbres. Paris, Ulmer, 224 p. ; J.L. Dupouey (2010). Le plus vieil arbre. Revue forestière française LXII, 6, 678.

4L’olivier millénaire de Roquebrune-Cap-Martin : une visite insolite sur la Côte d’Azur (gralon.net) ; Arbre de l’année : l’olivier de Roquebrune-Cap-Martin élu « Coup de cœur » – France Bleu

5Olivier ‘Picholine’ (Olea europaea ‘Picholine’) : taille, bouturage, entretien (jardin-secrets.com) ; Olivier Picholine – Olea europaea – Picholine du Gard pour olives vertes (promessedefleurs.com)

6Les deux plus Vieux Oliviers du Monde se Trouvent en Crète. | Pro Fide Catholica

7 – La fondation de Rome a eu lieu en 753 av. J.-C.

Les petits fruits bleus du genre Vaccinium ou myrtilles.

Le genre Vaccinium1 L., 1753 appartient à la famille des Ericacées. Cette dernière regroupe 117 genres et environ 3850 espèces qui sont essentiellement des arbustes et plus rarement des arbres, des lianes ou des herbes des régions froides ou tempérées de la planète à basse altitude ou des montagnes tropicales aux sols siliceux acides (terre de bruyère). Leur adaptation à ces environnements difficiles est facilitée par des mycorhizes éricoïdes intracellulaires avec des champignons ascomycètes – celles-ci leur sont indispensables.


Distribution naturelle (en vert) et douteuse (en orange) du genre Vaccinium2

Le genre Vaccinium comprend selon les auteurs3 entre 140 et 450 espèces du monde entier principalement distribuées dans les régions aortiques et tempérées froides de la planète y compris dans les montagnes de la zone intertropicale. Ce sont des arbrisseaux, des arbustes ou de petits arbres érigés ou grimpants, rarement épiphytes à feuilles persistantes ou caduques alternes ou presque verticillées, à court pétioles. Les tiges sont cylindriques ou anguleuses. Fleurs hermaphrodites regroupées en racèmes axillaires ou terminaux, souvent avec des bractées, ou solitaires et axillaires. Calice en tube globuleux, à 4-5 lobes, persistant sur le fruit. Corolle étalée en cylindre ou en cloche, à 4-5 lobes. Ovaire infère à 4-5 loges et 8-10 étamines. Style cylindrique ç stigmate simple. Fruit en pseudo-baie globuleuse charnue, couronnée par les dents du calice et contenant de nombreuses petites graines.

Les espèces cueillies à des fins alimentaires au nombre de 224 et/ou plus ou cultivées beaucoup plus rares, se trouvent dans 3 sous-genres :
– le sous-genre Oxycoccus parfois traité comme un genre séparé, caractérisé par des fleurs retroussées vers l’arrière, incluant la canneberge européenne (V. oxycoccos) et la canneberge américaine (V. macrocarpon)5 à fruits rouges;
– le sous-genre Vaccinium regroupant des espèces européennes dont la myrtille bleue (V. myrtillus), la myrtilles des marais ou du loup (V. uliginosum) et l’airelle rouge (V. vitis-idaea).
– le sous-genre Cyanococcus regroupant des espèces principalement américaines comme le bleuet nain (V. angustifolium), l’espèce voisine (V. myrtilloides), le mortiño ou chivaco des Andes (V. floribundum), la myrtille de la Jamaïque ou de Colombie et les deux espèces les plus cultivées à fruits bleus, la myrtille américaine (V. corymbosum) et l’œil-de-lapin (V. ashei).

Parmi ces espèces, celles à fruits bleues les plus cueillies et/ou cultivées ou cultivables en France sont les 4 suivantes.

EspècesTailleBesoins froidCycleSolOmbreHumiditéAlimenta.Médecine
Bleuet nain0,3-1,0assez forts180-200 jAcideDO-SH31
Myrt. bleue0,2-0,6+faibles80-100 jAcideDO-SAH41
Myrt. Amér.1,0-2,0+Faibles à moyens140-160 jAcideDO-SAH41
Œil-de-lapin2,5-6,0faibles180-200 jLMDO-SM20


Distribution naturelle (en vert) et introduction (en violet) du bleuet nain ©Kewagarden


Station de bleuet nain sauvage, Saguenay-Lac saint-Jean, Québec ©tapeautonfruit ©neomedia


Le bleuet nain (V. angustifolium Aiton, 1789)6 dit aussi airelle à feuille étroites, bleuet à feuilles dentelées, bleutier (anglais : lowbush blue berry sweet blueberry), natif de l’est de l’Amérique du Nord est un arbrisseau de l’ordre de 30, voire 40 cm à propagation clonale. Il est tétraploïde, 2n = 4x=48. Ses tiges sont sans poil. Ses feuilles caduques de 2-4 cm de long sont angustifoliées, finement dentées, luisantes, vert foncé ; elles deviennent rouges à l’automne. La floraison a lieu en juin : les fleurs campanulés de 5-10 mm sont blanche ou rosées, souvent réunies en grappes pendantes, surtout chez les types cultivés. Les fruit bleus noirs, dits aussi bleuets, ont 5-20 mm de diamètre. A noter que cette espèce possède un cycle de production de 2 ans : une année dite végétative, suivie d(une année porteuse de fruits.


Propagation du bluet nain ©BewBrusnwick

Cette espèce de demi-ombre ou de plein soleil tolère les sols froids, très acides (pH 4,5 à 5,5), tourbeux, sablonneux et humides ainsi que le froid jusqu’à -32+c. Suite à des incendies, elle redémarre spontanément à partir de son rhizome7 en grandes plaques.

Le bleuet nain est essentiellement cueilli à la main : son fruit sucré, acidulé, est très riche en antioxydants et a de nombreuses propriétés bénéfiques sur le système vasculaire, cognitif et gluco-régulatoire.
Toutefois, il en existe plusieurs cultivars sélectionnés pour les bleuetières anthropisées qui peuvent atteindre 1,0 m de haut principalement aux USA, notamment dans le Maine et l’Oregon : Burgundy, Claret, Cumberland, Fubdy, Jonesboro, Both country, Northshy, Pretty Yellow, Spring, Tophat, Verde… Pour une pollinisation maximale, il convient de planter 3 cultivars différents par site. Ils peuvent être multipliés en prenant des boutures de jeune bois au printemps ou des boutures semi-mûres en été.

La fertilisation minérale ou avec des amendements organiques (fumiers, lisiers, etc.) et l’irrigation des bleuetières aménagées au Québec et aux USA améliore leurs performances, notamment le rendement en fruits. A la récolte en août, ces derniers s’ils ne sont pas consommés frais ou séchés sont généralement congelés pour être apprêtés ensuite de diverses façons (jus, sirop, vin, liqueur, sauce, confiture, gelée, coulis, sorbets, etc.).

Distribution naturelle (en vert) ou douteuse (en orange) de la myrtille bleue ©KewGarden

Cueillette en sous-bois de chêne et de bouleau de myrtille bleue sauvage et fruits, Bourg-Lastic, Puy-de-Dôme, juillet 2020 ©Alain Bonjean

La myrtille bleue (V. myrtillus L, 1753)8 ou airelle noire, abrêtier, brimbelle, cousinier, gueule noire, mauret, mourette, raisin de bruyère ou raisin des bois (anglais : bilberry, bleaberry, common bilberry, huckleberry, whinberry) est diploïde : 2n=2x = 24. C’est un sous-arbrisseau vivace et rampant de 20-60 cm, glabre et vert, aux rameaux dressés, anguleux-ailés. Ses feuilles sont caduques, ovales-aigües, finement dentées, vert pâle, finement nervées en dessous. La floraison a lieu en France en avril-juin. Les fleurs hermaphrodites sont mellifères d’un blanc verdâtre et rosé, solitaires ou géminées à l’aisselle des feuilles. Le calice présente un limbe presque entier. La corolle est en grelot subglobuleux à lobes courts et réfléchis. La fructification suit en juillet-août : les fruits de 6-10 mm de diamètre sont dressés, d’un noir bleuâtre, doux et sucrés.

C’est une espèce de demi-ombre à moyenne altitude, voire de soleil en montagne, qui apprécie le sols acides, argileux, plus ou moins caillouteux, une humidité assez élevée et des températures plutôt fraiches. Le pacage par les moutons favorise son développement. Elle pousse jusqu’à 2500 m d’altitude dans les forêts, les landes et les tourbières.

L’espèce est essentiellement cueillie à la main, parfois avec l’aide d’un « râteau ». Une partie de la récolte est consommée fraîche, l’autre transformée (confitures, confiseries, gelées, sorbets, sirops, liqueurs, pâtisseries, etc.). A l’inverse de sa cousine américaine précédemment décrite, à ma connaissance, la myrtille bleue n’a pas fait l’objet de tentatives importantes de domestication et de sélection en Europe : avec un potentiel de 2 tonnes de fruits par hectare dans ses peuplements sauvages9, cette espèce mériterait un effort de domestication. Néanmoins cette espèce possède diverses propriétés thérapeutiques. Ses fleurs disposent de propriétés antiseptiques, astringentes et toniques utiles aux traitements de la diarrhée et de la dysenterie ; ses feuilles sont hypoglycémiantes et ses fruits contiennent de nombreux composés phénoliques dont des flavonoïdes, des anthocyanosides et des pigments qui on un effet bénéfique au niveau vasculaire (insuffisance veineuse, fragilité capillaire, etc.) et dans certaines maladies liées au (DMLA, cancers, maladies neurodégénératives, etc. ). Ces baies sont aussi riches en minéraux et de vitamines A, B (B1, B2n B3, B5 et B6), C, E et K. C’est enfin une excellente source de teinture naturelle bleu foncé du fait de ses pigments et de ses tanins.

Comparaison de la composition chimique de la myrtille bleue, V. myrtillus et d’autres myrtilles à fruits bleus


Distribution naturelle (en vert) et introduite10 (en violet) de la myrtille américaine ©KewGarden

Parcelle de myrtille américaine et fruits avant maturité, La Malbaie, Québec, juillet 2023©Alain Bonjean

La myrtille américaine (V. corymbosum L. 1753)11 ou bleuet en corymbe, bleuet géant, myrtille arbustive, myrtille en corymbe, grande myrtille (anglais : highbush blueberry, Northern highbush blueberry, tall huckleberry, high nlueberry, swamp bluebbry) est une espèce hexaploïde (2n = 4x = 48) à système racinaire fibreux superficiel sans poils absorbants. C’est un arbuste buissonnant rustique, érigé qui atteint 1-2 m, voire 3,7 m, à peine moins tolérant au froid que le bleuet nain. Les feuilles sont caduques, vert foncé, ovales ou spatulées de 3-8 cm de long, à bord entier ou denté, glabres ou pubescentes en dessous. La floraison a lieu en Amérique du Nord en mai-juin. Certaines variétés sont autostériles comme l’espèce sauvage nécessitent la plantation de plusieurs cultivars sur une même parcelle pour assurer une bonne pollinisation entomophile ; d’autres sont autostériles. Les fleurs sont en corymbes denses à corolle blanche ou rose. Les fruits sont de grosses baies d’un noir bleuté à chair blanche, de 7-28 mm de diamètre, à 16-30 graines par baie.

Cette espèce qui a besoin de sols acides (pH 4,5-5,2), si possible sableux et riche en matière organique et bien drainé, a été domestiquée dans le New Jersey en 1908 par Frederick Vernon Coville (1867-1967) puis son premier cultivar a été cultivé dans cet état en 1916 avec l’appui d’Elisabeth Coleman White (1871-1954). Plus tard, cette culture et d’autres travaux de sélection ont suivi en d’autres lieux des États-Unis12. La myrtille américaine a bénéficié de plusieurs hybridation avec le bleuet nain, l’œil-de-lapin, puis d’autres espèces de Vaccinium, ce qui a permis d’étendre sa culture dans le sud des USA avec un pool génétique dit Southern highbush blueberry13, tétraploïde et hexaploïde, moins tolérant au froid et adapté à de plus basses latitudes. A noter également qu’un cultivar génétiquement modifié, Legacy, tolérant à un herbicide, a été créé dès 200714.


Récolte mécanique aux USA de la myrtille américaine ©Sargent et al., 2019


En 2012, la myrtille américaine était produite à raison de 401 000 T dans le monde, dont 215 000 t aux USA, 12 000 au Canada, 8 130 t en France15, et parfois sa récolte mécanisée16 aux USA, au Canada, en Europe, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Mexique, Argentine, Uruguay, Chili, Japon, Chine17. Quelques noms de cultivars célèbres précoces à tardifs : Aurora, Avon blue, Berkely, Blue Crop, Blueray, J, Bluetta, Collins, Darrow, Jersey, Misty, North Blue, Patriot, Pink Lemonade, Rekka, Reveille, Rubel, Sunhine Blue, … Divers guides de la culture sont disponibles18. Des travaux américano-chiliens montrent que l’on est même en train d’adapter cette culture au changement climatique.19 Toute une filière industrielle de transformation de cette grosse myrtille existe aujourd’hui aux USA et au Canada, notamment au Québec20.


Revenus US ajustés à l’inflation des producteurs de myrtille américains 1970-2018 ©Kaiser 2020

Récolte mécanique d’œil-de-lapin, USA ©RoryRegister, Fruits de la variété Titan ©UniversitédeGéorgie

L’œil de lapin (V. ashei Reade, 1931)21 ou myrtille à petites fleurs, myrtille noire du Sud (anglais : rabbit eye blueberry, small blueberry, southern black blueberru) est un grand arbuste de 2,5 à 6,0 m qui ressemble à la myrtille américaine en plus grand. Il est hexaploïde (2n=2x=72), résistant à la chaleur et à la sécheresse et bien moins tolérant au froid. Les feuilles sont caduques, disposées en spirale, aplaties à elliptiques étroites,
Ses fleurs et ses fruits sont disposés en grappes. Les fleurs sont blanches, en forme de cloche, de 5 mm de long. Elles sont autostériles d’où la nécessité de planter 2-3 cultivars ensemble pour assurer une bonne pollinisation croisée ; l’abeille indigène du sud-est, Habropoda laboriosa en est le meilleur pollinisateur. Le fruit est une fausse baie de 5-16 mm de diamètre, bleu foncé à noir, vue bleu-gris pâle du fait de la présence d’une fine couche de cire.

Cette espèce est cultivée depuis 1887 dans le nord de la Floride. Des hybrides mécanisables ont été sélectionnés en hybridation avec V. corymbosum (South Highbush blueberries). En 2016, il y en avait 4 000 ha de cultures aux USA et quelques centaines d’hectares en Australie, Amérique du Sud et Japon, Ses usages sont voisins de ceux de la grande myrtille américaine.


Production mondiale 2019 des Vaccinium à fruits bleus ou myrtilles ©FAO/USDA-Protzman, 2021

Une publication américain22e récente nous donne un panorama de l’ensemble des cultures de Vaccinium à fruits bleus de par le monde tout en précisant que la production végétale peut être courte ou de longue durée, certains cultivars étant productifs pendant aussi peu que 1 à 5 ans ou aussi longtemps que 40 à 60 ans.
La production mondiale a plus que doublé entre 2010 et 2019, passant de 439 000 tonnes à près de 1,0 million. Au cours de cette période, le nombre de pays dont la production devait faire l’objet d’une déclaration a augmenté 26 à 30 au moins, 27 pays affichant une croissance. En 2010, seulement 4 pays ont produit plus de 10 000 tonnes : États-Unis (224000 tonnes), Canada (84000 tonnes), Chili (76000 tonnes) et France (11 000 tonnes). Le nombre de pays produisant au moins 10 000 tonnes a commencé à augmenter en 2012 et n’a pas diminué depuis. En 2019, au moins 11 pays dépassaient le seuil de 10 000 tonnes. Le Pérou a connu l’expansion la plus spectaculaire, passant de moins de 50 tonnes à près de 125000 tonnes pour devenir le quatrième producteur en importance derrière les États-Unis, le Canada et le Chili. Le Pérou est désormais le premier exportateur mondial en valeur23.


Pays produisant 10 000 t ou plus de fruits bleus et répartition de la production entre hémisphères ©FAO/USDA-Protzman, 2021

Il convient de souligner qu’en 2019 les pays de l’hémisphère sud représentent près de 40 % de la croissance de la production mondiale pendant cette période, atteignant près de 300 000 tonnes en 2019. L’expansion de la production dans l’hémisphère sud a élargi la présence saisonnière de ces fruits bleus à tous les 12 mois de l’année, ce qui a accru la disponibilité pour les consommateurs et stimulé la demande mondiale.

Depuis, la production mondiale de ces fruits a augmenté à 1 228 596 t sur 173 924 hectares, soit un rendement moyen de 7,06 T/ha, en 202224 avec un taux annuel moyen de croissance de 6,39% par an depuis 1973.

Selon diverses études, les myrtilles bleues sont de plus en plus prisées en Europe tant pour leur goût savoureux que pour leurs bienfaits pour la santé Le marché européen 2023 était évalué à 8,31 milliards de $ et il devrait atteindre 11,60 milliards d’ici 202825.

Au terme de cette synthèse, trois remarques me viennent :
– Si les amateurs peuvent se contenter de récoltes manuelles pour cueillir un petit volume de ces petits fruits suffisant à leurs besoins familiaux, à de rares exceptions près, les agriculteurs européens ne trouveront pas suffisamment dans leurs territoires de main d’œuvre occasionnelle légale pour récolter des productions de quelques hectares. Il leur faudra passer par la mécanisation.
– Plutôt que subir de nouvelles importations, les producteurs européens pouvant avoir accès à des cultivars nord-américains mécanisables via des pépiniéristes ont potentiellement la possibilité d’investir dans des productions locales sous réserve de mutualiser l’usage de récolteuses et de congeler, puis de transformer leurs récoltes soit en partenariat avec des agro-industries alimentaires, soit eux-mêmes.
– Dans le même temps, quand on constate l’efficacité de la sélection universitaire nord-américaine sur leurs souches natives de myrtille américaine et d’oeil-de-lapin mais aussi de canneberge, espèce beaucoup plus ras-du-sol, pourquoi ne pas lancer dans le cadre de l’Union Européenne un consortium de sélection de cultivars mécanisables de myrtille bleue native, V. myrtillus ?w

Alain Bonjean, 164e article
Orcines, le 1er mars 2024

Mots-clefs : myrtilles, Vaccinium, bleuet nain, V. angustifollium, myrtille bleue, V. myrtillus, myrtille américaine, V. corymbosum, œil-de-lapin, V. ashei, plante alimentaire, plante médicinale

1Vaccinium L. | Plants of the World Online | Kew Science ;

2Vaccinium L. | Plants of the World Online | Kew Science

3 – M. Chauvet (2015) . Encyclopédie des plantes alimentaires. Belin, 261-266 ; B. Lantin (2014). Les Vaccinium ou myrtilles dans le monde. Jardins de France, SNHF, 62 ; G.-Q. Song & J.F. Hancock (2011). Vaccinium in : Wild Crop Relatives: Genomic and Breeding Resources, Research Branch / Agriculture Canada, 197-221.: S.P.VanderKloet (1928). The Genus Vaccinium in North America , Springer, 201 p. , K. Hummet et al. (2015). Vaccinium species ploidy assessment. Acta Hortic. DOI;10.17660/ActaHortic.2015.1101.30

4 – O.A. Abreu et al. (2013). Vaccinium (Ericaceae) : ethnobotany and pharmacological potentials. Journal of Food and Agriculture, DOI: 10.9755/EFJA. V25.10.16404 ; à noter que différentes espèces de ce genre sont aussi considérées comme des plantes médicinales. Cf. G. A. Martău et al. (2023). Vaccinium Species (Ericaceae): Phytochemistry and Biological Properties of Medicinal Plants. Molecules 28, 1533, Molecules | Free Full-Text | Vaccinium Species (Ericaceae): Phytochemistry and Biological Properties of Medicinal Plants (mdpi.com)

5 – A. Bonjean (2023) . La canneberge et sa puissante filière nord-américaine. Blog Les Chroniques du végétal du 1er août 2023.

6LxE9vesque_uqac_0862N_10543.pdf ; Apprivoiser le bleuetier sauvage (et ses microbes !) (theconversation.com)

7 – A noter que celui-ci peut rester dormant 100 ans.

8Vaccinium myrtillus – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Climate and herbivore influence on Vaccinium myrtillus over the last 40 years in northwest Lapland, Finland – Boulanger‐Lapointe – 2017 – Ecosphere – Wiley Online Library ; An Updated Systematic Review of Vaccinium myrtillus Leaves: Phytochemistry and Pharmacology (nih.gov) ; Old Plant, New Possibilities: Wild Bilberry ( Vaccinium myrtillus L., Ericaceae) in Topical Skin Preparation – PubMed (nih.gov)

9 -R. Netsby et al. (2011). The European blueberry (Vaccinium myrtillus L.) and the potential for cultivation. A review. The European Journal of Plant Science and Biotechnology,5, 5-16.

10 – Cette dernière doit être encore large qu’indiqué avec des production en Allemagne, Chili, France, etc.

11Myrtille arbustive (Vaccinium corymbosum) · iNaturalist ; Vaccinium corymbosum L. | Plants of the World Online | Kew Science ; Vaccinium corymbosum (usda.gov) ;

12Frontiers | Breeding blueberries for a changing global environment: a review (frontiersin.org) ; (PDF) Highbush Blueberry: Cultivation, Protection, Breeding and Biotechnology (researchgate.net)

13Genomic insight into the developmental history of southern highbush blueberry populations | Heredity (nature.com) ; A. Pannunzio et al. (2023). Agricultural Water Footprint of Southern Highbush Blueberry Produced Commercially with Drip Irrigation and Sprinkler Frost Protection. Agricultural Sciences 14, 114-128; P. A. Brevis et al. (2008). Impact of wide hybridization on highbush blueberry breeding. JASHS 133, 427-437; HS1245/HS1245: Southern Highbush Blueberry Cultivars from the University of Florida (ufl.edu) ;

14 – G.-Q. Song et al.(2007). Production of herbicide-resistant highbush blueberry ‘Legacy’ by Agrobacterium-mediated transformation of the Bar gene. Acta Horticulturae 738, 397-408.

15 – Cultivable en France jusqu’à 1000 m pour les types Northern.

16 – S Sargent et al. (2019). Harvest of Southern Highbush Blueberry with a Modified, Over-The-Row Mechanical Harvester: Use of Handheld Shakers and Soft Catch Surfaces. Agriculture 10, 1, 4, DOI:10.3390/agriculture10010004 ; The Economic Feasibility of Adopting Mechanical Harvesters by the Highbush Blueberry Industry in: HortTechnology Volume 26 Issue 3 (2016) (ashs.org)

17Vaccinium corymbosum L. | Plants of the World Online | Kew Science

18Blueberry Farming Information Guide | Agri Farming ; Highbush Blueberry Production (psu.edu) ; Blueberry cultivation | The 5 most common mistakes | Projar (projarinternational.com) :

19Frontiers | Breeding blueberries for a changing global environment: a review (frontiersin.org)

20 -H.M. Kaiser (2020). An Economic Analysis of Domestic Market Impacts of the U.S. Highbush Blueberry CouncilPowerPoint Presentation (blueberry.org) ; Statistical overview of the Canadian fruit industry, 2022 – agriculture.canada.ca , Grab a Boost of Blue Industry Resources – USHBC (blueberry.org)

21Vaccinium ashei (Rabbiteye Blueberry) (gardenia.net) ;

22 – E. Protzman (2021). Blueberries, around the globe – Past, Present and Future. USDA-FAS, Blueberries Around the Globe – Past, Present, and Future | USDA Foreign Agricultural Service

23Peru’s ‘fast and furious’ blueberry boom – BBC News ; Peru glances into the future of world blueberry production and consumption (freshplaza.com)

24The production of blueberries in the World – knoema.com

25Marché européen des myrtilles – Production par pays (mordorintelligence.com)

Aconits napel et tue-loup, beautés fatales.


Classant récemment des photos prises l’été dernier, je me suis fait la réflexion que l’aconit napel (Aconitum napellus subsp. napellus L., 1753), ou casque de Jupiter, casque de Minerve, char de Vénus, madriette, pistolet, sabot du pape, tora, et l’aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum subsp. vulparia), cape de moine, coqueluche jaune, étrangle-loup, herbe au loup,se maintenaient correctement dans mon Auvergne natale en dépit des avancées du changement climatique. Ces deux grandes herbacées vivaces de nos montagnes appartiennent à la famille des Renonculacées et au genre Aconitum, qui regroupe environ 400 espèces et sous-espèces reconnues1 dont plus de la moitié est originaire de Chine. Elles sont admirées pour leur beauté et redoutées pour leur grande toxicité. D’ailleurs, dans le langage des fleurs, offrir un bouquet d’aconits signifie à son destinataire qu’un danger le guette et qu’il doit être très prudent.


Stations natives d’aconit napel, Saint-Jacques-des-Blats, Cantal, juillet 2007 ©TelaBotanica-BNavez et d’aconit tue-loup, flancs du Roc de Tuile dans l’ouest du Sancy, Puy-de-Dôme, juillet 2023 ©Alain Bonjean

Ce sont des plantes à souche tubéreuse dont les tiges mesurent 50-120 cm, voire plus. Leurs feuilles sont palmées avec des divisions lobées. Les inflorescences apicales forment des grappes allongées de grandes fleurs. Le calice est formé de cinq pièces pétaloïdes, le sépale postérieur, plus développé et en forme de casque, recouvre les deux sépales latéraux qui, eux-mêmes recouvrent les sépales antérieurs. La corolle est représentée par huit pétales : six d’entre eux sont petits ou en voie de disparition, deux en arrière de la fleur ont la forme de deux cornets nectarifères longuement pédicellés, insérés dans le casque.
Il est à souligner que certains bourdons sont inféodés à la pollinisation de ces espèces ; par exemple, le bourdon des aconits, Bombus gertstaecker, et le bourdon cousin, B. consobrinus, sont deux espèces européennes s’alimentant quasi exclusivement d‘aconits, la première presque seulement sur l’aconit tue-loup. Les étamines sont nombreuses. Le fruit comprend plusieurs follicules.

EspècesAconit napel2– 2n = 4 x = 32Aconit tue-loup3 – 2n = 2 x = 16
RacineRhizomateuse, brun noir, aux tubercules renflés en forme de navet de 5-10 cmRhizomateuse épaisse, charnue, fibreuse
Tiges100-200 cm, très feuillée, simple ou rameuse, pubescente dans le haut40-100 cm, voire plus, port touffu et érigé ; tige dressée mince
FeuillesFeuilles profondément palmatiséquées, à division linéaires ou lancéoléesFeuilles alternes palmatiséquées à larges segments cunéiformes trifides
FleursLongue inflorescence dense. Fleurs bleus foncés, parfois violacées ou blanches à pédoncules dressés ou un peu étalésInflorescence lâche de 15 fleurs maximum. Fleurs jaunâtres pâles, zygomorphes, à sépale supérieur en forme de casque
FloraisonJuillet-octobre en FranceJuin-septembre en France
Fruit-graines3, voire 5 follicules glabres à maturité, graines ovales ridées sur une seule face2-5 follicules
graines ridées sur les deux faces
Distribution en France 4
Ecologie hexagonaleBois frais à hygroclines, mégaphorbiaies sur sols riches en éléments minéraux et prés humides dans une partie de la FranceMégaphorbiaies montagnardes basophiles, bordures d’éboulis et forêts humides de l’étage montagnard
Variationssubsp. burnatii
subsp. corsicum
subsp. lusitanicum
subsp. vulgare
subps. lycotonum à fleurs bleues ou blanches ; Europe du nord et de l’est
subps. neapolitanum à fleurs jaunes ; montagnes du sud de l’Europe

Localisation des chaînes des monts Hengduan ©Pancrat

Le sud-ouest de la Chine, le nord du Myanmar et l’extrême nord-est de l’Inde, en particulier les monts Hengduan (provinces du Sichuan et du Yunnan, région dite autonome du Tibet, état de Kachin), constitue le centre d’origine et de diversité le plus important du genre Aconitum5 qui comprend plusieurs plantes médicinales et toxiques. Dans l’Antiquité, les pointes des flèche des Grecs et des Gaulois étaient fréquemment empoisonnées au jus d’aconit. A la Renaissance, les Borgia les employaient encore comme poisons. Au XVIIe siècle, l’ingénieur militaire lithuanien Kazimierz Siemienowicz (1600-15651) proposa l’emploi de boulets remplis de poudre d’aconit, d’anémone, de jusquiame et de ciguë pour gazer l’ennemi6. Durant la Seconde guerre mondiale, des chercheurs nazis s’inspirant des travaux précédents tentèrent de fabriquer des obus à l’aconitine, projet qu’ils ne parvinrent pas à industrialiser faute de temps.


Formule de l’aconitine ©FVasconcellos


Surnommée l’« arsenic végétal », l’aconit napel est la plante la plus toxique d’Europe car toutes ses parties contiennent de nombreux alcaloïdes diterpéniques, dont de l’aconitine, poison du système nerveux dont la molécule fut isolée pour la première fois en 1819 par le chimiste allemand R. Brandes (1795-1842) :les feuilles renferment de 0,2 à 1,2 % d’aconitine, les racines de 0,3 à 2 %7. D’autres alcaloïdes sont également présents : aconine, capeline, hypoaconitine, jesaconitine, lycaconitine, mésacontine, néoline, néopelline, etc. L’absorption de 0,25 mg d’aconitine est toxique chez l’adulte, la dose léthale étant de 3 mg (ce qui équivaut à ingérer 2 à 3 g de racine). Attention : l’aconitine est lipophile et peu donc être absorbée par la peau et les muqueuses – il vaut mieux éviter de toucher la plante sans gants. Elle ouvre les voies du sodium dans le cœur et tous les tissus de l’organisme.
Les symptômes de l’intoxication apparaissent entre 10 et 45 minutes après l’ingestion : brûlures, fourmillements buccaux et des extrémités, sueurs, perte du goût, troubles de la vue et de l’ouïe, engourdissement de la face puis du corps. Surviennent ensuite des vomissements, des diarrhées et des paralysies musculaires. Puis, selon la base de données Toxiplante, la paralysie se généralise, la température du corps et la respiration baissent. L’agonie se poursuit de manière horrible avec une conscience intacte durant au plus 12 h et s’achève avec la défaillance du cœur par fibrillation ventriculaire.

L’aconit tue-loup renferme aussi de l’aconitine et aussi de la lycacinitine et de la myoctonine8. Elle a longtemps été utilisée en Europe pout tuer les loups (d’où son nom latin d’espèce, lycoctonum) et aussi les renards (d’où le nom de sous-espèce vulparia).

Compte-tenu de la beauté de sa floraison, l’aconit napel est protégée en Belgique et en France seulement en Centre-Val-de-Loire, Champagne-Ardenne, Haute-Normandie, Poitou-Charentes et Isère. L’aconit tue-loup est classée LC (préoccupation mineure) sur la liste rouge de la flore vasculaire de France métropolitaine depuis 2019, avec une mention quasi menacée en Alsace, vulnérable en Bourgogne, et en danger critique d’extinction en Limousin. Au vu de la toxicité de ces plantes, malgré leurs attraits évitons de les cultiver dans nos jardins pour protéger les enfants et contentons nous de les admirer dans la nature.

Alain Bonjean, 163e article
Orcines, le 20 février 2024

Mots-clefs : aconit napel, Aconitum napellus, aconit tue-loup, Aconitum lycoctonum, Aconitum, Renonculacée, herbacée, plante vivace, plante toxique, alcaloïdes diterpéniques, aconitine, Eurasie, monts Hengduan, plante ornementale

1 – S Ali et al. (2021). A comprehensive review of phytochemistry, pharmacology and toxicology of the genus Aconitum L. Advances in Traditional Medicine 23, 5, https://doi.org/10.1007/s13596-021-00565-8 ; [PDF] Phylogeny of Aconitum Subgenus Aconitum in Europe | Semantic Scholar ; Molecular and morphological analyses of EuropeanAconitum species (Ranunculaceae) | Plant Systematics and Evolution (springer.com)

2Aconitum napellus L., 1753 – Aconit napel, Casque de Jupiter, Casque-Description, fiches détaillées (mnhn.fr) ; Aconitum napellus | BSBI Species Accounts

3Aconitum lycoctonum L., 1753 – Aconit tue-loup, Coqueluchon jaune-Présentation (mnhn.fr) ; Phylogeny and reclassification of Aconitum subgenus Lycoctonum (Ranunculaceae) | PLOS ONE

4https://www.preservons-la-nature.fr/

5 – D.-C. Hao et al. (2019). Chap 1, In: Genomics and evolution of medicinal plants. Ranunculales Medicinal Plants-Biodiversity, Chemodiversity and Pharmacotherapy. Academic Press 1-33.

6 – L. Menapace (2024). L’aconit napel. Blog Gallica du 15 janvier 2024.

7 – H. de Bentz (1969). Nuztiervergiftungen, Erkennung und Verhutungen. G. Fisher Verlag, 361.

8 – P. Fournier (1947). Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, tome I. Ed. Lechevalier, Paris, 28

Le sarrasin de Tartarie, une culture de grande valeur nutritionnelle et médicinale sous-exploitée.

Bande de sarrasin de Tartarie, Seine-et-Marne, Août 2006 ©AlainBonjean

Dans les années 2000, j’ai découvert le sarrasin de Tartarie (Fagopyrum tataricum (L.) Gaertn., 1790) ou blé noir fourrager, sarrasin amer, lors de mes pérégrinations en Chine notamment dans la province du Shanxi où sa farine est souvent mélangée à celle de blé tendre blanc pour fabriquer des pâtes diététiques ou utilisée à la production de cosmétiques riches en antioxydants et dans celles du Yunnan où certaines ethnies locales, notamment les Yi, utilisent ses graines dans la confection de nougats. Cette Polygonacée est localement appelé ku qiao, 苦荞, en mandarin (allemand : Falscher Buchweizen, Tartaren Bucheizen, Tatarisher Buch weizen ; anglais : bitter buckwheat, green buckwheat, kangra buckwheat, rough buckwheat, tartarian buckwheat, tartary buckwheat ; catalan : fajol boig ; hollandais : franse boekweit, Himalayan boetweit ; italien : grano saraceno di Siberia).

C’est une plante herbacée annuelle1 robuste de 30-100 cm à tige dressée, glabrescente et rameuse (2n = 2x = 16 ; génome c. 450 Mb). Sa biomasse est plus importante que celle du sarrasin commun (Fagopyrum esculentum). Ses feuilles larges (2-7×2-8 cm), sagittées en cœur, triangulaires- acuminées possèdent des gaines allongées, ciliées et sont palminervées.
En Chine, la floraison a lieu de mai à septembre. Les fleurs sont petites (environ 2,0-2,5 mm), blanc verdâtre ou jaunâtre, peu attractives pour les insectes et essentiellement cléistogames et regroupées en grappes axillaires. Les fruits sont des achènes trigones (5-6 mm), très saillants, rugueux à angles sinués-dentés. Ces graines ont la particularité de germer de manière très inégale, caractère primitif qui montre que sa domestication n’est pas totalement achevée. Leurs principaux débouchés alimentaires traditionnels sont de petits pains cuits à la vapeur, des gruaux, des pâtes alimentaires et des germes ou micropousses.

Détails d’inflorescence et des graines ©2024MichaelHassler ©USDA-NCRS-SteveHurst


Cette espèce de lumière adaptée aux conditions continentales tolère les sols argileux acides, secs et riches en nutriments ainsi que le froid et la sécheresse. Elle n’est pas tolérante à la salinité.


Carte de diffusion du sarrasin de Tartarie (HW, populations himalayennes sauvages ; SL, populations cultivées du sud-ouest ; NL, populations cultivées du nord ©Zhang et al, 2021


Cette espèce cultivée provient probablement des montagnes de l’Himalaya et plus précisément du nord-ouest du Yunnan ou des régions attenantes du Tibet et du Sichuan2 où elle aurait commencé d’être domestiquée à partir de la sous-espèce sauvage
F. tataricum ssp. potanini voici c. 4000 ans. En Chine, le sarrasin de Tartarie a ensuite été diffusé des contreforts de l’Himalaya vers la Chine du Sud et vers la Chine du Nord par deux routes séparées3 et une étude récente4 suggère que deux événements de domestication indépendants (ou d’adaptation aux milieux ?) se seraient alors produits dans le sud-ouest et le nord de la Chine, ce qui expliquerait l’hétérogénéité et diverses caractéristiques des variétés modernes du sarrasin de Tartarie. Cette espèce est aujourd’hui cultivé entre 400 et 4440 m d’altitude, en fait surtout entre 1500 et 3000 m. Il est également produit de manière significative au Bhoutan, dans le nord de l’Inde, et au Népal.Sa culture a ultérieurement été diffusée à de très larges régions de l’Europe (surtout centrale) et de l’Amérique du nord, via de faibles quantités de graines mélangées à celles su sarrasin commun, mais la chronologie de sa globalisation reste incertaine5. L’ethnobotaniste P. Schilperroord6 considère que le sarrasin de Tartarie a été cultivé en Allemagne pour la première fois comme plante ornementale à Memmingen, Bavière, en 1733 puis introduite peu après en Suisse. D’une manière générale, elle y est peu produit de nos jours. Pourtant, selon les génotypes, sa période de croissance est atteinte en 60 à 110 jours avec un rendement oscillant entre 900 et 2250 kg/ha, pouvant parfois atteindre 4500 kg/ha7.


Distribution native de l’espèce en vert et introductions en violet ©KewGardens

Le grain de sarrasin de Tartarie est habituellement un peu plus amer que celui de sarrasin commun et contient plus de rutine8, flavonoïde naturel aux propriétés pharmaceutiques intéressantes – c’est un puissant piège à radicaux libres doté d’une forte activité antioxydante, d’effets antiinflammatoires et anticancéreux et aussi de réduction de la toxicité du mauvais cholestérol oxydé. Il renferme d’autres composants bioactifs9 comme des flavonoïdes, des acides phénoliques, de la 2-hydroxybenzylamine et de la quercitrine dont les teneurs varient selon les cultivars et les zones de production. La différence la plus importante par rapport à l’arôme du sarrasin commun est l’absence de salicylaldéhyde et la présence de naphtalène10. Par suite, le salicylaldéhyde pourrait être proposé comme marqueur pour détecter la contamination du sarrasin de Tartarie par le sarrasin commun.

EspècesSarrasin communF. homotropicumS. de Tartarie
Teneur en rutine, en poids sec0,02%0,10%1,67%
Teneur en flavonoïdes, en poids sec0,04%0,3%2,04%
Teneurs comparées en rutine et flavonoïdes du sarrasin commun, du sarrasin de Tartarie et de leur apparentée F. homotropicum ©Jiang et al., 2007


Variations des teneurs en rutine selon les origines des échantillons ©Lhutar
et al., 2021

Autre point attractif d’un point de vue industriel : les granules d’amidon de sarrasin de Tartarie ont une taille de 3-14µm et contiennent en moyenne 20-28% d’amylose, voire plus11. Ils ont utilisés comme substitut de graisse, ingrédient pour les produits extrudés, matériau nano-composite et substrat de fermentation pour les boissons alcoolisées. Avec peu de développement, ils pourraient constituer une ressource pour d’autres applications alimentaires et non alimentaires.


Matières et plats à base de sarrasin de Tartarie ©Kreft et al., 202312
a, farine de sarrasin de Tartarie à gauche
vs farine de sarrasin commun à droite sur le marché de Xichang, Liangshan Yi Autonomous Préfecture, Sichuan, Chine
b, pâte de farine de sarrasin de Tartarie ; la couleur vert jaune est due à la présence des métabolites secondaires indiquées dans le texte
c, bretzels locaux à base de 40% de farine de sarrasin de Tartarie  et de 30% de farine de blé tendre blanc ; couleur vert jaune liée à la présence des métabolites secondaires
d, soupe végan slovène à l’huile d’olive, épaissie à gauche par des grains décortiqués de sarrasin commun bouillis et à droite avec des grains décortiqués de sarrasin de Tartarie bouillis


La consommation régulière de cette pseudocéréale et de produits enrichis de sarrasin de Tartarie présente de multiples avantages pour la santé13, par exemples, effets antioxydants, anti-inflammatoires, anti-hyperlipidémiques, anti-acné, anticancéreux, anti-obésité, antihypertenseurs et activités hépato-protectrices ainsi que des effets cognitifs positifs, ce qui en a fait pour certains nutritionnistes un nouvel aliment détox. En particulier, les études cliniques indiquent que le sarrasin de Tartarie présente des activités antidiabétiques remarquables14. Il convient aussi de noter que la production de vin de riz chinois incluant du grain de sarrasin de Tartarie15 a permis de fabriquer de nouveaux types de vins aux arômes particuliers et à faible teneur en alcool. Par ailleurs, le Japon a récemment sélectionné des cultivars tel « Manten-Kirarai » qui sont riches en rutine sans être amers après avoir abaissé la teneur du grain en rutinosidase16.

Un sujet d’un autre ordre est à souligner : le sarrasin de Tartarie est une plante de jour courts dont la croissance reproductrice peut être accélérée par une induction de lumière courte pour compléter le cycle de vie en moins de temps. L’emploi de LED bleue17 est notamment recommandé comme source lumineuse pour augmenter significativement la teneur des composés phénoliques dans les jeunes pousses de sarrasin de Tartarie. La teneur maximale en rutine (43,37 mg/g de poids sec) a été observée dans les micropousses 4 jours après l’exposition à la lumière bleue. De même, la teneur la plus élevée en cyanidine 3-O-rutinoside (0,85 mg/g PS) a été détectée après 10 jours d’exposition à la lumière bleue. Par ailleurs, la lumière rouge éloignée18 améliore l’élimination des péricarpes dans la production de germes et de micropousses de sarrasin de Tartarie sous éclairage artificiel.
Voilà qui devrait donner des idées aux exploitants de fermes verticales en enceintes closes produisant ou sélectionnant sous LEDs !


Alain Bonjean, 162e article
Orcines, 15 février 2024.


Mots-clefs : Sarrasin de Tartarie, Fagopyrum tataricum, F. tataricum ssp. potanini Polygonacée, plante herbacée, plante annuelle, plante cultivée, pseudocéréale, Himalaya, Yunnan, Chine, Europe, Amérique du Nord, rutine, flavonoïdes, amylose, aliment-détox, LEDs

1Fagopyrum tataricum – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Fagopyrum tataricum in Flora of China @ efloras.org ; Haplotype-resolved genomes of two buckwheat crops provide insights into their contrasted rutin concentrations and reproductive systems | BMC Biology | Full Text (biomedcentral.com)

2 – O. Onishi (1998b). Search for the wild ancestor of buckwheat III. The wild ancestor of cultivated common buckwheat, and of Tartary buckwheat. Econ. Bot. 52:123–133 ; K. Tsuji, O. Onishi (2000). Origin of cultivated Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum Gaertn.) revealed by RAPD analyses. Genetic Resources and Crop Evolution 47, 431-438 ; K. Tsuji, O. Onishi (2001). Phylogenetic relationships among wild and cultivated Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum Gaert.) populations revealed by AFLP analyses. Genes Genet. Syst. 76,47–52; J. Zhou et al. (2023). The pan-plastome of Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum): key insights into genetic diversity and the history of lineage divergence. BMC Plant Biology 23, 212, https://doi.org/10.1186/s12870-023-04218-7 ; Y.-F. Yao et al. (2022). New insights into the origin of buckwheat cultivation in southwestern China from pollen data. New Physiologist 237, 6, 2467-2477.

3 – K.X. Zhang et al. (2021). Resequencing of global Tartary buckwheat accessions reveals multiple domestication events and key loci associated with agronomic traits. Genome Biol. 22, 1, 23. Resequencing of global Tartary buckwheat accessions reveals multiple domestication events and key loci associated with agronomic traits | Genome Biology | Full Text (biomedcentral.com)

4 – K. Zhang et al. (2021). Resequencing of global Tartary buckwheat accessions reveals multiple domestication events and key loci associated with agronomic traits

5 – H. V. Hunt, X. Shang and M. K. Jones (2018). Buckwheat: a crop from outside the major Chinese domestication centres? A review of the archaeobotanical, palynological and genetic evidence. Vegetation History and Archaeobotany 27, 493–506

6 – P. Schilperoord (201). Plantes cultivées en Suisse – Le sarrasin. Verein fûr alpine Kulturplanzen, 100 p.

7 – M. Zhou, T. Yu, X. Deng, C. Ruan (2018). Description of cultivated Tartary buckwheat. In: Buckwheat germplasm in the World, Elsevier Inc., 45-52.
Lire aussi: L. Aubert et al. (2021). Comparison of Plant morphology, yield and nutritional quality of Fagopyrum esculentum and Fagopyrum tataricum grown under field conditions in Belgium. Plants (Basel) 10,2, 258, Comparison of Plant Morphology, Yield and Nutritional Quality of Fagopyrum esculentum and Fagopyrum tataricum Grown under Field Conditions in Belgium – PMC (nih.gov)

8 – L. Zhang et al. (2017). The Tartary buckwheat genome provides insights into rutin biosynthesis and abiotic stress tolerance. Mol. Plants 10, 9, 1224-127; The Pharmacological Potential of Rutin – ScienceDirect ; An up-to-date review of rutin and its biological and pharmacological activities – PMC (nih.gov) ; The Pharmacological Potential of Rutin – PMC (nih.gov) ; P. Jiang et al. (2006). Rutin and flavonoid contents in three buckwheat species Fagopyrum esculentum, F. tataricum and F. homotropicum and their protective effects against lipid peroxidation. Food Research International 40, 3, 356-364.
La rutine est aussi appelée rutoside.

9 – Z. Luthar et al. (2021). Tartary Buckwheat in Human Nutrition. Plants, 10, 700. https://doi.org/10.3390/plants10040700/

L. Zhou et al. (2021). Bioactive compounds, helth benefits, and industrial applications of Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum). Criticals Reviews in Food Science and Nutrition, https://doi.org/10.1080/10408398.2021.1952161

10 D. Janeš, H. Prosn and S. Kreft (2012). Identification and quantification of aroma compounds of some Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum Gaertn.) an some of its milling fraction. Food Science 77, 7, C746-C751.

11 – F. Zhu (2016). Buckwheat starch : Structures, properties and applications. Trends in Food Science & Technology 49, 131-135.

12 – I. Kreft et al. (2023). A Crop of High Nutritional Quality and Health Maintenance Value: The Importance of Tartary Buckwheat Breeding. Agriculture, 13, 1783. https://doi.org/10.3390/agriculture13091783/

13 – L. Zhou et al. (2021). Bioactive compounds, helth benefits, and industrial applications of Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum). Criticals Reviews in Food Science and Nutrition, https://doi.org/10.1080/10408398.2021.1952161

14Mechanisms of antidiabetic effects of flavonoid rutin – ScienceDirect

15 – Q. Ren et al. (2018). The changes of microbial community and favor compound in the fermentation process of Chinese rice wine using Fagopyrum tataricum grain as feedstock. Scientific Reports 9,3365, The changes of microbial community and flavor compound in the fermentation process of Chinese rice wine using Fagopyrum tataricum grain as feedstock | Scientific Reports (nature.com)

16 – T. Susuki et al. (2014). Breeding of ‘Manten-Kirari’, a non bitter and trace-rutisonidase variety of Tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum Gaertn.). Breed Science 64, 4, 344-350.

17 – A. Thwe et al. (2014). Effects of light-emitting diodes on expression of phenyl propanoid biosynthetic genes and accumulation of phenylpropanoids in Fagopyrum tataricum sprouts. Journal of Agriculture and Food Science 62,21 , 4839-4845.
Lire aussi : S.-W. Lee et al. (2014). Influence of different LED lamps on the production of phenolic compounds in common and Tartary buckwheat sprouts. Industrial crops and Products 64, 320-326 ; S. Zhang et al. (2021). Effects of light on secondary metabolites biosynthesis in medicinal plants. Front. Plant Sci. 12, https://doi.org/10.3389/fpls.2021.781236/ ; D. Zhang et al. (2018). The light‐induced transcription factor FtMYB116 promotes accumulation of rutin in Fagopyrum tataricum. Plant Cell Environ. 42, 1340-1351.

Combined effects of elevated UV-B radiation and the addition of selenium on common (Fagopyrum esculentum Moench) and tartary [Fagopyrum tataricum (L.) Gaertn.] buckwheat | Photosynthetica (springer.com)

18 – K. Kitazaki et al. (2015). Far-red light enhances removal of pericarps in tartary buckwheat (Fagopyrum tataricum Gaertn.) sprout production under artificial lighting. Scientia Horticulturae 185, 167-174.

Beauté du câprier et saveur exquise de ses condiments.

Dans mes souvenirs méditerranéens, la délicatesse de la fleur du câprier (Capparis spinosa L., 1753), aussi appelé câprier épineux, fabagelle, tapénier1, est l’image identitaire de ces territoires qui me vient aussitôt à l’esprit. Voici quelques années, en compagnie de mon épouse, j’en ai découvert sous un soleil de plomb, un plant fleuri, vert bronzé et turgescent, ancré dans les gradins de ce lieu de mort médiatique que reste par delà les siècles le Colisée de Rome et y ait vu, un pied de nez ironique de la vie, après tout le sang et l’effroi déversés au cœur de cet ogre monumental pour satisfaire les pires passions humaines. L’accent circonflexe qui écrase son « a » me remémore aussi la saveur unique de ses câpres, c’est-à-dire de ses boutons floraux confits dans une saumure vinaigrée, que l’on retrouve subtilement mêlée au feu de l’estragon dans la sauce gribiche.

Câprier subspontané du Colisée, Rome, Italie, juin 2009 ©AlainBonjean

Le genre Capparis appartient à la famille des Capparacée2, voisine de celle des Brassicacées, et comprend 350 espèces d’origines tropicales, subtropicales, dont beaucoup se seraient ensuite acclimatées au bassin méditerranéen et à l’Asie centrale.

Le câprier apparaît être un hybride spontané entre C. orientalis et C. sicula3. Les botanistes en distinguent deux sous-espèces4 C. spinosa subsp. spinosa L. distribuée dans le sud de l’Europe, l’Afrique du Nord incluant le Sahara, la péninsule arabique, et d’autres terroirs allant du Moyen-Orient aux portes occidentales de la Chine et C. spinosa subsp. rupestris. (Sibth. & Sm.) Nyman aux rameaux totalement glabres, à la fin inermes et aux épines fines, aisément caduques, présente en France, Italie, Espagne, Slovénie, Malte, Croatie, Albanie et aussi en Turquie, Grèce, Algérie, Lybie et Tunisie.
Comme cela a été confirmé par de multiples découvertes archéologiques5 en Egypte d’il y a 17 000 ans, d’Irak datées de 5800 av. J.-C. et de Chine de 2800 av. J.-C. le câprier est connu depuis très longtemps pour la cueillette à la main de ses boutons floraux non encore épanouis et aussi de ses fruits. Avec les premiers confits au sel de mer sec ou en saumure et conservés au vinaigre, on fabrique toujours un condiment, la câpre ; avec les seconds marinés un autre à peine moins connu, le câpron.

Câpres à gauche et câprons à droite ©DreamFood

Distribution spontanée de l’espèce ©KewGardens6




Cette espèce xérophyte7, très tolérante à la sécheresse et aux fortes températures, est un arbrisseau sous-ligneux aux racines multiples et profondes, fixatrices d’azote8, qui peut atteindre 1 m de haut. Sa souche émet de nombreuses tiges couchés ou dressées, longues de 1 m, voire plus, pubescentes au sommet. Celles-ci portent des feuilles alternes, ovales arrondies, à pétiole muni à la base de 2 épines recourbées, acérées. La floraison a lieu de mai à juillet dans l’hémisphère nord et peut durer 5 mois. Les fleurs abondantes ne durent qu’une journée. Elles sont grandes d’un blanc rosé, solitaires sur des pédoncules épais, à 4 sépales verdâtres et 4 longs pétales obovales. Les étamines fines, élégantes, de couleur violette sont nombreuses et dépassent la corolle. Le stigmate est sessile. La pollinisation est croisée. La baie en forme de rein contient de nombreuses petites graines.


Culture de câpriers au Maroc,1997 ©AgriMaroc


D’un point de vue médicinal9, la câpre contient de nombreux principes actifs dont la capparidine qui lui donne son goût particulier, de la provitamine A et de la vitamine C, du calcium, du sodium, du magnésium et du potassium, des flavonoïdes et des antioxydants. Elles sont pauvres en calories et en graisses. Les médecines traditionnelles des zones câprières en recommandent la consommation pour lutter contre le stress oxydatif, réguler la pression artérielle, faciliter la digestion et stimuler la libido. L’extrait des racines est aussi employé pour lutter contre la faiblesse capillaire et traiter les plaques rouges de la peau.


Alain Bonjean, 161e article
Orcines, le 1er février 2024

Mots-clefs : câprier, Capparis spinosa, Capparacée, arbrisseau, xérophyte, câpre, câpron, capparidine, condiments, médecine traditionnelle

1 – Allemand : Dorniger Kapernstrauch ; anglais : capter, caper busch, caper tree, spiny caper; arabe: kabbar; catalan: taperera; espagnol: alcaparra, alcaparro, tapenera; grec: kάππαρη ; italien : cappero comune).

2Capparis spinosa – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org)

3 – D. Rivera et al. (1999). Taxonomic study of cultivated Capparis sect. Capparis in the western Mediterranean, in Taxonomy of Cultivated Plants, ed S. Andrew, A. C. Leslie, and C. Alexander (England: Royal Botanic Gardens), 451–455.

4 – C. Inocencio et al. (2006). A systematic revision of Capparis section Capparis (Capparacées). Annals of the Missouri Botanical Garden 93, 1, 122-149; H. Rankou et al. (2020). Capparis spinosa, Caper, vu sur www.iucnredlist.org ; A taxonomic revision of the Capparis spinosa group (Capparaceae) from eastern Africa to Oceania | Phytotaxa (biotaxa.org)

5Frontiers | Capparis spinosa L. in A Systematic Review: A Xerophilous Species of Multi Values and Promising Potentialities for Agrosystems under the Threat of Global Warming (frontiersin.org)

6Capparis spinosa L. | Plants of the World Online | Kew Science

7Capparis spinosa L. in A Systematic Review: A Xerophilous Species of Multi Values and Promising Potentialities for Agrosystems under the Threat of Global Warming (nih.gov)

8 – G. Andrade et al. (1997). Isolation and identification of N2-fixing microorganisms from the rhizosphere of Capparis spinosa (L.). Plant Soil. 197, 19–23. doi: 10.1023/A:1004211909641

9 – M. Heseam Shahrajabian et al. (2021). Plant of the Millennium, Caper (Capparis spinosa L.), chemical composition and medicinal uses. Bulletin of the National Research Centre 45, 131, https://doi.org/10.1186/s42269-021-00592-0

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