Aconits napel et tue-loup, beautés fatales.


Classant récemment des photos prises l’été dernier, je me suis fait la réflexion que l’aconit napel (Aconitum napellus subsp. napellus L., 1753), ou casque de Jupiter, casque de Minerve, char de Vénus, madriette, pistolet, sabot du pape, tora, et l’aconit tue-loup (Aconitum lycoctonum subsp. vulparia), cape de moine, coqueluche jaune, étrangle-loup, herbe au loup,se maintenaient correctement dans mon Auvergne natale en dépit des avancées du changement climatique. Ces deux grandes herbacées vivaces de nos montagnes appartiennent à la famille des Renonculacées et au genre Aconitum, qui regroupe environ 400 espèces et sous-espèces reconnues1 dont plus de la moitié est originaire de Chine. Elles sont admirées pour leur beauté et redoutées pour leur grande toxicité. D’ailleurs, dans le langage des fleurs, offrir un bouquet d’aconits signifie à son destinataire qu’un danger le guette et qu’il doit être très prudent.


Stations natives d’aconit napel, Saint-Jacques-des-Blats, Cantal, juillet 2007 ©TelaBotanica-BNavez et d’aconit tue-loup, flancs du Roc de Tuile dans l’ouest du Sancy, Puy-de-Dôme, juillet 2023 ©Alain Bonjean

Ce sont des plantes à souche tubéreuse dont les tiges mesurent 50-120 cm, voire plus. Leurs feuilles sont palmées avec des divisions lobées. Les inflorescences apicales forment des grappes allongées de grandes fleurs. Le calice est formé de cinq pièces pétaloïdes, le sépale postérieur, plus développé et en forme de casque, recouvre les deux sépales latéraux qui, eux-mêmes recouvrent les sépales antérieurs. La corolle est représentée par huit pétales : six d’entre eux sont petits ou en voie de disparition, deux en arrière de la fleur ont la forme de deux cornets nectarifères longuement pédicellés, insérés dans le casque.
Il est à souligner que certains bourdons sont inféodés à la pollinisation de ces espèces ; par exemple, le bourdon des aconits, Bombus gertstaecker, et le bourdon cousin, B. consobrinus, sont deux espèces européennes s’alimentant quasi exclusivement d‘aconits, la première presque seulement sur l’aconit tue-loup. Les étamines sont nombreuses. Le fruit comprend plusieurs follicules.

EspècesAconit napel2– 2n = 4 x = 32Aconit tue-loup3 – 2n = 2 x = 16
RacineRhizomateuse, brun noir, aux tubercules renflés en forme de navet de 5-10 cmRhizomateuse épaisse, charnue, fibreuse
Tiges100-200 cm, très feuillée, simple ou rameuse, pubescente dans le haut40-100 cm, voire plus, port touffu et érigé ; tige dressée mince
FeuillesFeuilles profondément palmatiséquées, à division linéaires ou lancéoléesFeuilles alternes palmatiséquées à larges segments cunéiformes trifides
FleursLongue inflorescence dense. Fleurs bleus foncés, parfois violacées ou blanches à pédoncules dressés ou un peu étalésInflorescence lâche de 15 fleurs maximum. Fleurs jaunâtres pâles, zygomorphes, à sépale supérieur en forme de casque
FloraisonJuillet-octobre en FranceJuin-septembre en France
Fruit-graines3, voire 5 follicules glabres à maturité, graines ovales ridées sur une seule face2-5 follicules
graines ridées sur les deux faces
Distribution en France 4
Ecologie hexagonaleBois frais à hygroclines, mégaphorbiaies sur sols riches en éléments minéraux et prés humides dans une partie de la FranceMégaphorbiaies montagnardes basophiles, bordures d’éboulis et forêts humides de l’étage montagnard
Variationssubsp. burnatii
subsp. corsicum
subsp. lusitanicum
subsp. vulgare
subps. lycotonum à fleurs bleues ou blanches ; Europe du nord et de l’est
subps. neapolitanum à fleurs jaunes ; montagnes du sud de l’Europe

Localisation des chaînes des monts Hengduan ©Pancrat

Le sud-ouest de la Chine, le nord du Myanmar et l’extrême nord-est de l’Inde, en particulier les monts Hengduan (provinces du Sichuan et du Yunnan, région dite autonome du Tibet, état de Kachin), constitue le centre d’origine et de diversité le plus important du genre Aconitum5 qui comprend plusieurs plantes médicinales et toxiques. Dans l’Antiquité, les pointes des flèche des Grecs et des Gaulois étaient fréquemment empoisonnées au jus d’aconit. A la Renaissance, les Borgia les employaient encore comme poisons. Au XVIIe siècle, l’ingénieur militaire lithuanien Kazimierz Siemienowicz (1600-15651) proposa l’emploi de boulets remplis de poudre d’aconit, d’anémone, de jusquiame et de ciguë pour gazer l’ennemi6. Durant la Seconde guerre mondiale, des chercheurs nazis s’inspirant des travaux précédents tentèrent de fabriquer des obus à l’aconitine, projet qu’ils ne parvinrent pas à industrialiser faute de temps.


Formule de l’aconitine ©FVasconcellos


Surnommée l’« arsenic végétal », l’aconit napel est la plante la plus toxique d’Europe car toutes ses parties contiennent de nombreux alcaloïdes diterpéniques, dont de l’aconitine, poison du système nerveux dont la molécule fut isolée pour la première fois en 1819 par le chimiste allemand R. Brandes (1795-1842) :les feuilles renferment de 0,2 à 1,2 % d’aconitine, les racines de 0,3 à 2 %7. D’autres alcaloïdes sont également présents : aconine, capeline, hypoaconitine, jesaconitine, lycaconitine, mésacontine, néoline, néopelline, etc. L’absorption de 0,25 mg d’aconitine est toxique chez l’adulte, la dose léthale étant de 3 mg (ce qui équivaut à ingérer 2 à 3 g de racine). Attention : l’aconitine est lipophile et peu donc être absorbée par la peau et les muqueuses – il vaut mieux éviter de toucher la plante sans gants. Elle ouvre les voies du sodium dans le cœur et tous les tissus de l’organisme.
Les symptômes de l’intoxication apparaissent entre 10 et 45 minutes après l’ingestion : brûlures, fourmillements buccaux et des extrémités, sueurs, perte du goût, troubles de la vue et de l’ouïe, engourdissement de la face puis du corps. Surviennent ensuite des vomissements, des diarrhées et des paralysies musculaires. Puis, selon la base de données Toxiplante, la paralysie se généralise, la température du corps et la respiration baissent. L’agonie se poursuit de manière horrible avec une conscience intacte durant au plus 12 h et s’achève avec la défaillance du cœur par fibrillation ventriculaire.

L’aconit tue-loup renferme aussi de l’aconitine et aussi de la lycacinitine et de la myoctonine8. Elle a longtemps été utilisée en Europe pout tuer les loups (d’où son nom latin d’espèce, lycoctonum) et aussi les renards (d’où le nom de sous-espèce vulparia).

Compte-tenu de la beauté de sa floraison, l’aconit napel est protégée en Belgique et en France seulement en Centre-Val-de-Loire, Champagne-Ardenne, Haute-Normandie, Poitou-Charentes et Isère. L’aconit tue-loup est classée LC (préoccupation mineure) sur la liste rouge de la flore vasculaire de France métropolitaine depuis 2019, avec une mention quasi menacée en Alsace, vulnérable en Bourgogne, et en danger critique d’extinction en Limousin. Au vu de la toxicité de ces plantes, malgré leurs attraits évitons de les cultiver dans nos jardins pour protéger les enfants et contentons nous de les admirer dans la nature.

Alain Bonjean, 163e article
Orcines, le 20 février 2024

Mots-clefs : aconit napel, Aconitum napellus, aconit tue-loup, Aconitum lycoctonum, Aconitum, Renonculacée, herbacée, plante vivace, plante toxique, alcaloïdes diterpéniques, aconitine, Eurasie, monts Hengduan, plante ornementale

1 – S Ali et al. (2021). A comprehensive review of phytochemistry, pharmacology and toxicology of the genus Aconitum L. Advances in Traditional Medicine 23, 5, https://doi.org/10.1007/s13596-021-00565-8 ; [PDF] Phylogeny of Aconitum Subgenus Aconitum in Europe | Semantic Scholar ; Molecular and morphological analyses of EuropeanAconitum species (Ranunculaceae) | Plant Systematics and Evolution (springer.com)

2Aconitum napellus L., 1753 – Aconit napel, Casque de Jupiter, Casque-Description, fiches détaillées (mnhn.fr) ; Aconitum napellus | BSBI Species Accounts

3Aconitum lycoctonum L., 1753 – Aconit tue-loup, Coqueluchon jaune-Présentation (mnhn.fr) ; Phylogeny and reclassification of Aconitum subgenus Lycoctonum (Ranunculaceae) | PLOS ONE

4https://www.preservons-la-nature.fr/

5 – D.-C. Hao et al. (2019). Chap 1, In: Genomics and evolution of medicinal plants. Ranunculales Medicinal Plants-Biodiversity, Chemodiversity and Pharmacotherapy. Academic Press 1-33.

6 – L. Menapace (2024). L’aconit napel. Blog Gallica du 15 janvier 2024.

7 – H. de Bentz (1969). Nuztiervergiftungen, Erkennung und Verhutungen. G. Fisher Verlag, 361.

8 – P. Fournier (1947). Le livre des plantes médicinales et vénéneuses de France, tome I. Ed. Lechevalier, Paris, 28

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