Le cirse des champs, cauchemar du paysan !

Population de cirse des champs femelle en floraison, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juin 2023 ©AlainBonjean

Le cirse des champs (Cirsium1 arvense (L.). Scop., 1771) ou chardon des champs, chardon des vignes, cherdu, échausside, herbe aux varices, sarette (allemand : Ackerdistel, Acker-Distel, Acker Kratzdistel ; anglais : Canada thistle, Canadian thistle, creeping thistle ; catalan : calcida vera ; espagnol : carda cundidor, carda reiguera ; hindi : kandai ; italien : cardo campestre, scardaccione, stoppione ; mandarin : 丝路蓟si lu ji)2 est une adventice envahissante des cultures et des prairies que redoutent les agriculteurs, les éleveurs et les jardiniers. Cette plante vivace nitrophile fait partie de la famille des Astéracées (ou Composées). C’est une géophyte qui passe l’hiver sous forme racinaire et redémarre au printemps.


Aire de distribution du cirse des champs native en vert et introduite en violet ©RKG3

Cette espèce d’origine eurasiatique est très commune dans les milieux anthropisés, aux terres riches et ensoleillées d’Europe (2 n = 34). Elle a été diffusée involontairement au début du XVIIe siècle en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, Afrique du Sud, Australie et dans divers autres pays.


Rosette d’une jeune cirse des champs, Sées, Orne, avril 2013 ©TelaBotanica-MHamel ; détails de feuille caulinaire, Paris, juillet 2011 ©TelaBotanica-BBui


Le cirse des champs4 présente un système racinaire complexe incluant des racines pivotantes de 2- 5 m de profondeur et des rhizomes horizontaux. Sa partie aérienne dressée atteint 50-150 cm, plus rarement 200 cm. La plante jeune forme une rosette. Ses tiges sont supérieurement rameuses, non ailées, glabres of presque glabres, presque sans épines. Les feuilles caulinaires sont sessiles, parfois légèrement décurrentes, blanchâtres aranéeuses en-dessous ou vertes et glabres sur les deux faces, oblongues lancéolées.


Capitules femelle à gauche et mâle à droite ©CACP-EPérié  et en fin de floraison, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juillet 2023 ©AlainBonjean

La floraison a lieu de juin à septembre. L’espèce est dioïque et à fleurs tubulées. Les petits capitules ovoïdes sont entourés de bractées peu épineuses ; leur couleur peut varier du pourpre ou blanc en passant par diverses nuances de rose. Les capitules femelles et mâles sont disposés en panicules corymbiformes et assez dissemblables : les fleurs mâles sont d’un rose plus vif et d’un port étalé tandis que les fleurs femelles sont plus petites, de forme allongées et légèrement plus claires ; les fleurs femelles peuvent être pollinisées par les fleurs mâles à plus de 150 mètres et produisent chacune 1500 à 5300 graines par an, lesquelles peuvent rester en dormance dans le sol durant 20 ans. Les graines sont dotées d’une aigrette qui facilite leur dissémination par le vent jusqu’à une distance de 120-250 m.


Extraordinaire potentiel semencier du cirse des champs, Grande Limagne, Saint-Beauzire, Puy-de Dôme, juillet 2023 ©AlainBonjean

Outre sa capacité à se reproduire de façon sexuée, le cirse des champs peut se multiplier également par son système racinaire :
– Ses rhizomes qui peuvent s’étendre latéralement jusqu’à 2 mètres par an donnent naissance à de nouveaux plants à proximité de leur plant-mère, créant ainsi des petites colonies de plantes soit uniquement femelles, soit mâles.
– Lors de passage d’un outil agricole dans le sol, la plante peut aussi se bouturer par fragment de racine : un fragment de 3 mm de long suffit à ce bouturage même si la régénération est optimale pour des fragments d’au moins 2 cm.

Tout ceci suffit à expliquer que le cirse des champs reconnu comme une mauvaise herbe gênante dans le sud-est de l’Europe au XVIe siècle et commun dans toute l’Europe dès le milieu du XVIIIe siècle5 soit devenue un cauchemar pour les agriculteurs de notre sous-continent depuis cette date même si la panoplie phytosanitaire apparue au cours du XXe siècle permet aujourd’hui de partiellement la maîtriser6.


Graine entière de cirse ©TelaBotanica-LRouvbaudi et graines sans aigrettes ©SERAIL


La vie étant rarement dualiste, le cirse des champs présente aussi quelques vertus si on sait les repérer :
– Même si peu de gens la cueillent encore, la racine cuite de première année, quoique fade, est comestible7 .Les jeunes tiges pelées et cuites comme les asperges sont également consommables. Leur saveur est à la fois sucrée et salée, un peu voisine de celle de l’artichaut. Les feuilles sont également utilisables pour coaguler le lait. La graine contient environ 22% d’huile alimentaire. – Le cirse des champs est un bio-indicateur8des sols basiques riches à excédentaires en matière organique et/ou en nitrates, de la présence de calcium ou de calcaire actif (pH>7) et du compactage des sols par battage ou tassement (machines, piétinement).
– C’est une plante médicinale9 classique. La racine est tonique, diurétique, astringente, antiphlogistique et hépatique. Historiquement, elle a été mâchée contre les rages de dents. La partie aérienne du cirse des champs possède des propriétés émétiques et emménagogue. Les feuilles sont antiphlogistiques : elles provoquent une inflammation et ont des propriétés irritantes.
A noter plus largement que les espèces du genre Cirsium sont utilisées comme médecine traditionnelle chinoise depuis des centaines d’années. On pense en Extrême-Orient que celles-ci ont la capacité de de refroidir le sang et d’arrêter les saignements, de dissiper la stase sanguine, de détoxifier et d’éliminer le carboncle (inflammation nécrosante de la peau). Actuellement, elles sont principalement utilisées dans le traitement de l’hémoptysie, de l’hématémèse, de l’hémoptysie, de l’hématurie, du saignement traumatique et du purpura de Henoch-Schonlein.
– Elle joue un rôle de protection de la biodiversité10. Elle possède notamment un cortège entomologique très riche et ses graines sont apprécies de nombres de petits oiseaux. Ce cirse jouerait ainsi un rôle dans l’existence de de plus de 80 espèces animales.

Le manichéisme est un prêt-à-penser qui n’a pas sa place dans l’observation de la vie.

Alain Bonjean, 169e article
Orcines, le 22 avril 2024


Mots-clefs : cirse des champs, Cirsium arvense, Astéracée, géophyte, adventice, plante alimentaire d survie, bio-indicateur, plante médicinale, biodiversité

1Cirsium provient du grec “kirkos » qui signifie varices.

2Cirsium arvense (CIRAR)[Overview]| EPPO Global Database

3Cirsium arvense (L.) Scop. | Plants of the World Online | Kew Science

4Cirsium arvense – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Fiche espèce (infoflora.ch) ; me77.fr/IMG/pdf/seme_chardons2015web_bd.pdf ; Avis01-2017_SciCom201616_ARcirsechamps.pdf (agripress.be) ; Le chardon des champs (Cirsium arvense) – Agro Transfert (agro-transfert-rt.org) ; Scheda IPFI, Acta Plantarum Cirsium_arvense

5 – R. J. Moore (1975). The biology of Canadian weed. 13. Cirsium arvense (L.) Scop. Canadian Journal of Plant Science 55, 4, 1033-1048.

6untitled (arvalis.fr) ; Fiche 6 – chardon des champs vdef (agriculture.gouv.fr) ; Retreatment with Fall-Applied Herbicides for Canada Thistle (Cirsium arvense) Control | Weed Science | Cambridge Core ; Moyens de lutte au chardon des champs ( Cirsium arvense ) | Agriculture biologique – Agri-Réseau | Documents (agrireseau.net) ;

7Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia ; Cirsium arvense Creeping Thistle, Canada thistle PFAF Plant Database

8Fiche_8p.Chardon:Mise en page 1 (agriculture.gouv.fr)

9 – A. Preerty et al. (2020). Cirsium arvense: a multi-potent weed. Annals of Biology 36, 3, 442-447; Recent research progress of Cirsium medicinal plants in China – ScienceDirect ; Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia ; Cirsium arvense – Monaco Nature Encyclopedia

10seme_chardons2015web_bd.pdf (me77.fr), Fiche_8p.Chardon:Mise en page 1 (agriculture.gouv.fr) ; Cirsium arvense (creeping thistle) | CABI Compendium (cabidigitallibrary.org)

2 Replies to “Le cirse des champs, cauchemar du paysan !”

  1. bonjour,

    il me semble que il y a une contradiction dans cette phrase :

    ”Les feuilles sont antiphlogistiques : elles provoquent une inflammation et ont des propriétés irritantes.”

    Votre conclusion est hautement philosophique d’autant que je crois que cette plante faisait (fait ?) l’objet d’arrêté préfectoraux pour son éradication dans les prés envahis.

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