Associé au bonheur par le poète Paul Fort (1872-1960) dans ses « Ballades françaises »1, le serpolet (Thymus serpyllum L., 1753), dit aussi farigoulette, herbe à garenne, petit thym, pillolet, serpolet à feuilles étroites, serpoule, serpoulet, serpoullet, thym batard, thym rouge, thym sauvage, thym serpolet dans notre pays (allemand : sand thymian ; anglais : breckland thyme, creeping thyme, wild thyme ; catalan : farigola negra, serpol ; espagnol : serpola, serpolla, tomiullo salserp ; gaulois : gilaros ; hollandais : wilde tijme ; italien : timo serpillo, timo settentrionale), est un sous-arbrisseau de la grande famille des Lamiacées. Le genre Thymus seul comporte plus de 300 espèces regroupées par les botanistes en 8 sections et 12 sous-sections2. Son nom latin correspondant historiquement à plusieurs Lamiacées circum-méditerranéennes aromatiques de petite taille, est lui-même issu du grec thumon qui signifait « offrande (que l’on brûle) » et « parfum (lié à l’odeur agréable que la plante dégage) », et de l’égyptien antique tham, nom d’une plante servant à embaumer les corps ou de la racine grecque thy, signifiant « exhaler une odeur ». Le nom d’espèce serpyllum dérive, via le vieux provençal, du latin serpyllum qui désignait les thyms rampants et du grec herpyllos, « ramper », allusion à ses courtes tiges couchées, traçantes qui forment en floraison de superbes tapis colorés.


Plaques de serpolet dans une prairie naturelle maigre à moutons et détails des fleurs vers Saint-Germain l’Herm (63), 2019 ©AlainBonjean
C’est une plante vivace extrêmement polymorphe3 du point de vue morphologique et chimique comme tous les thyms. Elle mesure 5-10, voire rarement 30 cm, verte, glabrescente ou peu velue, aromatique. Sa souche peu épaisse porte de longues tiges couchées-radicantes émettant des racines au niveau des nœuds, formant des tapis assez serrés. Les rameaux assez allongés sont brièvement pubescents tout autour portant des feuilles pérennes, petites, obovales en coin ou linéaires-oblongues (4-6 mm de long), atténuées et longuement ciliées à la base, glabres sur les faces, à nervures saillantes. La floraison a lieu de juin à octobre. Les fleurs de 3 à 6 mm sont disposées en pseudo-verticilles de 3 à 8 fleurs formant des inflorescences terminales en épis globuleux ou ovoïdes. Elles sont roses ou mauves, parfois blanches. Le calice des fleurs, en forme de clochette, est poilu tout autour ou glabre en dessus. La corolle est bilabiée, la lèvre supérieure dressée à 2 lobes, l’inférieure à 3 lobes. Les étamines sont didymes4. La pollinisation s’effectue de manière largement entomophile. Les fruits bruns, lisses et ovales sont de petites nucules ellipsoïdales, composés de 4 akènes accolés.



Azuré du serpolet ©Lepinet.fr/P.Mothiron | Eupithécie du thym © Lepinet.fr/DMorel | Zygènes pourpres ©Wiki.RBurkard |
Le serpolet est la plante hôte de chenilles de nombreux papillons dont l’azuré du serpolet (Phengaris arion L., 1758)5, l’eupithécie du thym(Eupithecia distinctaria Herrich-Schäffer, 1848)6 et la zygène pourpre (Zygaena purpuralis Brunnich, 1763)7.
Au passage, permettez-moi de souligner que la reproduction de l’azuré du serpolet nécessite curieusement la présence de cette plante mais aussi d’une fourmi, Myrmica sabuleti, le plus souvent ou d‘autres espèces du même genre. « La femelle pond en moyenne soixante œufs à l’apex des tiges dans les inflorescences de serpolet comportant des boutons floraux non éclos, à raison d’un œuf par inflorescence… La chenille ne se déplace presque pas. Les trois premiers stades de développement larvaire se passent dans les inflorescences de la plante hôte. Le dernier stade larvaire se déroule dans une fourmilière à partir de la fin de l’été. Le transport vers la fourmilière se fait par une fourmi : après sa dernière mue larvaire, la chenille se laisse tomber au sol »8. Ne pouvant s’y déplacer, la larve de l’azuré attire les fourmis par mimétisme mais surtout en émettant une goutte de miellat, disposant d’une signature chimique copiant celles des larves de fourmis et émettant des stridulations semblables à celles des reines de fourmis. Environ 15% des larves arrivent ainsi à se faire transporter sur quelques mètres dans la fourmilière où elles hivernent. Au printemps, elles sont nourries par les ouvrières ou bien se nourrissent d’œufs et de larves de fourmis9 jusqu’à leur métamorphose en chrysalide. « Une partie des chenilles resteront cependant un an de plus dans la fourmilière, ayant pour conséquence des émergences bimodales bénéfiques à la survie de l’espèce car la préservant d’incidents climatiques ponctuels. Trois semaines plus tard, le papillon, appelé imago, en sort rapidement pour rejoindre l’air libre »10.
Cette plante native d’Eurasie qui aime les terrains secs et caillouteux de la plaine à la montagne jusque vers 2500-3000 m. A l’inverse du thym qui aime calcaire et chaleur, le serpolet vient très bien sur les terrains acides et tolère bien les gelées jusque vers -20°C. Cependant, son parfum et ses propriétés médicinales sont systématiquement renforcés par une exposition ensoleillée.
Le serpolet est très mellifère et prisé des abeilles, ainsi que des bourdons, papillons et autres pollinisateurs. Son miel11 pur est rare, orange à brun quand il est solide (il se fige rapidement et se conserve longtemps) ; il possède un goût prononcé avec des arômes de foin sec et de fruits ; on le trouve plus fréquemment en mélanges dans les miels toutes fleurs de montagne ou de garrigue.
Dans diverses régions d’Europe, notamment en Italie et en France, le serpolet est employé comme aromate en cuisine, notamment pour parfumer certaines salades et différents plats de viande et de poisson, voire des desserts.
Composition moyenne de l’huile essentielle
Composés | Para-cymène | Gamma- terpinène | Géraniol | Linalol | Bornéol | Bêta-carophyllène | Carvacrol | Thymol | Acétate de géranylle |
% | 14,20 | 10,43 | 11,00 | 4,56 | 2,14 | 3,11 | 15,36 | 14,95 | 3,93 |
La partie aérienne du serpolet possède une longue tradition d’usages ethno-pharmaceutiques12 dans plusieurs pays du Vieux continent en tant qu’antiseptique puissant, anthelmintique, antiviral, antispasmodique, carminatif, déodorant, diaphorétique, désinfectant, expectorant, sédatif et tonique. Il est encore très fréquemment employé pour traiter de troubles gastrointestinaux13 ou respiratoires consécutifs à des refroidissements, souvent associé au romarin et à la sauge, voire à du miel local. Dans l’ouest des Balkans, on l’emploie comme sédatif, pour faciliter la circulation du sang et aussi comme immunostimulant. Dans la partie alpine de l’Italie et en Auvergne, il est utilisé pour soulager les rhumatismes et la sciatique. En Inde, il soigne les troubles menstruels et dans le nord du Pakistan il est employé comme anthelmintique. En traitement externe, il combat l’eczéma, permet de se remettre rapidement de contusions et de réduire la transpiration.

Depuis plusieurs décennies, l’huile essentielle14de serpolet a été très étudiée : la plante en contient 0,15 à 0,60 % d’essence incolore à jaune, d’odeur semblable à celle de la mélisse et du thym. Si sa teneur et sa composition varient fortement d’une région à l’autre et selon l’âge de la plante, en moyenne, l’huile de serpolet présente une activité antioxydante supérieure à celles des huiles essentielles d’autres espèces de Thymus.
Alain Bonjean,
Orcines, le 1er mai 2021.
Mots-clefs : serpolet, Thymus serpyllum, Lamiacée, Eurasie, plante aromatique, huile essentielle, carvacrol, thymol, plante médicinale, plante mellifère, lépidoptères, azuré du serpolet, eupithécie du thym, zygène pourpre
1 – Paul Fort (1917). Le Bonheur. Poème extrait des Ballades du beau hasard.
2 – F. Saez, E. Stahl-Biskup, ed. (2002). Thyme : the genus Thymus. Medicinal and aromatic plants – Industrial profiles, book 24, Kindle ed., 498 p. ; A. Ghasemi Pirlabouti et al. (2015). An overview on genus Thymus. Journal of herbal drugs 6, 2, 93-100.
3 – K. Baczek et al. (2019). Intraspecific variability of wild thyme (Thymus serpyllum L.) occurring in Poland. J. of Applied Res. on Med. And Arom. Plants 12, 30-35 ; https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/126573 ; https://www.tela-botanica.org/eflore/?referentiel=bdtfx&module=fiche&action=fiche&num_nom=75414&onglet=synthese
4 – C’est-à-dire formées de deux parties plus ou moins arrondies et accouplées.
5 – http://maculinea.pnaopie.fr/wp-content/uploads/2010/11/120326_azure_serpolet_fev2012.pdf
6 – https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/248650
7 – https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/247042
8 – Florence Merlet et Xavier Hoaurd (2012). L’azuré du serpolet, OPIE, Paris, 8 p.
9 – Maculinea : Un papillon parasite les fourmis et dévore leurs (…) (myrmecofourmis.fr) ; T.D. Als T.D. et al. (2001). Adoption of parasitic Maculinea arion caterpillars (Lepidoptera : Lycaenidae) by three Myrmica ant species. Anim. Behav.62, 99-106.
10 – http://nature-de-chez-nous.over-blog.com/article-le-papillon-mangeur-de-fourmis-92369181.html
11 – http://www.guide-du-miel.com/lesmiels/Miel-de-serpolet.html
12 – S. Jaric et al. (2015). Review of Ethnobotanical, Phytochemical, and Pharmacological Study of Thymus serpyllum L. Hindawi Publishing Corporation, Evidence-Based Complementary and Alternative Medicine, ID 101978, 10 pages, http://dx.doi.org/10.1155/2015/101978
13 – En Catalogne et dans les Baléares, on le retrouve comme antidiarrhéique en médecine vétérinaire.
14 – https://www.thieme-connect.com/products/ejournals/abstract/10.1055/s-2006-957582 ; Composition-of-the-Essential-Oil-of-Thymus-serpyllum-L-from-Northern-Kazakhstan.pdf ; https://www.intechopen.com/books/active-ingredients-from-aromatic-and-medicinal-plants/thymus-plants-a-review-micropropagation-molecular-and-antifungal-activity ; https://core.ac.uk/download/pdf/153410622.pdf