Les téosintes, Poacées natives d’Amérique centrale (partie I): taxonomie, botanique et usages directs !

Ayant lu mon précédent article sur le larmier de Job, un ami m’a demandé de réaliser un point similaire sur ses apparentées américaines, les téosintes1 (Zea L., 1753), autres céréales probablement tout aussi méconnues, même si l’une d’entre elles est le progéniteur du maïs.
Le sujet étant vaste et parfois complexe, j’ai décidé de le traiter en deux temps :
– cette première partie qui traite de la phylogénie, de la botanique et des usages directs de ces espèces ;
– une seconde partie, que je vous proposerai dans quelques semaines, qui constituera une synthèse de ce qu’on l’on sait des apports de ces espèces à la domestication du maïs et à la structuration de sa diversité génétique.

Distribution naturelle des espèces de téosinte en Amérique centrale– Source : Sanchez Gonzalez et al., 2018

Les téosintes et le maïs (Zea mays subsp. mays L, 1753), natives d’Amérique centrale, forment le genre Zea de l’ordre des Poales et de la famille des Poacées selon la classification phylogénétique APG III de 2009, et de la famille des Poacées, sous-famille des Panicoidées, tribu des Andropogonées, sous-tribu des Tripsacinées selon la classification botanique.

Ce genre comprend deux sections
– la section Luxuriantes qui regroupe quatre espèces de téosintes : Zea diploperrenis, Z. perennis, Z. luxurians et Z. nicaraguensis.
– la section Zea qui ne comprend qu’une espèce Zea mays, elle-même subdivisée en quatre sous-espèces, trois téosintes ( Z. mays ssp. parviglumis, Z. mays ssp. mexicana, Z. mays ssp. huehuetenangensis) et le maïs ( Z. mays ssp.mays).

Les espèces du genre Zea sont des plantes herbacées, monoïques, vivaces ou annuelles, rustiques, cespiteuses ou rhizomateuses. Même si le maïs domestiqué doit être cultivé pour subsister, ces diverses téosintes montrent une structure générale assez proche du maïs. Elles s’en distinguent par des ramifications importantes, notamment à la base, portant des inflorescences mâles, et également par la petite taille des inflorescences femelles et leurs graines noires ou brunes de forme trapézoïdale ou triangulaire, encloses dans une cupule ou une dépression du rachis et une glume individuelle. Ces semences se présentent sur deux rangs seulement, chacune de 5 à 12 grains (500 grains nus, répartis sur 12 à 20 rangées chez le maïs) pouvant se détacher avec un segment de la rafle (déhiscence de l’épi favorisant l’égrenage). Ceci les protège de la digestion des ruminants tout en favorisant leur dissémination et leur confère une certaine résistance à la germination pour éviter les faux départs en situation non complètement favorable.

Noms communs des téosintes au Mexique – source : Sanchez et al., 19982.


Aujourd’hui, pratiquement toutes les populations de téosinte se trouvent menacées dans leurs milieux naturels à des degrés divers :
Zea diploperennis n’existe que dans une zone de seulement quelques kilomètres carrés ;
Zea nicaraguensis survit dans une sous-population d’environ 6000 plantes dans une zone de 200 sur 150 mètres et un spot comptant 30 pieds ;
– les autres espèces sont menacées soit par des expansions urbaines, soit par le développement de l’agriculture intensive.
Les gouvernements du Mexique et du Nicaragua ont récemment réagi face à ces risques en liaison avec le CYMMYT pour protéger toutes les populations sauvages de téosinte, en combinant les méthodes de conservation « in situ » et « ex-situ ».

3Zea mays subsp. parviglumis Iltis & Doebley4 ou téosinte de Balsas est une herbacée annuelle diploïde (2n = 2x = 20), endémique du Mexique et le progéniteur du maïs5. Adaptée à des climats humides, cette espèce se développe sur le plateau du centre et du sud du Mexique dans la région du rio Balsas sur un axe est-ouest de Oaxaca à Jalisco, où elle est très répandue entre 400 et 1 800 mètres d’altitude. Les plantes présentent un cycle végétatif de 6-7 mois. Elles font de 2 à 5 m de haut, chacune avec 20 à plus de 100 tiges portant des gaines foliaires glabres, rouge clair et des panicules mâles à petits épillets de 5-8 mm de long. Les fruits sont triangulaires. Plusieurs populations ont été décrites et distinguées par les botanistes locaux : Balsas, Guerrero, Jalisco, etc. Cette sous-espèce s’hybride avec le maïs cultivé et plus rarement avec la sous-espèce mexicana.

6 Zea mays subsp. mexicana (Schrader)7 est une autre téosinte herbacée annuelle diploïde, endémique du Mexique. Elle croît sur les plateaux du centre et du nord du Mexique entre les vallées de Nobogame et de Puebla entre 1 700 mètres et 2 600 mètres d’altitude où elle est assez répandue et se comporte comme une messicole des champs de maïs. Cette espèce dispose d’un cycle végétatif très court de 4 à 6 mois selon les populations en conditions naturelles8.
Plusieurs d’entre elles sont connues (Nobogame, Durango, Plateau central, Chalco, Puebla).
La race Nobogame est la plus nordique, la plus petite et son cycle végétatif se révèle le plus court.
La race Plateau central porte des gaines foliaires vertes à rouge clair, glabres à légèrement pubescentes.
La race Chalco se trouve à une altitude de 2 000 m et possède des gaines foliaires rouge foncé pubescentes.
Le long d’une ligne nord-sud, ces races se distinguent par la hauteur de la plante atteignant 1,5 m pour celles situées les plus au nord et à 4 m pour les plus méridionales.
Les plantes portent 10 à 20, parfois 35 panicules mâles avec des épillets de 6-10 mm de long en septembre-novembre. Les graines triangulaires sont assez grosses. Cette sous-espèce s’hybride plus difficilement avec le maïs avec un taux de nouaison limité à 60%. Elle peut aussi s’hybrider avec la sous-espèce parviglumis.

9Zea mays subsp. huehuetenangensis (Iltis & Doebley) Doebley10 est une téosinte herbacée annuelle diploïde, assez rare, endémique de la région de Huehuetenango dans le nord-ouest du Guatemala, près de la frontière du Mexique, entre 600 et 1 650 mètres d’altitude. On la trouve aussi dans des parcelles de maïs abandonnées où elle est connue localement sous le nom de maiz de pajaro ou maiz de huiscatote.
Cette plante dont le cycle végétatif est de 7-8 mois dans son aire naturelle de distribution, peut atteindre plus de 5 m de haut et porter plus de 20 grandes panicules mâles fin décembre-début janvier avec des épillets de 5-8 mm de long. Ses fruits sont triangulaires et petits. Cette sous- espèce s’hybride spontanément avec le maïs et réciproquement jusqu’à un taux de 8%.

11Zea diploperennis Iltis, Doebley & R.Guzman12 est une téosinte tropicale vivace diploïde endémique du Mexique avec une aire restreinte de répartition à une altitude comprise entre 1 400 et 2 400 m dans la sierra de Manantlán dans le sud-ouest de l’état de Jalisco, appelée localement « chapule » et reconnue pour sa tolérance à la sécheresse et aux maladies. C’est une plante à longs rhizomes ou racines tubérisées. Elle atteint 2 à 2,5 m et porte 2 à 15 panicules mâles disposées de façon lâche. Les fruits sont trapézoïdaux.

13Zea perennis (Hitchc.) Reeves & Mangelsdorf14 est une autre téosinte herbacée tropicale vivace. Elle est endémique tétraploïde (2n = 4x = 40) avec une aire très restreinte à une altitude de 1 500-2 000 m sur le flanc nord du volcan de Colima dans l’État de Jalisco au Mexique. Elle a des rhizomes qui ne sont jamais tubéreux contrairement à la précédente et atteint 1,5 à 2 m de haut. Elle porte seulement 2 à 8 panicules mâles érigées. Sa fertilité pollinique est assez basse (environ 38% contre 97% chez le maïs). Son hybridation avec un Zea diploïde aboutit à un triploïde stérile (avec le maïs, le taux moyen est de l’ordre de 33%).

15Zea luxurians (Durieu) R.M.Bird16 est une téosinte tropicale diploïde, annuelle récemment découverte, endémique d’Amérique centrale poussant du Guatamela au Honduras et qui s’étend au Mexique dans l’état d’Oaxaca entre 600 et 1200 m. Elle atteint 3-4 m de haut, avec 4-20 panicules mâles érigées. Ses glumes mâles portent de fines veinules serrées qui constituent des marqueur ce dette espèce. Ses fuits sont trapézoïdaux.

17Zea nicaraguensis Iltis & B.F.Benz18 est une téosinte tropicale diploïde annuelle endémique des plaines inondables la côté pacifique du Nicaragua, en voie de disparition. Du fait d’une physiologie très originale, elle croît à l’état naturel dans 0-40 cm d’eau calme ou légérement courantes entre 6- 24 m d’altitude ; on en connait seulement deux spots très limités. Proche morphologiquement de Zea lucurians, elle mesure 3-4 m de haut.

Le tableau suivant d’après Hufford et al., 201219, résume les caractéristiques  de ces espèces :

Selon le botaniste W.D. Clayton du jardin botanique de Kew, leurs distributions et celles d’autres Andropogonées tropicales corroborent d’autres preuves indirectes de la dérive des continents20.

Certaines ethnies mexicaines continuent de produire de la farine de téosinte pour de petites productions alimentaires comme des tortillas ou des tamales, mais cet usage est devenu marginal21.

Traditionnellement, les populations mexicaines utilisent aussi les téosintes comme fourrage et cette pratique a été reprise dans d’autres régions du monde (Espagne22, USA23, Inde24 notamment). Le catalogue général de graines Vilmorin-Andrieux & cie. du printemps 188625 indiquait déjà que c’est une « belle graminée sans rivale comme matière fourragère…(qui) ne peut donner de bons résultats comme plante fourragère, que sous des climats chauds… ; c’est donc en Algérie, en Italie, en Espagne, où la température ne descend pas au-dessous de zéro, qu’il conviendrait de l’essayer… Les tiges, qui atteignent facilement 3 mètres de hauteur, sont sucrées et constituent une excellente et très abondante nourriture pour les animaux. On peut en faire plusieurs coupes à la condition de ne pas la laisser monter à graines ».

Depuis, un peu plus d’un siècle, certaines téosintes sont enfin aussi valorisées comme ornementales – à noter en particulier un cultivar de Zea mays subsp. perennis à feuilles panachées.

Partie II (à suivre…).

Alain Bonjean
Orcines, le 5 mai 2021

Mots-clefs : téosinte, genre Zea, monocotylédone, Poales, Poacées, céréale, herbacée, plante monoïque, maïs, plante alimentaire, plante fourragère, plante ornementale.

1 – Du nahuatl tēocintli, dérivé de tēotl, « dieu », et cintli, « épi sec ».  Il est amusant de constater que l’Académie française n’a pas encore tranché et que téosinte peut être employé dans notre langue au masculin comme au féminin.

2 – J.J. Sanchez et al. (1998). Distribución del teocintle en México. INIFAP. Libro Técnico Núm. 2, 149 p.

3 – Photo http://www.conabio.gob.mx

4http://www.conabio.gob.mx/malezasdemexico/poaceae/zea-mays-parviglumis/fichas/ficha.htm ; Donald E. Aylor et al. (2005). Some physical properties of teosinte (Zea mays subsp. parviglumis) pollen. Journal of Experimental Botany 56, 419, 2401-2407, doi:10.1093/jxb/eri232 : Margaux-Alison Fustier (2016). Adaptation locale des téosintes Zea mays ssp. parviglumis et Zea mays ssp. mexicana le long de gradients altitudinaux. Biodiversité et Ecologie. Université Paris Saclay. (COmUE), Français. NNT : 2016SACLS147, 331 p.

5 – Y. Matsouka et al. (2002). A single domestication for maize shown by multilocus microsatellite genotyping. PNAS 99, 6080–6084. pmid:11983901.

6 – Photos http://www.conabio.gob.mx ; https://www.magicgardenseeds.fr/Les-Belles/T%C3%A9osinte-mexicaine-(Zea-mexicana)-A.1303-

7http://www.conabio.gob.mx/malezasdemexico/poaceae/zea-mays-mexicana/fichas/ficha.htm ; https://biodiversidad.gob.mx/media/1/usos/maices/grupos/Zea/files/zmmexicana_NF.pdf ; https://www.lume.ufrgs.br/bitstream/handle/10183/32373/000784973.pdf?sequence=1 ; https://storage.googleapis.com/plos-corpus-prod/10.1371/journal.pone.0192676/1/pone.0192676.pdf?X-Goog-Algorithm=GOOG4-RSA-SHA256&X-Goog-Credential=wombat-sa%40plos-prod.iam.gserviceaccount.com%2F20210504%2Fauto%2Fstorage%2Fgoog4_request&X-Goog-Date=20210504T154501Z&X-Goog-Expires=3600&X-Goog-SignedHeaders=host&X-Goog-Signature=60a41d414267c74fa1f6d57a8be3e5debd446866c7a6a6b96d4be80d902d9072da401b40f3be24580d1aad48d164bed444b735189bc7aa862a5e7da0f7ee26257acf678c8457e3b7aed7de2c9557bf6b759e8f6db3d69596747b01f6a95f3e5bca3c38c737d59f6ed99970505cef43d05673f54be9c314eed458de984d3acc87d7dd7f1ebe88f04d1f9d9f14f2f3fa5307c7331959826373bf036ada8f1b08dbdce50c6a880e1ce8dc065cae99ba4448bdf50924e700a702c394adb5bb78a7369025e5b980ad2411cbba13bc8a4c1cf978d2fe4246c82d0ad690b8947ba3b459e1427c68e7e6f04dc83b337f99619a09579af7c5d213954c9c652bb15cc46df7

8 – En conditions favorables de culture, certaines formes ont été récoltées en 75 jours.

9 – Photo https://plants.jstor.org/stable/10.5555/al.ap.specimen.f0047043f#

10 – H.H. Iltis et al. (1986). Accurate documentation of Germplasm: The lost Guatemalan teosintes (Zea, Gramineae). Econ Bot 40,69–77; https://doi.org/10.1007/BF02858948 http://www.plantsoftheworldonline.org/taxon/urn:lsid:ipni.org:names:1016086-1 https://gringlobal.irri.org/gringlobal/taxon/taxonomydetail?id=410702 ; http://www.narc.gov.jo/gringlobal/taxonomydetail.aspx?id=410702

11 – Photos Conservatoire bot. national de Brest, France, Juin 2007 ; Matt Lavin from Bozeman, Montana, USA.

12https://fr.linkfang.org/wiki/Zea_diploperennis ; http://dialogo.ugr.es/contenidos/last02/0602-iv-teosintles.htm

13 – Photo Jerry Friedeman, 2006.

14http://www.conabio.gob.mx/conocimiento/bioseguridad/pdf/20926_especie.pdf; https://bsapubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/j.1537-2197.1994.tb15490.x ;

15 – Photo https://swbiodiversity.org/seinet/collections/individual/index.php?occid=7878553

16https://www.researchgate.net/profile/Marshall-Sundberg-2/publication/287180141_Inflorescence_development_in_the_teosinte_Zea_luxurians_Poaceae_and_implication_for_the_origin_of_maize_inflorescences/links/5e1b8f5da6fdcc28376e3dd4/Inflorescence-development-in-the-teosinte-Zea-luxurians-Poaceae-and-implication-for-the-origin-of-maize-inflorescences.pdf?origin=publication_detail

17 – Photo https://swbiodiversity.org/seinet/collections/individual/index.php?occid=5192963

18 – Hugh H. Iltis and Bruce F. Benz (2000). Zea nicaraguensis (Poaceae), a new teosinte from Pacific coastal Nicaragua. Novon 10, 4 ; 382-390.

https://plants.jstor.org/stable/10.5555/al.ap.specimen.ny00468401 ; https://bsapubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.3732/ajb.91.2.165

19 – M. B. Hufford, P. Bilinski, T. Pyhäjärvi and J. Ross-Ibarra (2012). Teosinte as a model system for population and ecological genomics. Trends in Genetics, 28, 12, 606-615.

20 – W. D. Clayton (1975). Chorology of the Genera of Gramineae. Kew Bulletin 30, 1, 111-132.

21 – Jesus Axayacatl (2011). Evolución natural y antropogénica de Zea spp. en Mesoamérica. Revista Archaebios 5, 1, 44 p.

22https://www.agronegocios.es/el-teosinte-situacion-actual-en-el-valle-del-ebro-y-resultados-de-los-primeros-ensayos/

23http://missouriherbs.com/journal/2017/4/15/time-for-teosinte-a-high-yielding-fodder-plant-that-animals-are-extravagantly-fond-of

24https://www.researchgate.net/profile/Eajaz-Dar/publication/319187182_Fodder_Quality_of_Teosinte_Fodder_as_Influenced_by_Nitrogen_Phosphorus_and_Zinc_Application/links/5a1b118caca272df080f1585/Fodder-Quality-of-Teosinte-Fodder-as-Influenced-by-Nitrogen-Phosphorus-and-Zinc-Application.pdf?origin=publication_detail

25http://biblio.rsp.free.fr/Pdf/Cgg1886.si.pdf

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer