La mâche1 (Valerianella2 locusta (L.) Laterr., 1821), que nous appelons doucette en Auvergne en mémoire de nos racines occitanes et que ma famille appelait la « salade du soir » en l’accommodant avec des œufs durs, de l’huile de noix, du vinaigre de vin, de la moutarde de Charroux et de l’ail quand j’étais enfant, porte dans notre langue une diversité d’autres appellations – accroupie, barbe-de-chanoine, blanchette, blanquette, boarsette, boursette, clairette, chuguette, coquille, écrou-laitue, fetticus, galinette, herbe-des-chanoines, laitue de brebis, oreille-de-lièvre, oreillette, pomache, pommette, poule grasse, raiponce, rampon, ramponnet, salade de blé, salade chanoine, salade royale, valérianelle, ce qui montre l’importance qu’a pu avoir pour l’alimentation de nos aïeux une si humble et commune espèce (allemand : Ackersalat, Feldsalat, Lämmersalat, Mausohr, Rabinschen, Rapunzel, Schafmäulchen ; anglais : corn-salad, lamb’s lettuce, fetticus ; danois : kropsalat ; espagnol : canonigos ; flamand et hollandais : koomsalad, veldsalad ; hollandais : veldsla ; italien : valeriana, erba riccia, dolcetta, gallinelle ; occitan : doulcéta ; portugais : alface de cordeiro, herva benta). Cette petite espèce provient de la famille des Caprifoliacées (anciennement Valérianées).
Jeunes plants de doucette ou mâche sauvage, Orcines, Puy-de-Dôme, 2022 ©AlainBonjean
C’est une petite plante herbacée bisannuelle automnale (2n = 26) à croissance rapide, c’est-à-dire germant à l’automne pour fleurir et grainer l’année suivante, de 5-25 cm, rarement 30-40 cm caractérisée par une rosette basale sans rejets stériles, presque glabre, aux tiges grêles et rudes, rameuses, dichotomes à rameaux divariquées. Les feuilles inférieures sont spatulées, entières ou faiblement dentées, sessiles, à nervures assez marqués, très tendres, naissant par paires, superposées en croix les unes au-dessus des autres, et les supérieures lancéolées.
Floraison de mâche sauvage ©INPN-Obs’28 ; fleur isolée ©SIIM
La floraison autogame a lieu en France en avril-mai en cymes multipares, subglobuleuses et serrées, portées sur des pédoncules grêles. Les petites fleurs hermaphrodites (1-2 mm de diamètre) ont un calice réduit à un dent très petite, une corolle à 5 pétales soudés en tube et 3 étamines longue de 3 mm maximum, blanche, bleu cendré ou lilas
Le fruit est une capsule caduque, glabre à pubescente, plus large que long (2,5 x 2 mm), ovale-arrondie, comprimée, un peu ridée en travers, sillonnée sur le contour, à 2-3 petites côtes sur chaque face ; loge fertile épaissie-spongieuse sur le dos, les deux stériles plus grandes, contiguës, à cloison incomplète. Dissémination barochore des graines brun-jaunâtre, ocre, ovoïdes arrondies, aplaties, surmontées d’un bec très court peu différencié (1,5-2,0 x 1,9-2,2 mm).
Capsule et graines de mâche ©SIIM et ©mon-bio-jardin-com
Cette espèce thérophyte est indigène3 dans la partie occidentale de l’Europe de l’Ouest, de l’Asie tempérée, du nord de l’Afrique et devenue sub-cosmopolite dans de nombreuses parties du globe. Rustique, elle accepte à peu près tous les types de sol même si elle préfère une terre légère à faible pouvoir de rétention en eau. On la trouve dans les cultures et de plus en plus, du fait des herbicides, dans les lieux incultes (talus, bords de chemin, sables alluviaux, dunes, etc.).
En Europe, la cueillette de la mâche sauvage effectuée dans les campagnes depuis l’Antiquité, s’y perpétue toujours au stade 8-12 feuilles, même si les tiges et les fleurs sont également comestibles : c’est peut-être une très ancienne messicole des cultures de céréales introduite avec ces dernières du Proche-Orient. Les rosettes sauvages s’y ramassent principalement en automne et en hiver et ont longtemps été consommées cuites à la manière des épinards ou des pissenlits avant d’abonder nos salades, ou encore en soupes, en gratins, en sauces…. Ces verdures paysannes apportent en bouche une texture douce et une saveur caractéristique de noisette.
Cueillette de mâche sauvage, vignes de Châteaugay, Puy-de-Dôme, 2002 ©AlainBonjean
D’après l’Herball4 de John Gerard (1545-1612), paru en 1597, la mâche a commencé d’être cultivée en Europe au XVIe siècle, notamment en France et en Hollande. Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688), jardinier de Louis XIV, l’aurait introduite au potager à Versailles. A partir de cette date, diverses régions agricoles ont sélectionné des populations de pays, dont certaines sont encore cultivées. Le célèbre livre, Les plantes potagères de 1883 de Vilmorin-Andrieux, maintes fois réédité, cite notamment la mache ronde, la mache à grosse graine, la mache verte d’Etampes, la mache verte à cœur plein, et la mache coquille. A noter aussi du catalogue d’Auguste Dony de 1898, la mâche bigarrée de Huy en Belgique wallonne à petites feuilles et cœur jaune qui semblait avoir disparue et qui a été retrouvée récemment par des amateurs5. Des colons français auraient introduit la culture de la mâche aux USA. Le troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, l’aurait cultivée dans son jardin de Monticello en Virginie dans les années 1800s6.
Il a fallu attendre le XIXe siècle pour que les habitudes alimentaires du Vieux continent changent et qu’on consomme enfin la mâche crue en salade. Peu à peu, du fait de la sélection, les semis ont été échelonnés et les rosettes cultivées récoltées d’octobre à juin. Il existe aussi aujourd’hui quelques variété tétraploïdes7.
Celles et ceux qui s’intéressent à la culture de mâche pourront commencer à se documenter à l’aide des articles joints8. En maraîchage, les rendements sont de l’ordre de 10-15 t/ha en plein champ à 25 t/ha sous tunnel ou en serre, mais un jardinier amateur peut se contenter de beaucoup moins.
Cultures en planches et récolte mécanique de mâche nantaise ©JUrbach-20 Minutes et ©Daymolition
En Europe, la mâche a pris aujourd’hui une importance agricole significative en France et Italie, ainsi qu’en Espagne, Suisse, Allemagne, Pays-Bas et Angleterre et est maintenant vendue, triée, seule ou en mesclun de jeunes pousses, dans les supermarchés. Selon France Agrimer, la France est le premier producteur européen avec plus de 30 000 tonnes par an et la région de Nantes, spécialisée dans sa production, bénéficie depuis 1999 d’une IGP9. L’espèce possède aussi une présence commerciale notable au Proche-Orient, en Afrique du Nord et, depuis les années 1970s en Amérique du Nord10, où la production est concentrée dans le nord de la Californie.
Du point de vue nutritionnel, la mâche possède de multiples qualités11 qui la rendent attractive pour les amateurs de salade : vitamines A, B1, B2, C et B9, potassium, fer, calcium, cuivre, phosphore, zinc, silicium et bêta-carotène. Riche en fibres alimentaires, elle renferme peu de sodium et ne totalise que 19kcal/100 g. Les mucilages qu’elle contient en font la salade la plus facile à digérer – la mâche est émolliente et même légèrement laxative. Son autre vertu est d’être dépurative, c’est-à-dire qu’elle aide le corps à éliminer ses toxines. La mâche apporte également des composés phénoliques12 bénéficiaires pour la santé du fait de leurs pouvoirs antioxydants qui limitent les dommages cellulaires résultant de l’oxydation des radicaux libres. Pour profiter au maximum, des nutriments de ce légume-feuille, il est recommandé de de le consommer plutôt cru, en salade ; en effet, certains de ces composés sont sensibles à la chaleur et ont tendance à être dégradés avec la cuisson.
Pour clore cette chronique, voici une recette familiale que je vous invite à réaliser pour 4 personnes : la salade de doucette aux poires et à la fourme d’Ambert :
Ingrédients :
– une bonne livre de doucette
– deux poires fondantes
– 200 g de fourme d’Ambert affinée
– 3 cuillères à soupe d’huile de noix
– 1 cuillère à soupe de vinaigre de fin
– 1 échalotte finement ciselée
– sel et poivre noir
Recette :
– Peler les poires, ôter le cœur et les pépins, puis les découper en lamelles pas trop fines. Couper la fourme en petit dés.
– Préparer la vinaigrette dans un saladier et y ajouter l’échalotte ciselée. Y déposer la mâche et mélanger.
– Disposer dessus les lamelles de poire et les dés de forme d’Ambert ; à a l’automne, on peut aussi ajouter quelques noisettes fraîches. Donner un tour de poivre et servir aussitôt.
Bonne dégustation !
Alain Bonjean, 92e article,
Orcines, le 15 mars 2022
Mots-clefs : Valerianella locusta, mâche, doucette, Caprifoliacée, salade, cueillette sauvage, culture, plante alimentaire, recette
1 – Selon le CNTRL, mâche, mot connu dès 1611, proviendrait du terme pomache (Bourgogne) qui serait issu du latin vulgaire *pomasca, dérivé de pomum «fruit» (peut-être en raison du goût légèrement sucré de la mâche.
2 – « Valerianella » signifie petite valériane, provenant de « valo » pour être en bonne santé.
3 – https://npgsweb.ars-grin.gov/gringlobal/taxon/taxonomydetail?id=80009
4 – https://www.rct.uk/collection/1057467/the-herball-or-generall-historie-of-plantes
5 – https://passeursdesemences.wordpress.com/2018/12/10/disparue-puis-retrouvee-la-mache-bigarree-de-huy-a-petites-feuilles-a-coeur-jaune/ ; https://www.semaille.com/fr/mache/759-mache-bigarree-de-huy-5415166014184.html
6 – https://www.greensguru.com/lambs-lettuce/
7 – https://www.freepatentsonline.com/EP2512217.html ; https://patents.google.com/patent/US20120260366A1/en
8 – https://nanopdf.com/download/la-petite-mache-revient-en-force_pdf ; https://www.plantezcheznous.com/fiches-pratiques/la-mache-culture-recolte-astuces/#:~:text=La%20m%C3%A2che%20se%20cultive%20en,croissance%2C%20un%20arrosage%20est%20indispensable. ; https://www.agrimaroc.ma/les-methodes-pour-la-culture-de-la-mache/ ; https://occitanie.chambre-agriculture.fr/fileadmin/user_upload/Occitanie/076_Inst-Occitanie/Documents/Productions_techniques/Agriculture_biologique/Espace_ressource_bio/Maraichage_bio/EssaiVarietal-PACA-MacheSAF-2007.pdf ; https://shop.nc/mache-a-grosse-graine-ser1-vilmorin.html ;
9 – https://www.inao.gouv.fr/produit/14036 ; https://auvergnat.com/blog/la-m%C3%A2che-nantaise-tradition-et-savoir-faire-mara%C3%AEchers/
10 – https://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=1370492 ; https://www.greensguru.com/lambs-lettuce/
11 – https://www.fondation-louisbonduelle.org/en/vegetable/lamb-lettuce/ ;
12 – https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7831921/pdf/foods-10-00188.pdf ; https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6734135/pdf/main.pdf
Les chroniques du végétal 