Contempler le nombril de Vénus

Chaque fois que je redécouvre ici ou là le nombril de Vénus (Umbilicus rupestris (Salisb.) Dandy, 1948), aussi appelé selon les régions, varinet, cotylédon, coucoumelle, cymbalion, escudet, gobelet, herbe au chantre, jardin d’aphrodite, nombril des rochers, ombilic, ombilic des rochers, ombilic de Vénus, oreille d’abbé (allemand : Hengendes Nabelkraut, Venusnabel ; anglais : kideney wort, navelwort, penny wort ; breton : krampouezh-mouezig1 ; espagnol : candelèro, ombligo de Venus, oreja de monje ; italien : ombelico-di-Venere commune ; grec : oυμπίλικους, xελωνοβότανο), je repense à mon grand-oncle paternel Marius Marmeisse, natif de Langeac en Haute-Loire, qui fut un légendaire pêcheur de farios dans les diverses vallées des étages montagnards de sa région. Car, l’accompagnant en redoublant de discrétion – pas si facile quand on est gamin, on y trouvait fréquemment cette plante au feuillage si caractéristique, circulaire et déprimé au centre. Cette Crassulacée est en effet saxicole : elle croît fréquemment sur les rochers (rupes en latin) volcaniques ou siliceux, voire sur de vieux murs.


Habitat naturel du Nombril de Vénus, Basses gorges de la vallée de l’Allagnon2, près de Lempdes, Haute-Loire, fin avril 2023 ©AlainBonjean

Cette jolie espèce3 vivace comporte une souche tubéreuse subsphérique et de petites racines que je suppose diffuser des acides à la façon des lichens pour s’accrocher aux rochers, y dissoudre des minéraux et s’en nourrir et une partie aérienne de 5-50 cm, rarement plus, glabre et verte, peu feuillée, parfois rouge par production d’anthocyanes en cas de stress – souvent après un hiver doux suivi de séquences froides comme cette année. Ses feuilles radicales forment touffes : semi-persistantes à persistantes, elles sont, peltées, ombiliquées, orbiculaires de 1,5-7,0 cm de diamètre, longuement pétiolées, succulentes, cassantes et crénelées. Les feuilles caulinaires sont peu nombreuses, disposées en coin.


Détails de plants en début de floraison, près de Lempdes, Haute-Loire, fin avril 2023 ©AlainBonjean


La floraison est longue et a lieu de fin avril à juillet sous forme de longues grappes bractéolées occupant presque toute la tige. Les fleurs hermaphrodites (6-10 mm de long) sont nombreuses, d’un blanc jaunâtre à jaune paille, pédicellées et pendantes. Leur corolle tubuleuse est quatre fois plus longue que le calice à 5 lobes.


Floraison, Jobourg, 50, mai 2015 ©TelaBotanica-MGaubert ; détails des fleurs, Draguignan, Var, mai 2016 ©TelaBotanica-LRoubaudi


La pollinisation est à la fois autogame et allogame. Le fruit est une capsule et la dissémination des graines est dyszoochore4.

C’est une plante de lumière, xérophile, faiblement à méso-acidiphile. Elle est rustique et tolère jusqu’à -20°C. On la trouve préférentiellement sur des roches, dans des rocailles ou sur des murs, même si quelques spécimens ont été répertoriés comme épiphytes sur des grands arbres. Le nombril de Vénus se rencontre jusqu’à 1500 m d’altitude même s’il préfère les étages collinéens et de basse montagne entre le niveau de la mer et 600 m. En France, il est présent un peu dans le Centre mais surtout à l’Ouest et dans le Sud. On peut aussi le trouver en d’autres parties de l’Europe méridionale et occidentale, en Asie mineure et en Afrique.


Carte de distribution naturelle de l’espèce ©Umbilicus rupestris (Salisb.) Dandy | Plants of the World Online | Kew Science


Le nombril de Vénus est comestible et médicinal5.

En Auvergne et dans d’autres régions de sa distribution, légèrement croquantes et d’une saveur douce, à peine acidulée, les feuilles crues se mangent traditionnellement en salades ou en mescluns. Certaines feuilles atteignant une taille appréciable peuvent être utilisées comme support de toasts apéritifs (houmous, pesto, tapenade, etc.) tels que ou décorés de fleurs de saison (alliaire, violette, etc.) ou de câpres. Cuites, elles permettent d’épaissir des soupes ou des sauces. Elles peuvent aussi être conservées dans le vinaigre et consommées comme des cornichons. – pratique qui a cours également dans certaines zones d’Espagne .Elles sont très riches en mucilage, eau, vitamines (notamment C), en sels minéraux (fer, calcium, potassium en particulier) et acides gras (améga-3).
En Bretagne, on a longtemps écrasé les feuilles fraîches de cette espèce dans les poêles et les crêpières pour éviter que la pâte n’y attache.
A noter toutefois que l’espèce bénéficie désormais en France de diverses protections6.
En pharmacopée7, le nombril de Vénus était recommandé au Moyen-Âge par Hildegarde de Bingen (1098-1179) comme pansement en cas de brûlure, de blessure ou de piqûre car il accélèrerait la cicatrisation. Emollientes, cholagogues, résolutives et vulnéraires, ses feuilles sont aussi préconisées en traitement des tumeurs et des callosités du talon, des ulcères, des panaris et en soulagement des hémorroïdes. Pour l’utiliser, on doit retirer l’épiderme sous la feuille et appliquer la partie gélatineuse sur les parties du corps à traiter. Le nombril de Vénus est aussi connu comme diurétique et dans le traitement des calculs rénaux ; pour extraire le jus des feuilles fraîches, le mieux est d’utiliser une bi-vis de cuisine et d’en consommer 2-3 cuillères à soupe par jour durant 10 à15 jours.


Certaines personnes8 voient encore en lui un ingrédient pour philtre d’amour…


Espérons qu’en dépit du changement climatique, les jeunes générations pourront comme nous longtemps contempler le nombril de Vénus !

Alain Bonjean, 137e article

Orcines, le 10 juin 2023

Mots-clefs : Nombril de Vénus, Umbilicus rupestris,Crassulacée, plante saxicole, plante comestible, plante médicinale,

1 – Signifie « crêpes musicales ».

2 – Étonnamment, cette rivière porte le nom d’Alagnon, avec un seul l dans son haut cours et d’Allagnon avec deux l dans sa partie basse.

3Umbilicus rupestris – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org), Umbilicus rupestris (Salisb.) Dandy – Préservons la Nature (preservons-la-nature.fr), Umbilicus rupestris (Salisb.) Dandy, 1948 – Ombilic rupestre, Nombril-de-Vénus, Oreille-d’abbé, Ombilic des rochers-Présentation (mnhn.fr)

4 – F. Couplan, E. Styner (1994). Guide des plantes sauvages comestibles et toxiques. Delachaux et Niestlé Ed., 97.

5(PDF) Umbilicus rupestris (researchgate.net) ; J.H. Lyda et al. (2019). Nutritional composition and bioactivity of Umbilicus rupsetris (Salisb.) Dandy: An underexploited edible wild plant. Food Chemistry 295, DOI:10.1016/j.foodchem.2019.05.139

6Umbilicus rupestris (Salisb.) Dandy, 1948 – Ombilic rupestre, Nombril-de-Vénus, Oreille-d’abbé, Ombilic des rochers-Statuts (mnhn.fr)

7(PDF) Umbilicus rupestris (researchgate.net) ; Nombril-de-Vénus, nombril-de-vénus tumeurs, ombilic des rochers, nombril-de-vénus plaies, umbilicus rupestris (complements-alimentaires.co) ; Nombril de Vénus (Umbilicus rupestris): caractéristiques et propriétés – Petits Jardiniers

8Le Nombril-de-Vénus symbolisme (luminessens.org)

One Reply to “”

  1. Merci pour ce Krampouezh Mouezig , plein de poésie qui peuple les allées et envahit les vieux murs, dans le Finistère. cordialement sylvie

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