La corette potagère, légume-feuille et textile à la fois !

La corette1 potagère ou crincrin, guimauve potagère, mélonkie, jute rouge, jute tossa, (Corchurus olitorius L. , 1753) est une Malvacée curieusement cultivée en Asie et en Afrique subsaharienne à la fois comme légume et comme plante textile (allemand : Langkapsel-Jute ; anglais : bush okra, Egyptian spinach, Jew’s mallow, jute mallow, krinkrin, West African sorrel ; arabe : nalta, nalita, lif kaysha ; arabe égyptien : mouloukhia ; bangla : deshi pat, meetha (sweet) pat, tosha pat ; béninois : craincrain, crincrin ; Côte d’Ivoire : kpala ; espagnol : gute malavaceo, yute ; hindi : banpat, chanla, harawa, jangli jute, koota ; japonais : Taiwantsunaso ; Mali : fakounoy ; mandarin : chang shuo huang ma ; niger : lalu, oyo ; portugais : coreté, caruru de Bahia ; russe : dzut dlinnoplodnyj, krasnyj dzut ; soudanais : nyanypajang ; togolais : adémé).

Champs de production, Taiwan ©AVRDC

Cette plante herbacée annuelle fibreuse (génome de 448 Mb ; 2n = 142) à racine pivotante, présente un port érigé et peut atteindre 1-2 m de haut, voire 5m, pour 0,5 m de largeur. Ses feuilles fragiles, riches en eau, sont vert pâle, alternes, ovales, simples et pétiolées, longues de 7-10 cm et large de 2-4,5 cm, à bord denté. Groupées par 1-4, les fleurs hermaphrodites, de petite taille, sont d’un jaune doré éclatant avec de nombreuses étamines. Le fruit est une capsule cylindrique déhiscente à 10 angles et 5 valves de 2-10 cm de long. Les graines sont minuscules (1g contient environ 450 graines) et d’une belle couleur bleu ou vert-grisâtre ; elles sont toxiques pour les mammifères et les insectes.

Détails du feuillage, des fleurs et des fruits, Taiwan ©AVRDC

L’origine géographique de la corette potagère est controversée car elle est très anciennement cultivée en Afrique et en Asie et est aussi présente à l’état sauvage ou féral sur les deux continents. Divers travaux3 spéculent que la corette potagère aurait pour origine la région équatoriale d’Afrique de l’Est, mais qu’elle aurait été domestiquée en Inde. Dans la mesure où l’Afrique détient la plus grande diversité d’espèces sauvages du genre Corchurus ainsi qu’apparemment la plus grande diversité intraspécifique, je pense pour ma part probable que l’Afrique subsaharienne soit son centre d’origine et que la région indo-birmane constitue son centre secondaire de biodiversité, un peu comme c’est le cas pour le mil-chandelle ou le niébé, le processus de domestication restant totalement à décrypter.
Cette plante semi-domestiquée de plein soleil, produite originellement en Afrique tropicale et Asie, a été diffusée entre la fin du XVIIIe etle XIXe siècle en Australie, Amérique du Sud et certaines parties d’Europe méridionale. Elle tolère les sols de pH 4,5 à 8,2 ainsi que la chaleur, les fortes précipitations, les inondations et les brèves sécheresses ; par contre elle est très sensible au froid4.

Deux ensembles de cultivars5co-existent :
– les formes légumières forment le sous-groupe Olitorius, haut de moins de 2m, voire seulement d’environ 1m, présentant un port plus ou moins uniformément ramifié ;
– les formes textiles constituent le sous-groupe Textilis, élevé à 4-5 m légèrement ramifié en hauteur.


Comparaisons des cultivars alimentaires et textiles ©AVRDC et
©theplantattraction.ecrater.com



Au niveau alimentaire6, en Afrique de l’est, la corette potagère (feuilles, fruits) est cuite comme un légume avec du niébé, du potiron, du taro, de la patate douce, du lait, du beurre, de la viande et relevée avec du piment et du citron. En Afrique musulmane, la corette fraîche émincée avec de l’ail et de la coriandre sert à fabriquer un bouillon rituel servi le premier jour de l’année musulmane, à la fin de Aïd-el-fitr ou encore à l’occasion d’un deuil. Séchée, la corette potagère permet de fabriquer une épice connue au Liban et en Afrique sous les noms de meloukhia, mloukia, mloukhiyé ; etc. qui permet de réaliser une sauce mucilagineuse vert foncé au goût d‘épinard et d’oseille, comparable à celle du gombo, très recherchée en accompagnement des ragoûts de viande ou de poisson. Au Nigéria, cette sauce accompagne souvent aussi les boulettes de manioc, d’igname ou de mil.
A noter également que la biomasse de la corette potagère peut aussi servir de fourrage.


Carte de diffusion de la corette potagère comme légume ©Giro, 20167


Cette plante est une source minérale importante8, notamment en calcium (2000 mg pour 100 g de feuilles fraîches), en magnésium (644 mg pour 100 g), de fer (190 mg pour 100 g), de phosphore, de potassium, de glucides, de protéines (25%) et de vitamines (A, groupe B, E). Le polysaccharide mucilagineux des feuilles est riche en acide uronique (65%) et est composé de rhamnose, de galactose, de glucose, d’acide galacturonique et d’acide glucuronique. 

Comme médicinale9, la corette potagère donne du tonus, est antidépressive, diurétique, fébrifuge et renforce l’immunité de l’organisme. Elle stimule la digestion, protège les muqueuses et enraye la constipation. Elle stimule aussi la rate, la santé féminine et participe aux traitements de la cystite, de la gonorrhée et de divers problèmes cardiaques. Dans la vallée de l’Oubangui en Afrique centrale, la décoction de la racine est donné aux enfants souffreteux ; les personnes atteintes de la petite lèpre doivent en consommer de grandes quantités en s’abstenant du poisson silure kamba. Des lamelles de ses racines sont employées au Kenya pour soulager les maux de dents. Ses graines sont également connues pour leur effet antiseptique en usage externe.


Produits actuels à base de jute ©Amazon


Comme son cousin le jute blanc (Corchurus capsularis L.) plus cultivé comme textile, les tiges de la corette contiennent des fibres qui proviennent du liber de ses tiges et peuvent être filées et tissées. Toutefois, leur rapport  longueur/diamètre des filaments de jute n’est que de 100–120, très en-dessous du minimum de 1000 convenable pour avoir une bonne qualité de filage, ce qui limite leur utilisation à la fabrication de produits grossiers. En Asie centrale et de l’est, elle est assez employée comme plante textile (Inde, Chine, Bangladesh, Ouzbékistan, Népal, Myanmar, Vietnam, Cameroun, Soudan, Zimbabwe). En France méridionale, elle a parfois été cultivée à ce titre jusqu’au XVIIe siècle, puis a été abandonnée.

Alain Bonjean, 140e article
Orcine, le 14 juillet 2023

Mots-clefs : corette potagère, Corchurus olitorius,Malvacée, herbacée annuelle, Afrique, Eurasie, potagère, médicinale, textile, fibres

1 – Le français admet aussi l’orthographe « corète ». Définition de corette | Dictionnaire français (lalanguefrancaise.com)

2Comparative genomics of two jute species and insight into fibre biogenesis | Nature Plants ; Corchorus olitorius (PROTA) — PlantUse Français (plantnet-project.org) ;

3 – S. Benor et al. (2011). Genetic diversity and relationships in Corchurus olitorius (Malvaceae s.l.) inferred from molecular and morphological data. Genetic Resources and Crop evolution, DOI: 10.1007/s10722-011-9748-8 ; A.Kundu et al. (2013). Origins of white (Corchorus capsularis L.) and dark (C. olitorius L.) jute: a reevaluation based on nuclear and chloroplast microsatellites. J. Plant Biochem. Biotechnol. 22, 4, 372-381.

4 – L.J. Lin, Y.Y. Hsuao, C.G. Kuo (2009). Discovering indigenous treasures : Promising indigenous vegetables from around the world. AVRDC 09-720, Taiwan, 104-107.

5 – L. Fondio & G.J. H. Grubben (2004). Corchorius olitorius L. In : G.J.H. Grubben & O.A. Denton (ed.). PROTA 2: Vegetables/Légumes. CD-Rom. PROTA, Wageningen, Pays-Bas.

6 – L. Fondio & G.J. H. Grubben (2004). Corchorius olitorius L. In : G.J.H. Grubben & O.A. Denton (ed.). PROTA 2: Vegetables/Légumes. CD-Rom. PROTA, Wageningen, Pays-Bas.

7 – A. Giro (2016). DOUBLE ROLE OF CORCHORUS OLITORIUS (L.) CULTIVATED IN FLOATING SYSTEM: New leafy vegetable for “ready to eat” industry or active food for developing country. Università degli studi di Milano, Italy, PhD Thesis, 74 p.

8 – M. Ngomuo et al. (2022). The genetic diversity of leaf vegetable mallosw (Corchorus spp.): A review. Indian Journal of Agricultural Research 5, 15, 405-412.

9 – N. Kumari et al. (2018). Health-promoting properties of Corchurus leaves: A review. Journal of Herbal Medicine 15, https://doi.org/10.1016/j.hermed.2018.10.005 ; G. Oboh, H. Raddatz, T. Henle (2009). Characterization of the antioxidant properties of hydrophilic and lipophilic extracts of jute. Int. J. Food Sci. Nutr. 60, sup. 2, 124-134; H. M. Al. Yousef et al. (2017). Comparative study on the chemical composition of Corchorus olitorius L. leaf and stem dry oils. Biomedichal Research 28, 10, 4581-4587 ; A.M. Vergiat (1970). Plantes magiques et médicinales des féticheurs de l’Oubangui (fin). Journal d’agriculture tropicale et d e botanique appliquée 17, 7-9, 295-339.

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