Origines, curieuse biologie florale et diffusion de l’arachide.

Plants d’arachide cultivés sur lœss, district de Yulin, Shaanxi, Chine, septembre 2007 ©Alain Bonjean ; gousses d’arachide fermées et ouvertes avec graines non-décortiquées et décortiquées ©IvarLeidus

L’arachide (Arachis hypogæa L., 1753)1, ou cacahouète, cacahuète, pois de terre, pistache de terre est une Fabacée (légumineuse) papilionacée comme la luzerne, le pois ou le soja. Cette espèce est originaire du bassin amazonien où sont localisées toutes les espèces du genre Arachis, parmi lesquelles seule A. hypogaea a été domestiquée et durablement cultivée. Le genre Arachis2 comprend 81 espèces subdivisées en 9 sections taxonomiques (Arachis, Caulorrhizae, Erectoides, Extranervosae, Heteranthae, Procumbentes, Rhizomatosae, Trierectoides, and Triseminatae).

Relations évolutives et distribution des espèces d’Arachis, montrant l’hybridation hypothétique produisant le tétraploïde A. monticola et l’évolution ultérieure de l’arachide en deux sous-espèces et quatre (plus tard six) écotypes. Les flèches pointillées A–D montrent que les variétés originales d’A. hypogaea ont été déplacées et domestiquées indépendamment pour former le type. hypogée en Bolivie; le type péruvien (var. hirsuta) à Ancon, Pérou; le type Valencia (fastigiata) au Paraguay-central le Brésil et le type espagnol (vulgaris) dans la région de Guarani (Paraguay–Argentine–Brésil). ©Zhuang et al., 2019


C’est une plante allotétraploïde (génome de 2,5556 Mbp, 2n = 4x = 40)3 issue d’un événement récent d’hybridation entre deux espèces sauvages diploïdes que l’on pense être A. duranensis (génome AA) et A. ipaensis (génome BB), suivi d’un doublement spontané des chromosomes. L’analyse génétique suggère que l’hybridation a donné naissance à A. monticola, une forme sauvage d’arachide qui se trouve dans quelques sites restreints du nord-ouest de l’Argentine et dans le sud-est de la Bolivie, où les variétés d’arachides les plus sauvages sont cultivées de nos jours. Selon les archéologues, la domestication de l’espèce avait débuté voici environ 8500 ans au Pérou4 et aurait été initiée à une période antérieure5 imprécise dans les bassins fluviaux du Paraná et du Paraguay dans le Gran Chaco. La culture de l’arachide était bien établie en Mésoamérique avant l’arrivée des Espagnols.
La variabilité génétique existant dans le compartiment cultivé est faible. Toutefois, on distingue deux sous-espèces et trois groupes variétaux principaux correspondant aux types Virginia, Valencia et Spanish. Il existe des cultivars de bouche – avec moins de 45% d’huile et des cultivars oléo-protéagineux – environ 46-58% d’huile pour 22-32% de protéines.

Classification et principales caractéristiques d’Arachis hypogaea6
L’arachide est une plante herbacée7 essentiellement annuelle assez polymorphe. Le système racinaire est puissant et sans poil absorbant : l’absorption de l’eau et des sels minéraux se fait principalement par le parenchyme cortical des radicelles. Il est formé d’un pivot qui peut s’enfoncer entre 30 et 80 cm dans le sol et de racines latérales naissant au niveau de ce pivot. Il s’avère complété par des racines adventives qui apparaissent sur les ramifications aériennes au contact du sol. Des nodules bactériens fixateurs d’azote apparaissent sur les racines une quinzaine de jour après la levée.
Certaines variétés ont un port érigé, buissonnant et d’autres présentent un port rampant ; selon les conditions du milieu et les origines génétiques, la tige principale, verte finement velue, et ses ramifications primaires atteignent 20 à 90 cm. Les feuilles à pétiole de 4-9 cm de long sont porteuses de 2 stipules de 2-3 cm engainant la tige, pennées et comportent 4 folioles de formes ovales, opposés par paires, ou rarement 1- 5 folioles. Elles présentent la particularité de présenter une position diurne, dressée, largement ouverte, et une position nocturne tournée vers le sol, avec les folioles se rapprochant deux à deux.


Fleurs aériennes d’arachide ©MarianneGolas-EscapadeNature ; détails d’ovaires et de gynophores après fécondation ©AlainBusser


La biologie florale de l’arachide8 est singulière car elle possède des fleurs aériennes, des fleurs souterraines et produit tous ses fruits sous la terre (géocarpie9).
L‘inflorescence se présente sous forme d’épis de 3-5 fleurs et la floraison dure 15 à 20 jours. Les fleurs aériennes sont jaunes papilionacées, sessiles et autogames ; l’androcée est constitué de 8 étamines dont 4 ont une anthère sphérique et 4 une anthère allongée à déhiscence ; le gynécée possède un ovaire à un seul carpelle, un style fin très long et des stigmates plumeux. Les fleurs souterraines sont cléistogames et existent chez tous les types d’arachide : elles sont fréquentes chez les variétés précoces (90% des plantes) et bien plus rares chez les tardives (3-4% des plantes).

Plant d’arachide à port rampant avec des fruits à différents stades de maturité ©BarryTillman-Univ.de.Floride ; coques et graines décortiquées d’arachides de bouche cuites fraîches à la vapeur, Yunnan, Chine, 2012 ©AlainBonjean

Après fécondation des fleurs aériennes, les fleurs se fanent. La base de chaque ovaire s’allonge pour former un long pédoncule, appelé gynophore, qui s’enfonce dans le sol où se forme un fruit composé d’une gousse ovoïde ou cylindrique de 1-8 cm de long et 0,5-2 cm de large, appelée coque, contenant 1-5 graines de 0,2 à 2 g entourées d’un tégument séminal blanc, rose, rouge ou violacé. Les gousses10 sont regroupées à la base du pied pour les types à port érigé et le long des rameaux pour les variétés rampantes.

Avant la venue de Colomb en Amérique, les archéologues signalent durant la période 2500-1500 cal av. J.C.11 la culture dans les Caraïbes de l’arachide ainsi que celle du maïs, de la patate douce, du haricot et de quelques autres plantes domestiquées précédemment en Amérique latine. Plus tard, l’arachide a été introduite en Mésoamérique depuis au moins le Ier siècle av. J.-C.. L’introduction de l’arachide en Amérique du Nord ne semble par contre pas précolombienne et aurait eu lieu tardivement, peut-être en provenance de l’Afrique.
En effet, à compter du XVIe siècle, outre des envois vers l’Europe, la diffusion de l’arachide a principalement eu lieu à partir d’Amérique du Sud en zone intertropicale dans deux directions : en direction de l’Extrême-Orient sur l’axe espagnol Pérou-Philippines et vers l’Afrique sur l’axe portugais Brésil-côte ouest africaine-Asie. L’espèce a ensuite progressivement couvert la totalité des zones intertropicales à partir des deux centres de diversification secondaire constitués par l’Afrique de l’Ouest et le Sud-Est asiatique.


Culture d’arachide au Sénégal, 2017 ©KhadimMbaye-CD-LaTribune ; stockage et mise en sacs d’arachide ©BusinessNewsAfrica


C’est toutefois vers la fin du XIXe siècle que sous la convergence de diverses influences l’arachide (colonialisme européen, fin de la guerre de Sécession, etc.) est devenu un oléagineux d’importance planétairepour l’extraction d’huile et sa transformation en savon, puis en beurre de cacahuète. Cette espèce déborde désormais très largement son aire d’origine et est cultivée sur 25 millions d’hectares dans le monde, principalement entre les latitudes 40°N et 40°S avec une production annuelle de l’ordre de 46 millions de tonnes12.

D’après le botaniste et agronome Auguste Chevalier13, « l’arachide fut une des premières plantes d’Amérique connue en Europe. Les Portugais la cultivèrent, dit-on, dès le XVI e siècle, aux environs de Lisbonne ». Ils réussirent à installer sa culture au sud en Algarve et sur les sables côtiers du Bas-Alentejo. Toujours d’après la même référence14, l’arachide aurait été cultivée pour la première fois dans un Jardin royal de France (Toulouse ?) en 1712, probablement à partir de semences venant d’Espagne. L’expérience aurait ensuite été répétée par le botaniste G. Nissole à partir de semences d’origine grecque et suivie de fructification à Montpellier vers 1715, puis avant la Révolution au jardin royal des Plantes de Paris. Depuis le XVI e siècle, on a encore tenté de nombreuses fois d’acclimater l’espèce dans le Midi de la France15 sans succès d’importance. Un ouvrage de Madame de Flesselles publié en 1829, cité par C. Boyer en 1934, signale la culture d‘arachide dans le Périgord16 indiquant « iI existe en ce pays (le Périgord) un fruit nommé Arachide dont la graine est de la grosseur d’une noisette ; cette graine fournit une huile aussi délicate que celle de l’olive, plus profitable et plus susceptible de bonification. L’amande de l’Arachide est exquise, crue, rôtie, en potage; apprêtée de toutes les manières, elle est toujours saine. Le marc d’Arachide mêlé avec parties égales de froment donne un pain savoureux; mêlé à parties égales de cacao, il fait un chocolat délicieux que quelques personnes préfèrent au chocolat pur; la graine coupée avec le café fait une très bonne boisson; l’Arachide sert encore à faire le savon; ses feuilles sont un aliment pour les bestiaux, et les gousses donnent une cendre excellente pour la lessive ».

Malgré ce panégyrique, l’édition de 1882 du célèbre livre « Les plantes potagères » de Vilmorin-Andrieux résume en page 10, sans recommander le moindre cultivar, ce qu’en pensaient alors nos illustres prédécesseurs : « L’arachide se sème au printemps en lignes ou en poquets, comme les haricots, dès que les gelées ne sont plus à craindre ; elle vient de préférence dans les terres saines très légères et très ameublies ; c’est une plante tropicale qui peut vivre et quelquefois mûrir ses fruits sous notre climat, mais qui ne peut pas y être cultivée avec profit ».

Une opinion peut-être à reconsidérer dans l’Hexagone avec des types très précoces dans le contexte calorifère du changement climatique que nous vivons…

Alain Bonjean, 158e article
Orcines, le 10 janvier 2024


Mots-clefs : Arachis hypogae, arachide, Fabacée, Amérique du Sud, zone intertropicale, origines, diffusion, oléagineux, tétraploïdie, biologie florale, gynophore, géocarpie,

1 – Albanais : kikiriku ; allemand : Erdnuss ; anglais/américain : earthnut, goober, groundnut, monkey nut, peanut pindar; biélorusse : apaxic ; catalan : cacahuet ; espagnol : mani ; indonésien : kacang ; malgache : voanjo katra ; mandarin : 花生 ; norvégien : peanøtt ; portugais : amendoim ; québécois : pinotte ; quichua : inchie ; russe : арахис ; turc : fistik ; vietnamien : đậu phụng ; yiddish : פיסטאַשקע; swahili : karanga).

2 – A. Krapovickas et al. (2016). Taxonomy of the genus Arachis (Leguminoeae). IBONE 16 (supl.), 1-205.

3 – G. Kochert et al. (1996). RFLP and cytogenetic evidence on the origin and evolution of allotetraploid domesticated peanut, Arachis hypogaea (Leguminosae). American Journal of Botany 83, 10, 1282-1291; G. Seijo et al. (2007). Genomics relation ships between the cultivated peanut (Arachis hypogaea) and its close relatives revealed by double GISH. Am. J. Bot. 94, 12, 1963-1971; M. Grabiele et al. (2012). Genetic and geographic origin of domesticated peanut as evidence by 5SrDNA and chloroplast DNA Sequences. Plant Systematics and Evolution 198,6, DOI: 10.1007/s00606-042-0627-3 ; The Peanut Genome – PeanutBase ; D. Bertioli et al. (2016). The genome sequences of Arachis duranensis and Arachis ipaensis, the diploid ancestors of cultivated peanut. Nat. Genet. 48, 438–446. https://doi.org/10.1038/ng.3517; D. Foncéka (2010). Elargissement de la base génétique de l’arachide cultivée (Arachis hypogæa) : Applications pour la construction de populations, l’identification de QTL et l’amélioration de l’espèce cultivée. Thèse de docteur en Sciences de Montpellier SupAgro, 162 p.

4 – T.D. Dillegay (2007). Earliest-known evidence of peanut, cotton and squash farming found. Eurekalert.org du 29 juin 2007; R.O. Hammons, D. Herman and H.T. Stalker (2016). Origin and early history of the peanut. In: Peanuts: Genetics, Processing and utilization. AOCS, 1-26; Peanuts, cotton, squash first farmed in Peru 6,000-10,000 years ago (archive.ph)

5 – R.O. Hammons (1994). The origin and history of the groundnut. In: J. M. Smart (ed.). The groundnut crop: A scientific basis for improvement. Chapman & Hall, 24-42; W. Zhuang et al. (2019). The genome of cultivated peanut provides insight into legume karyotypes; polyploid evolution and crop dop domestication. Nature Genetics 81, 865-876.

6 – R. Schilling (2001). Arachide: données agronomiques de base sur la culture arachidière. OCL 8, 3, 230-236.close relatives revealed by double GISH. American Journal of Botany 94,12, 1663-1671; M.C. Moretzsohn et al. (2013). A study of the relationships of cultivated peanut (Arachis hypogaea) and its most closely related wild species using intron sequences and microsatellite markers. Annals of Botany 11, 1, 113-126.

7 – A. Chevalier (1936). Monographie de l’arachide. Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, 19, 181, 182, 673-837 ; A. Bockelée-Morvan (1992). Arachide. In : Manuel des corps gras. I. Karleskind, ed. Paris, Lavoisier, 180-186 ; FICHE TECHNIQUE DE L’ARACHIDE – Terre de culture (terre-de-culture.com) ; Arachis hypogaea L. | Plants of the World Online | Kew Science; Monographie de l’Arachide (Suite) – Persée (persee.fr)

8 – B.W. Smith(1951). Fleurs aériennes et Fruits souterrains de l’Arachide cultivée. Revue internationale de botanique appliquée et d’agriculture tropicale, 31, 345-346 ; Description d’arachide – Agronomie

9 – Quoique rare, la géocarpie existe chez diverses familles botaniques. Par exemples chez certaines Aroïdées d’Afrique occidentale, les Stylochiton spp., aussi chez une Commélinée adventice du Sénégal, C. forselaei, chez un trèfle annuel d’Europe de l’ouest, Trifolium subterraneum, etc.

10 – La proportion graines/pois de la gousse varie de 68 à 80% selon les variétés.

11 – S. M. Pitzpatrick (2015). The pre-Columbian Caribbean: Colonization, population, dispersal and island adaptatioons. PaleoAmerica 1, 4, 305, 331.

12http://www.fao.org/faostat/en/#home

13 – A. Chevalier (1934). Monographie de l’arachide (suite). Journal d’Agriculture Traditionnelle et de Botanique Appliquee 158, 833-864.

14 – Idem 13.

15 – E.-H. Guitard (1934). Histoire de l’arachide : Emile André, in Journal de pharmacie et de Chimie, 1932. Revue d’Histoire de la Pharmacie 88, 417-418.

16 – C. Boyer (1934). L’arachide (Arachis hypogæa Linné) en France. Bull. de la Soc. de Bot. de France 81, 1, 97.

2 Replies to “Origines, curieuse biologie florale et diffusion de l’arachide.”

  1. Cher Alain, merci , je serai un  peu moins bête lors du prochain apéro où je ne manquerai pas de relater les origines des cacahuètes servis  A bientôt

    J’aime

  2. Très intéressant votre étude, merci. Mais peux-je ajouter que en catalan il faut écrire « cacauet », mot d’origine mexicaine, du nauatl, et aussi le plus répandu en Espagne sous la forme « cacahuete ». « Mani » ce n’est pas très connu en Espagne (mais aujourd’hui il y a en Espagne beaucoup de migrants de l’Amérique); « mani » c’est surtout le nom de l’Amérique espagnole du Sud, originé dans un autre langue différente du nauatl mexicain.

    J’aime

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer