Réconcilions-nous avec le topinambour.

Légume fréquemment décrié par nos grands-parents qui avaient dû en consommer trop souvent et sans aucun accompagnement pour ne pas succomber à la famine durant l’occupation nazie de la Seconde guerre mondiale1, aujourd’hui réhabilité par de grands chefs pour sa saveur voisine de celle de l’artichaut, le topinambour (Helianthus2 tuberosus L., 1753), aussi appelé artichaut de Jérusalem, cartofle, patate de Virginie, poire de terre, truffe du Canada, soleil vivace et de bien d’autres façons encore3 (allemand : Edbirne, Knollen-Sonnenblume, Knollige-Sonnenblume, Topinambur ; anglais : Jerusalem artichoke, sunchoke, sunflower artichoke ; catalan : nyàmera, patata de canya ; espagnol : pataca; hollandais : ardpeer, topinambour ; huron : orsqueinta ; italien : girasole del Canada, rapa tedesca, tartufo blanco, tartufo di canna, topinambur ; mandarin : 菊芋 ju yu, norvégien : jordskokk ; portugais : tupinambo, batata tupinamba ; russe : топинамбур – topinambur ; vietnamien : cuc vu, qu doi, quyf doji) est une Astéracée comme son cousin le tournesol. Par suite d’une confusion de dates du naturaliste Carl von Linné (1707-1778)4, le mot « topinambour »5 provient de la francisation du nom d’une population du Brésil, appelée les « Toüoupinambaoults »6 par le voyageur français Jean de Léry (1534-1613). Son nom anglais, Jerusalem artichoke, provient d’une autre confusion : un introducteur anglais, probablement inspiré par la religion, a pris un de ses noms italiens donné à Rome lors de son introduction au début du XVIIe siècle, girasole articcio, pour « artichaut de Jérusalem7 » !

Topinambours du jardin de mon père en floraison – Montjuzet, Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme, août 2015 ; détail d’un capitule ©AlainBonjean

Le topinambour est une géophyte vivace herbacée des biomes tempérés. Hexaploïde (2n = 6x = 102), il résulterait probablement selon le grand botaniste américain Charles B. Heiser Jr. de l’hybridation spontanée entre une espèce diploïde, G. giganteus ou H. grosseratus et une espèce tétraploïde, H. hirsutus, toutes ces espèces étant natives de l’est de l’Amérique du Nord8. Indéniablement plus résistant au gel (-15°C) et à la sécheresse que la pomme de terre, le topinambour présente des rhizomes et tubercules comestibles rondouillards un peu bosselés, beiges, rouges ou violets, à la chair tendre. Il porte des tiges dressées, vigoureuses, couvertes de poils rudes de 1 à 3 m de haut et ramifiant dans la partie supérieure Ses feuilles vertes de 8-15 cm sont simples, alternes, ovales, faiblement et irrégulièrement dentées, pointues, poilues, un peu rugueuses. La floraison en corymbe pauciflore est tardive, de fin août à octobre. Elle comprend 3-15 petits capitules radiés de 4-8 cm, longuement pédonculés jaunes de fleurs tubulées entourées de 10-20 fleurs ligulées de 2-4 cm de long qui apparaissent au bout des tiges. Lorsque les semences arrivent à maturité avant l’hiver, les fruits sont des akènes de 4-6 mm de long, à aigrette réduite à 4 écailles aristées. Les cours d’eau et les inondations sont le vecteur principal de dispersion des tubercules9, tandis que les graines sont dispersées par de petits rongeurs10.

Jeunes pousses de topinambours et récolte 2018 de mon jardin, Orcines, Puy-de-Dôme ©AlainBonjean


Akènes ©PlantUse


Aire de distribution du topinambour, native en vert et issue d’introductions en violet ©RKewGarden
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Cultivé pour comme légume pour ses tubercules et aussi comme fourrage dans toute l’Amérique du Nord dont il est natif avant l’arrivée des Européens, le topinambour fut remarqué par le navigateur français Samuel de Champlain (1580-1635) dans l’actuel Canada. Il le cite en 1603 dans son livre « Des sauvages » : « Il s’y trouve (au Canada) en quantité… certaines petites racines de la grosseur d’une petite noix ressemblant au goust aux truffes, qui sont très bonnes rôties & bouillies »12. Il indique dans ses écrits ultérieurs que les Premières Nations le considéraient comme un symbole de paix et l’offraient rituellement lors de cérémonies13.

Il fut diffusé en France entre 1605 et 1607 par Samuel de Champlain et son compagnon Marc Lescarbot (1570-1641). Bien accepté à sa réception du fait de sa culture facile et de sa productivité, de sa rusticité et de sa productivité même dans les terres pauvres, son développement fut freiné dès le XVIIIe siècle14 par celui de la pomme de terre, plus calorique et moins « venteuse »15, promue par Antoine Parmentier (1737-1813). Par suite, hors les périodes de disette, il fut cantonné à l’alimentation animale : ses tiges et son feuillage sont très appréciés des lapins de clapiers, ses tubercules cuits des moutons, des porcs et des bovins. Les tubercules de topinambour peuvent aussi être utilisés pour produire de l’alcool et des fructanes. On en aurait cultivé16 80 000 ha en France en 1900, 130 000 ha en 1929, 156 000 ha en 1939, 107 000 ha en 1964, 82 000 ha en 1966, 8 600 ha en 1978…

Depuis, je n’ai pas trouvé de statistiques plus récentes mais le topinambour connait en ce début du XXIe siècle un regain d’intérêt chez certains consommateurs, notamment en bio, dans le cadre de l’engouement actuel pour les légumes anciens au point que des grossistes en importent … de Chine. Toutefois, la faible conservation de ses tubercules frais ne facilite pas la distribution en supermarchés.

Récemment, sa culture pour l’alimentation animale est devenue très restreinte et l’espèce devient de plus en plus une plante ornementale, en dépit de quelques tentatives entre 1945 et 1970 sans grand succès pour en faire une culture énergétique17productrice de bioéthanol.

Au niveau mondial, le topinambour est cultivé dans les deux hémisphères sans avoir acquis une place prépondérante parmi les cultures de notre époque. C’est une espèce de plein soleil et l’ombre entrave sa croissance. Le topinambour pousse dans des endroits où les précipitations annuelles varient de 310 mm à 2820 mm et où les températures annuelles se situent entre 6,3 °C et 26,6 °C. Il se porte bien dans la plupart des sols dont le pH varie de 4,5 à 8 et peut tolérer la salinité. Cependant, il préfère les sols meubles, limoneux et bien drainés. Les feuilles et les tiges sont sensibles au gel, mais les tubercules survivent et la plante peut facilement repousser après l’hiver. Par ailleurs, le topinambour est une culture facile nécessitant peu d’engrais – un excès d’azote limite même la production des tubercules et pas de pesticide.

Indice glycémique de quelques légumes – source : http://www.laurentberta.com18

Pomme de terre cuite au fourPomme de terre pelée bouillieBetterave rouge cuitePatate douce cuite au fourTopinambour
9578646150


La texture de la chair des tubercules de topinambour ressemble plus ou moins à celle des pommes de terre jeunes, avec un goût légèrement plus sucré. Ces tubercules peuvent être consommés crus (en fines tranches, râpés, salades, etc.) ou cuits (à la vapeur d’eau, bouillis, sautés, à l’étouffée, au for, etc.), ou utilisés comme indiqué précédemment en aliments pour le bétail. Comme substances de réserve, ils contiennent de l’inuline, une macromolécule glucidique qui n’est pas digestible par les enzyme  de l’intestin et est considérée comme une fibre alimentaire soluble. L’inuline atteint donc intacte le côlon, où elle est métabolisée par le microbiote intestinal avec libération de quantités importantes de gaz carbonique, d’hydrogène et de méthane (ce qui peut générer des flatulences) : elle est ainsi considérée comme un prébiotique, en ce sens qu’elle stimule le développement des bactéries  du microbiote intestinal19. La digestion ne transformant pas, ou très peu, l’inuline en monosaccharides contrairement à l’amidon, elle peut être consommée en sécurité par les diabétiques20.

Ce légume est moins calorique que la pomme de terre – 31 kcal/100g contre 85 kcal/100 g pour cette dernière, et possède un pouvoir de satiété élevé, ce qui en fait un allié minceur. Le topinambour est aussi riche en fer, en vitamines du groupe B et en fibres (7 à 8%), ce qui stimule la digestion, et apporte un import minéral intéressant, avec un rapport sodium/potassium très bas facilitant l’élimination de toxines.

N’y a-t-il pas là suffisamment d’arguments pour nous réconcilier enfin avec le topinambour ?!

Alain Bonjean, 145e article
Orcines, le 1er septembre 2023

Mots clefs : Topinambour, Helianthus tuberosus, Astéracée, hexaploïde, Amérique du Nord, légume, fourrage, géophyte, vivace, fourrage, légume, légume ancien, plante énergétique, plante ornementale, inuline

1 – Le topinambour, tout comme le rutabaga n’était alors pas réquisitionné par l’Allemagne contrairement à la pomme de terre.

2Helianthus dérive du grec ancien « helios » pour soleil et « anthios » pour fleur.

3Helianthus (Rolland, Flore populaire) — PlantUse Français (plantnet-project.org)

4Pourquoi le « topinambour  s’appelle t-il ainsi? | «Potagers d’antan (potagersdantan.com)

5 – Après 1789, le nom topinambour fut brièvement attribué au 13ème jour du mois de brumaire du calendrier républicain (3 novembre du calendrier grégorien).

6 – J. de Léry (1578, publié à titre posthume). Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, autrement dite Amérique. Ed. A. Chuppin, La Rochelle. Notice bibliographique Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil : autrement dite Amérique… ([Reprod.]) par Jean de Léry,… | BnF Catalogue général – Bibliothèque nationale de France

7Helianthus tuberosus — PlantUse Français (plantnet-project.org)

8 – C. B. Heiser Jr. (1976). Helianthus. In: Evolution of crop plants, ed. N.N. Simmonds, Longman, London and New York, 51-53.

9 – R. Filep et al. (2018). Helianthus tuberosus L. Agg. in the Carpathian basin: a blessing or a curse? Genetic Resources and Crop Evolution 65, 865-879.

10 – E. Mori et al. (2017) . The porcupine as “Little Thumbling”: The role of Hystrix cristata in the spread of Helianthus tuberosus. Biologia, 1211-1216.

11Helianthus tuberosus L. | Plants of the World Online | Kew Science

12 – S. de Champlain (1603). Des sauvages, ou Voyage de Samuel de Champlain de Brouage, fait en la France nouvelle. Chez Claude de Monstr’oeil, tenant sa boutique en la Cour du Palais, au nom de Jésus, 37 p. First Annual Exhibition, April 20th to 28th 1909, Dominion Hall, Vancouver, B.C [microform] (archive.org)

13Helianthus tuberosus — PlantUse Français (plantnet-project.org) ;

14 – A titre d’exemple, la première mention de culture du topinambour en région Auvergne provient de l’Allier dans le « Calendrier du cultivateur bourbonnais » de 1834 – A. Paillet (1996). Archéologie de l’agriculture du Bourbonnais. Ed. Créer, 360 p.

15 – Les flatulences seraient limitées si l’on ajoute des feuilles de sauge à l’eau de cuisson des tubercules de tpoinambour.

16 – J. Pousset (2010). Culture biologique du topinambour. ANP, AGRECO, GRAB, Biodoc N°22, 7 p.

17 – B. Sawicka et al. (2019). Jerusalem artichoke (Helianthus tuberosus L.) as energy raw material. Proceedings of the 9th Int. Conf. Rural Development. View of JERUSALEM ARTICHOKE (HELIANTHUS TUBEROSUS L.) AS ENERGY RAW MATERIAL (vdu.lt)

18Index glycémiques : tableau des IG de plus de 400 aliments courants (laurentberta.com)

19 – D. Bosscher, J. Van Loo et A. Franck (2006). Inulin and oligofructose as prebiotics in the prevention of intestinal infections and diseases. Nutrition Research Reviews, 19,‎ 216–226 ; Y. Bouhnik et al. (2007). Prolonged administration of low-dose inulin stimulates the growth of bifidobacteria in humans. Nutrition Research 27, 4,‎ 2007, 187-193

20 – H. Fahrenkrug (2008). Le grand retour du topinambour. Tabula 1, 16-19 ; (Microsoft Word – topinambouragri-r\351seau.doc) (agrireseau.net)

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