Des Physalis comestibles à leurs usages médicinaux.


Une récente plongée dans mon herbier m’a ramené au 2 juillet 1973 dans la vieille vigne familiale de Montjuzet, sur les marnes de cette butte du nord de Clermont-Ferrand où je commençais d’herboriser. Je venais d’avoir 18 ans une dizaine jours auparavant et j’y récoltais un pied de coqueret alkékenge (Physalis alkekengi L. 1753). Je ne me doutais pas alors que mes futurs voyages professionnels me feraient découvrir d’autres coquerets alimentaires et médicinaux en Amériques, puis en Chine où ils sont très appréciés. Le genre Physalis (du grec phusalis, vessie, en raison de la forme de son calice) appartient à la famille des Solanacées et comprend une centaine d’espèces annuelle et pérennes des régions tropicales, subtropicales et tempérées du monde1. La plupart proviennent de la zone intertropicale des Amériques et le Mexique renferme la plus grande diversité du genre avec plus de 70 espèces2, dont de nombreuses endémiques. Seulement une poignée d’entre elles sont originaires d’Eurasie et d’Asie du Sud-Est. Plusieurs espèces de ce genre possèdent un grand potentiel en tant qu’aliments hautement fonctionnels et sources secondaires précieuses de métabolites pour la phytopharmacie et la médecine3.


Carte des aires d’origines respectives des 4 Physalis alimentaires ©MChauvet, 2018

En matière alimentaire, une plongée dans l’excellente « Encyclopédie des plantes alimentaires »4 de Michel Chauvet nous fournit des renseignements sur les 4 espèces alimentaires majeures :
– Le coqueret alkékenge5 (Physalis alkekengi L. 1753) précité, dit aussi amour en cage, cerise de juif, cerise d’hiver, lampion, lanterne chinoise (allemand : Blasenkirche, Judenkirshe ; anglais : winter sherry ; espagnol : alqueqPhysalis enje; hollandais : lampion plant ; italien : alchechengi ; mandarin : 酸浆 ; portugais : alquequenje).


Plantes cultivées ©idealo ; fleur ©TelaBotanica-MMenand ; baie « en cage » ©TelaBotanica-LRoubaudi


C’est une espèce vivace6 diploïde (2n = 24) de 20-60 cm, à racines traçantes. La tige est fréquemment légèrement velue, anguleuse, non ramifiée. Les feuilles pétiolées, géminées, nervées, ovales acuminées, sont entières ou grossièrement dentées. La floraison démarre en début d’été et va jusqu’en octobre. Les fleurs solitaires de 1-2 cm apparaissent à l’aisselle des feuilles supérieures sur des pédoncules axillaires aussi longs qu’elles et ont une corole à 5 lobes blanc crème. En fin de floraison, le calice  se referme sur l’ovaire et forme un volume parcheminé veiné en forme de lampion de 5 cm de diamètre de couleurs vives allant de l’orange au rouge emprisonnant le fruit. La pollinisation est entomogame. À maturité du fruit, il devient très fin et translucide et renferme une baie à 2 loges, en forme cerise rouge vif, d’où la comparaison fréquente avec une lanterne qui en fait aussi une plante ornementale, puis il s’ouvre. Il existe deux variétés dont le centre d’origine précis reste inconnu à ce jour : Physalis alkekengi var. alkekengi, la plus courante, présente en Eurasie de l’Europe du Sud à l’Asie centrale, et Physalis alkekengi var. franchetii, originaire du Japon aux feuilles plus larges, à petites fleurs et baies plus grosses.

Avant maturité, les baies contiennent de légères quantités d’alcaloïdes et peuvent causer de modestes troubles intestinaux. Mûres, elles sont comestibles, juteuses, sans goût notable. Elles sont riches en caroténoïdes et en vitamines, notamment leur teneur en vitamine C est le double de celle du citron. La collecte et la consommation de baies sauvages sont avérées en Europe depuis le Néolithique7, leur culture a été pratiquée dans le sud de l’Allemagne à l’époque celtique8. Cet usage se perpétue à partir de nos potagers surtout sous formes de compotes, confitures ou gelées. En Italie, les baies sont quelquefois conservées dans du vinaigre comme les cornichons ou les câpres, consommées en gelées ou entourées de chocolat fin.

– Le coqueret du Pérou (Physalis peruviana L., 1763), encore appelé capuli, ou poc-poc à la Réunion (allemand : Ananaskirsche, Kap-Stachelbeere; anglais : Cape gooseberry, Peruvian berry aux USA, poha à Hawaï, goldenberry en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, jam fruit en Inde); aymara : topotopo ; espagnol : aguaymanto, capuli, pasa capuli au Pérou, uvilla ; hollandais : goudbes, Kaapse kruisbes ; quechua : uchuva ; mandarin : 灯笼果 gu nia).


Plante entière ©Etsy; détail de la fleur ©MaltaWildPlants ; fruit et baie ©ILeisus-CC BY-SA 4

Native du nord-ouest de l’Amérique du Sud et domestiquée dans les hautes terres du Pérou et du Chili avant la formation de l’empire inca9, la plante est pérenne en climat chaud ou annuelle en zone tempérée. Elle est tétraploïde (2n = 4x = 48) et à croissance indéterminée, pouvant atteindre 40-100 cm de haut avec des tiges érigées fortement branchues – en culture, elle est généralement taillée et tuteurée. Les feuilles pétiolées sont grandes, ovales pointues, à bord entier ou peu denté. Les fleurs sont jaune-pâle avec des taches pourpres à noire à la gorge. La baie est ronde (1 à 1,5 cm de diamètre), jaune dorée entièrement enveloppé dans le calice parcheminé beige grisâtres à maturité.

Elle ne doit pas être consommée verte car elle contient alors de la solanine. A maturité, cette dernière a disparu et sa saveur est juteuse, douce et agréable tout en étant légèrement acide,. Riche en phosphore, antioxydants, flavonoïdes, caroténoïdes et vitamines B, C, E et phytostérols, celle est fréquemment consommée fraiche, nature, ou en confiture si on y ajoute de la pectine qu’elle ne contient pas.

– Le petit coqueret (Physalis grisea (Waterf.) M. Martinez, 1983), également dénommé tomate fraise (allemand : Erdkirsche, Erdbeertomate; anglais : dwarf Cape goosberry, strawberry tomato, downy ground cherry aux Etats-Unis ; hollandais : ananaskers).

Plante entière ©Impecta; détail de la fleur ©Amazon ; fruit et baie ©Impecta

Originaire de l’est des Etats-Unis, cette plante annuelle10 tétraploïde (2n = 4x = 48) est appelée en américain « cerise en terre duveteuse » pour les poils mous abondants, entrecoupés de glandes, qui couvrent ses feuilles, sa tige ramifiée et son calice gonflé, donnant à la plante entière un aspect plâtré gris, d’où le nom de l’espèce, « grisea ». Les feuilles dentées ont des nervures en filet. La fleur est assez semblable à celle du coqueret du Pérou, mais jaune un peu plus pâle. baie, entièrement enveloppée par le calice parcheminé, est de couleur jaune, rouille ou verte.

Si les Amérindiens la récoltaient lorsqu’elle tombait à maturité à même le sol pour la consommer, il ne semble pas qu’ils aient cultivé cette espèce avant l’arrivée des Européens. Assez aromatique, elle est aujourd’hui cultivée et consommée crue ou cuite.

– Le tomatillo (Physalis philadelphica Lam., 1786), (allemand : Tomatillo, Mexikanische Blasenkirsche ; anglais : husk tomato, jamberry ; espagnol : miltomate tomate, tomate de cascara, tomate verde, tomatillo au Mexique ; mandarin : 毛酸浆).


Plante entière ©BioLekar; détail de la fleur ©Conabio ; fruit et baie ©BGardener


Originaire du Mexique, du Guatemala jusqu’au Nouveau Mexique et au Texas et probablement domestiquée au Mexique, cette espèce annuelle diploïde (2n = 24) mesure 15-60 cm de haut et est à peu près glabre. Ses fleurs assez grands sont d’un jaune brillant avec des taches brunes à la gorge. La baie atteint 1-5 cm selon les variétés et remplit le calice accrescent au point de le déchirer dans les formes à grosses baies.

Traditionnellement, ces dernières à la chair collante ne sont pas consommées crues mais cuites en sauce pour accompagner les plats de viande et les tacos. Il en existe une forme légèrement pimentée, la salsa verde qui accompagne désormais la restauration « Tex-Mex » au niveau international en grande distribution.


Propriétés chimiques des baies de Physalis comestibles – source : Mehdi Miri and Shamsolsoara, 2023


Teneurs en minéraux (mg/100g PF), vitamine A (UI) et autres vitamines (mg/100 g PF) des baies de Physalis comestibles – source : Mehdi Miri and Shamsolsoara, 2023
Aux niveaux pharmacologiques et thérapeutiques, les baies de ces espèces comestibles contiennent des molécules de grand intérêt comme des physalines, des withanolides, des phytostérols, des caroténoïdes, des vitamines et des minéraux. On les nomme « karanj » en médecine traditionnelle iranienne11. ces espèces de Physalis sont utilisées pour traiter l’hypertension, les troubles rhumatismaux, le paludisme, l’asthme, l’hépatite, les problèmes hépatiques et rénaux, les états fiévreux, des tumeurs et des troubles mentaux ainsi que l’anxiété.
Plusieurs études conduites dans différents extraits développés à partir de ces plantes ont en effet révélé des propriétés remarquables anti-inflammatoires, antioxydantes et cytotoxiques, diurétiques, antidiabétiques, antibactériennes, ainsi que des possibilités de traitement d’ulcères gastriques et de l’asthme et de limitation de la fertilité. Deux grands groupes de molécules semblent à l’origine de ces actions : les alcaloïdes tropaniques, principalement la tropine et la tigloidine, et les physalines qui sont des composés stéroïdiens12. Les alcaloïdes tropaniques ont une activité anti-muscarinique; ils bloquent l’activité neuro-transmettrice de l’acétylcholine en se liant aux récepteurs muscariniques du système nerveux parasympathique. Ces composés sont notamment utiles dans le traitement des spasmes gastro-intestinaux et musculaires et de la maladie de Parkinson. L’intérêt pour les physalines provient de leur activité antitumorale ainsi que de leurs atouts antibactériens, antiseptiques et abortifs.

Phylogénie des Solanées et place des Physalis – source :Lopez-Gomollon, 2023


Ce double attrait à la fois nutritionnel et médicinal des Physalis a conduit depuis quelques années diverses équipes dispersées de scientifiques à évaluer et sélectionner les Physalis13 sous différents angles.

Parmi eux, des chercheurs américains ont créé le « Physalis improvement projet»14 qui est une diversification de leurs recherches antérieures sur la tomate15 visant à étudier le contrôle génétique de la croissance des plantes, de la taille des fruits et de l’architecture des inflorescences. Ayant choisi P. peruviana et P. grisea comme plantes modèles, ils ont utilisé une approche de génétique inverse utilisant CRISPR/Cas pour éliminer l’expression de certains gènes suivie d’une évaluation des phénotypes résultants. Ils espèrent ainsi approfondir la domestication de ces espèces sous-utilisées afin de les rendre viables pour la production agricole étatsunienne – démarche innovante disruptive, particulièrement bienvenue en ce siècle où trop souvent les investissements én amélioration génétique sont focalisés les 10 espèces actuellement les plus cultivées de par la planète.

Alain Bonjean, 146e article
Orcines, 12 septembre 2023

Mots-clefs : Physalis spp., Solanées, Eurasie, Amériques, plantes alimentaires, légumes, plantes médicinales, nouvelles méthodes de sélection

1 – M.T. Beest et al. (1999). A taxonomic analysis of Physalis species based on morphological characters. In: Sivadasan, M., Mathew, P. (Ed.). Biodiversity, Taxonomy and Conservation of Flowering Plants. Mentor Books: India. 85-97 ; Sh. Feng et al. (2020). Complete chloroplast genomes of four Physalis species (Solanaceae): lights into genome structure, comparative analysis, and phylogenetic relationships. BMC Plant Biology. 20, 42.

2 M. Whitson and PS. Manos (2005). Untangling Physalis (Solanaceae) from the Physaloids: a two-gene phylogeny of the Physalinae. Systematic Botany. 30, 216–230

3 – S. Mehdi Miri and N. Shamsolsoara (2023). Physalis spp.: Botany, cultivation, phytochemical composition and therapeutic activities. Int. Conf. on Biology of Medicinal Plants, University of Qom, 7 p.; N. Mazova et al. (2020). Phytochemical composition and biological activity of Physalis spp.: A mini-review. Food Science and Applied Biotechnology. 3, 1, 56-70 ; F. Mirzace et al. (2019). Therapeutic activities and phytochemistry of Physalis species based on traditional and modern medicine. Research Journal of Pharmacognosy. 6, 4, 79-96 ; E. Shenstone et al. (2020). review of nutritional properties and health benefits of Physalis species. Plant Foods for Human Nutrition. 75, 316-325.

4 – M. Chauvet (2018). Encyclopédie des plantes alimentaires. Paris, ed. Belin, 698-700.

5 – Le terme « alkékenge », apparu en français au XIVe siècle dérive de l’arabe al-karanj, par l’ancien français « alquequange » ou » alcacange ».

6Physalis alkekengi – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Physalis alkekengi Winter Cherry, Strawberry groundcherry,Ground Cherry, Chinese Lantern PFAF Plant Database

7LE NEOLITHIQUE DES LACS (wikiwix.com)

8Physalis | Tous les fruits (tous-les-fruits.com)

9 – N.C. Rodriguez and M.L. Biuno (2006). Estudio de la diversidad citogenética de Physalis peruviana L. (Solanaceae). Acta Biologica Colombiana. Bogotá, 11, 2, 75-85.

10Physalis grisea (downy ground-cherry): Go Botany (nativeplanttrust.org)

11 – F. Mirzace et al. (2019). Therapeutic activities and phytochemistry of Physalis species based on traditional and modern medicine. Research Journal of Pharmacognosy. 6, 4, 79-96.

12 – Ibid 3.

13SciELO – Brazil – Origin, evolution and strategies for the genetic improvement of physalis Origin, evolution and strategies for the genetic improvement of physalis ; A.D.S.Junior et al. (2022). Reproductive biology and hybridization of Physalis L. species. Braz. J. Bot 45, 1037–1045. https://doi.org/10.1007/s40415-022-00811-6 ; J.L. Chavez-Gomez et al. (2020). Screening of different Physalis genotypes as potential rootstocks or parents against vascular wilt using physiological markers. Front Plant Sci. 11, https://doi.org/10.3389/fpls.2020.00806 ; J. Lu et al. (2021). The Physalis floridana genome provides insigths into the biochemical and morphological evolution of Physalis fruits. Horticulture Research 8, 244, https://doi.org/10.1038/s41438-021-00705-w ; S. Lopez-Gomollon (2023). Physalis: A new model crop to understand plant diversity. The Plant Cell 35, 1, 338-339. https://doi.org/10.1093/plcell/koac315 ; N. Trevisani et al. (2018). Mutation induction as a strategy to overcome the restricted genetic base in Physalis. Revista Brasileira de Fruticultura. https://doi.org/10.1093/plcell/koac315 ; Visor Redalyc – Fertility recovery of anther-derived haploid plants in Cape gooseberry (Physalis peruviana L.)

14 – J. van Eck (2022). The Physalis improvement project: blending research with community science. EMBO reports 23:e53918, https://doi.org/10.15252/embr.202153918 ; The Physalis Improvement Project: Ripening the Potential of an Underutilized Fruit – YouTube ; Groundcherries: a New Treat – Boyce Thompson Institute (btiscience.org) ; Changes_in_Reproductive_Traits_in_Physalis_philade.pdf ;

15 – C. Xu et al. (2015). A cascade of arabinosyltransferases controls shoot meristem size in tomato. Nat Genet47, 784–792.

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