Le laurier de Saint-Antoine aux multiples vertus

Le laurier de Saint-Antoine (Epilobium1 angustifolium L., 1753), ou antoinette, asperge des bois, aspergette, épilobe à feuilles étroites, épilobe en épi, fausse lysimaque, herbe aux serpents, osier fleuri, osier de Saint-Antoine, plante à feu, plemenste-la-grande, thé de Kapporie, thé de Russie, thé des Polonais, thé d’Ivan (allemand : Schmalblattriges, Weidenroschen, Staudenfeuerkraut, Wald-Weidenroschen ; anglais américain: fireweed ; anglais : great willowherbrosebay willowherb, French willow ; catalan : cameneri ; hollandais : knikkend wilgeroosje ; italien : erba di Sant’Antonio, garofanino maggiore ; mandarin : 柳兰 liu lan, 原亚种 yuan ya zhong ; slovaque : kyprina úzkolistá), est une plante sauvage commune de mes montagnes d’Auvergne, où elle égaye tout l’été le paysage de colonies denses aux floraisons rose violacé. C’est une Onagracée, famille qui comprend 22 genres et environ 640 espèces dont une vingtaine d’épilobes sans compter les hybrides qui s’y rattachent. Son observation par le botaniste allemand Christian Konrad Sprengel (1750-1816) lui permit d’émettre en 1793 la théorie de la pollinisation des plantes par les insectes, ou entomogamie2, qui ne fut reconnue qu’après sa mort et que reprit Charles Darwin (1809-1882) au XIXe.

Station de laurier de Saint-Antoine en bordure de forêt, chaîne des Dômes, Puy-de-Dôme, juillet 2020 ©AlainBonjean

Cette espèce herbacée vivace3 à souche rampante comprenant de longs rhizomes branchus et des stolons flexibles émet des tiges rigides de 0,5 à 2,0 m de hauteur, vertes à rougeâtres, aux feuilles caduques alternes, éparses, longues de 3-20 cm. Ces feuilles ont une particularité qui les rend faciles à identifier : leurs nervures sont circulaires et forment des boucles qui se rejoignent sur leurs bordures.
L’espèce comprend divers niveaux de ploïdie selon les populations rencontrées dans lesquelles certains botanistes voient deux sous espèces : E. angustifolium ssp. angustifoium, diploïde (2 n = 2 x = 36) et E. angustifolium ssp. circumvagum Mosquin, tétraploïde (2n = 4x = 72) ou hexaploïde (2n = 6x = 108)4. Le laurier de Saint-Antoine fleurit de juin à septembre développant de grandes grappes dressées qui fleurissent de bas en haut. Les fleurs sont grandes (15-20 mm), nombreuses à 4 pétales obovales un peu inégaux, entiers, à onglet court, roses vifs, roses pourpres, violets, très rarement blancs, à longues étamines à filet blanc et à style dépassant un peu les étamines, à quatre stigmates réfléchis. Le pollen est bleu turquoise et la pollinisation entomogame attire de nombreux insectes. L’espèce est mellifère : en cas de grande densité de l’espèce, un miel quasi-monofloral réputé peut être récolté ; limpide, doux, aux reflets cendrés, il est aromatique et devient blanc en cristallisant. Le fruit est une capsule finement tomenteuse qui libère à maturité 300 à 400 graines poilues et légères (dissémination anémochore) qui ont la particularité de rester viables de nombreuses années dans le sol.

Détail des fleurs et des capsules ©AlainBonjean 

C’est une plante de lumière, voire de mi-ombre des régions tempérées et boréales d’Eurasie et d’Amérique du nord qui colonise rapidement les zones où elle a peu de concurrence5. En France, elle est assez fréquente jusqu’à 2500 m d’altitude dans les espaces forestiers ouverts et quelquefois les prairies d’altitude et les rocailles et peut se trouver jusque vers 4700 m en Chine6. Rustique et tolérante au froid, elle apprécie les sols neutres ou un peu acides, humides sans être imbibés en permanence.

Distribution native du laurier de Saint-Antoine ©RoyalKewGarden7

Massif de laurier de Saint-Antoine diffusant ses graines de manière massive, Chanyelouve, Isère, août 2018 ©FJpower


Le laurier de Saint-Antoine est à la fois un légume oublié et une plante médicinale traditionnelle de l’hémisphère nord. Il ne semble pas avoir fait partie des traditions gréco-romaines ou arabe, sans doute parce que sa présence est rare sur les rives de la Méditerranée.
En Amérique du Nord, les Peuples Premiers consommaient cette plante jeune comme légume, comme ingrédient et aussi pour le tissage de cordes servant aux filets de pêche.
En Eurasie, les jeunes pousses buttées et blanchies comme les asperges ont été consommées en entrées ou en potages jusqu’au début du XXe siècle, de même que les jeunes feuilles en salades. Durant le Moyen-Âge dans les périodes de disette ou de famine, les rhizomes étaient passés à la poêle ou bouillis, puis quelquefois réduits en poudre en substitut de farines et consommés en galettes.
En médecine traditionnelle, les peuples sibériens et eskimos avaient recours à cette espèce pour soigner leurs plaies. Les Amérindiens l’employaient fréquemment contre les maux urinaires, les problèmes masculins de miction, les troubles de digestion, la tuberculose et les douleurs de toutes sortes8. Le suc de la plante était employé en Auvergne et dans d’autres régions d’Europe par les rebouteux pour traiter chez l’homme les irritations de la peau, et soulager les brûlures. Il contribuait aussi à soigner les mammites des vaches et petites plaies chez les animaux d’élevage. Aujourd’hui encore, dans certaines régions du Massif central telles les Combrailles, les feuilles récoltées avant la floraison, puis séchées étaient et sont encore employées en tisanes, voire en décoctions. Elles sont connues pour être astringentes, cicatrisantes, calmantes, émollientes, hémostatiques, sédatives, pectorales et vulnéraires9 et traiter les « problèmes des hommes », tel ceux liés au grossissement de la prostate, les affections des reins et de la vessie.


Propriétés pharmacologiques du laurier de Saint-Antoine ©Dreger et al, 2020

Depuis les XXe et XXe siècles plusieurs travaux10 de pharmacologie et même de cosmétiques ont montré que le laurier de Saint-Antoine contenait plus de 250 métabolites dont une abondance de composés poly-phénoliques, notamment des tannins ellagiques hydrolysables, du mucilage, de la pectine, et des flavonoïdes qui expliquent les principales propriétés précédemment décrites. Il renferme aussi des acides triterpéniques, des vitamines A et C sous forme d’acide ascorbique, du magnésium et diverses substances aromatiques comme l’eugénol, le pinène, le géraniol et le linalol.

C’est réellement une plante aux multiples vertus ! Et, vous pouvez aussi la valoriser comme plante ornementale !


Alain Bonjean, 149e article
Orcines, le 12 octobre 2023


Mots-clefs : Laurier de Saint-Antoine, Onagracée, plante vivace, espèce de lumière, espèce colonisatrice, plante mellifère, plante alimentaire, plante médicinale


1 – Le genre Epilobium tire son nom du grec « epi », sur, et « lobion », petite cosse car les sépales et les pétales de ces plantes se situent au sommet d’un ovaire infère qui ressemble à une petite gousse.

2 – C.K. Sprengel (1793). Das endeckte Geheimnis im Bau und in der Befruchtung der Blumen. Berlin, Bei. F. Vieweg dem aesltern, 416 p.

3Epilobium angustifolium – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Epilobium angustifolium L., Épilobe à feuilles étroites (Flore mondiale) – Pl@ntNet identify (plantnet.org)

4 – T. Mosquin (1966). Evidence for autoploidy in Epilobium angustifolium (Onagraceae). Evolution 21, 4, 713-719.

5 – Il est à noter qu’elle a été quelques fois introduite dans l’hémisphère sud (Australie, Argentine, Colombie, etc.) comme plante ornementale.

6Chamerion angustifolium subsp. angustifolium in Flora of China @ efloras.org

7Epilobium angustifolium L. | Plants of the World Online | Kew Science

8EPILOBE en EPI | MONOGRAPHIES | BIENFAITS des PLANTES MEDICINALES (medicaunaplanta.com)

9 – R Sõukand et al. (2020). Inventing a herbal tradition: The complex roots of the current popularity of Epilobium angustifolium in Eastern Europe. Journal of Ethnopharmacology 247, 112254, https://doi.org/10.1016/j.jep.2019.112254 ; https://www.ema.europa.eu/en/medicines/herbal/epilobii-herba ; Epilobe (Epilobium) aux vertus phytothérapiques et culinaires (lemonde.fr)

10 – M. Dreger et al. (2020). Pharmacological properties of fireweed (Epilobium angustifolium L.) and bioavailability of ellagitannins – A review. Herba Polonica 66, 1, doi :10.2478/hepo-2020-0001 ; A. Novak et al. (2021). Epilobium angustifolium L. extracts as valuable ingredients in cosmetic and dermatological products. Molecules 26, 11:3456, doi: 10.3390/molecules26113456

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