Le figuier, un arbre à la sexualité complexe

Espèce fruitière des plus anciennes citée dans la Bible et le Coran, le figuier (Ficus carica1 l., 1753), rarement encore appelé arbre à cariques, figuier de Carie, figuier d’Europe (allemand : Feigenbaum ; anglais : common fig-tree, edible fig, fig ; arabe : تين tīn ; catalan : figa, figuera ; espagnol : higuera ; italien : fico comune ; grec : Συκή η καρική, Συκιά ; hollandais : feigenbaum, gewone vijg, vijgeboom ; portugais : figo, figueira) nous offre du printemps à l’automne des pseudo-fruits juteux et sucrés à haute valeur nutritive, les figues, qui, fraîches ou séchées, enchantent nos palais – ce sont des sycones, inflorescences repliées sur elles-mêmes, à la façon d’une mûre retournée sur son réceptacle, qui renferment les fleurs unisexuées, puis les graines lorsqu’elles sont fécondées, ce qui est loin d’être toujours le cas. Cet arbre appartient à la famille des Moracées qui comprend une quarantaine de genres et environ 1400 espèces dont les mûriers, l’arbre à pain et l’oranger des Osages. C’est le seul représentant européen du genre Ficus2 qui regroupe selon les botanistes entre 600 et 1 000 espèces provenant en grande majorité des régions tropicales du globe. Arbre mythique des cultures du Bassin méditerranéen et du Proche- et Moyen-Orient avec le grenadier, l’olivier, le palmier-dattier et la vigne, il ne cesse de nous surprendre par la spécificité de sa reproduction.


Arbre fruitier âgé en hiver ©JardinBotaniquedeBarcelone ; jeune plant, Ledouaire, Lorraine ©http://monarbrelorraine.blogspot.com/
Cet arbre au feuillage caduc3 (2n = 2x = 26, génome d’environ 356 Mbp) développe une racine pivotante, même si ses autres racines principales sont horizontales, s’étendent proches de la surface du sol. Haut de 2-5 m, voire 10 m de hauteur pour certaines variétés, il possède un, voire plusieurs troncs à l’écorce grise, souvent tortueux et très ramifiés, lui donnant un port buissonnant à très étalé. Très odorant, il possède un latex blanc abondant et irritant. Les feuilles pétiolées, épaisses et alternes sont rugueuses, finement velues, assez grandes (10- 25 cm), palmatilobées en cœur à 3-7 lobes obtus ondulés, plus ou moins dentés.


Différents types de feuilles de figuier ©kenlieporters.blogspot.com ; différentes variétés de figues françaises ©deavita

Le figuier possède un système de gynodioécie4 mais est fonctionnellement dioïque et présente une reproduction complexe5 incluant deux types d’arbres,dont la distinction entre les formes sauvages et cultivées n’est pas toujours évidente,qui vivent en triple symbiose exclusive avec une minuscule guêpe :
– Le figuier mâle ou caprifiguier, dit aussi figuier sauvage, produit 3 types de figues : Les mamme (mamma au singulier) ou figues non retardées apparaissent à l’automne à la base des rameaux axillaires ; elles ne renferment que des fleurs brévistyles et mûrissent au printemps. Les profichi (profico au singulier) ou figues retardées à fleurs mâles et fleurs femelles brévistyles croissent en hiver à l’extrémité des branches et maturent à la fin du printemps ou durant l’été. Les mammoni (mammone au singulier) se développent sur les rameaux de l’année et mûrissent à l’automne. Dans les zones tempérées les plus fraîches (le figuier peut résister au gel hivernal de -15°C à -18°C), on observe souvent deux générations et non trois.
Les figues du caprifiguier sauvage ne sont généralement pas comestibles. Toutefois, certains caprifiguiers cultivés dans les zones fraîches des côtes françaises de l’Atlantique et de la Manche en l’absence du blastophage (il n’y survit pas l’hiver) produisent des profichi parthénocarpiques comestibles, tel le cultivar figuier du Croisic.


Aire de répartition du caprifiguier ©Zohary et Hopf, 19936 ; plant de caprifiguier sauvage sur calcaires de l’Hérault ©Kjellberg & Lesne, 2020

– Le figuier femelle ou domestique porte trois autres types de figues essentiellement à fleurs femelles longistyles : Les fiori di fico ou fioroni, figues-fleurs, parthénocarpiques (auto-fertiles, sans pollinisation) se forment en hiver et maturent en juin. Les fichi veri ou foriti ou figues vraies se développent en fin de printemps et murissent en fin d’été, avec ou sans pollinisation (caprification) par la guêpe précitée. Les cimaruoli se forment en fin d’été ou en automne sur la partie haute des rameaux de l’année et arrivent à maturité très tardivement, parfois au printemps suivant. A noter que certains cultivars dits unifères ne produisent que des figues vraies tandis que les cultivars dits bifères portent les deux types de figues ; par ailleurs, là où il n’existe pas de caprifiguier sauvage ou subspontané, il est nécessaire d’en cultiver et d’y introduire le blastophage pour obtenir des figues sur certains figuiers femelles (groupes Smyrna et Sans Pedro).


Aire de répartition du figuier cultivé : en vert natif, en violet introduit ©RoyalKewGarden7

La guêpe spécifique ou blastophage (Blastophaga psenes) réalise 3 cycles de reproduction dans l’année liés aux 3 types de figues du caprifiguier. Ce phénomène est bien décrit par l’ethnobotaniste Michel Chauvet : « Les larves de la guêpe se développent dans les ovaires des fleurs brévistyles transformés en galles. Les mâles éclosent les premiers et vont immédiatement féconder les femelles dans leurs pupes sans sortir de la figue, où ils meurent. Les guêpes femelles éclosent alors, sortent de la figue en se chargeant du pollen des fleurs mâles groupées près de l’ostiole8 et partent à la recherche d’une autre figue pour y pondre. Elles pénètrent dans cette nouvelle figue par l’ostiole en perdant leurs ailes. Si cette figue contient des fleurs brévistyles, elles peuvent en atteindre les ovaires avec leur ovipositeur, et y pondent leurs œufs. Si la figue contient des fleurs longistyles, elles n’arrivent pas à y pondre mais contribuent à polliniser les fleurs. Dans les deux cas, elles meurent sans ressortir de la figue »9, et la plante les digère. Eros et Thanatos !

Blastophages à proximité de l’ostiole d’une figue ©CorreioBraziliense ; détail de l’insecte ©Pinterest

Parfois, la pollinisation n’est pas nécessaire, la stimulation due à la présence de la guêpe induisant le développement parthénocarpique de la figue – d’ailleurs, dans certaines régions méditerranéennes, on fait traditionnellement grossir les figues en perçant l’ostiole avec une paille ou un pinceau trempé d’huile d’olive.

Le figuier pourrait dériver de la forme rupestris de F. palmata10 qui se serait répandu à partir du Moyen-Orient et de l’ouest de l’Himalaya jusque dans la zone méditerranéenne avant la domestication du figuier cultivé, même si cela reste à confirmer par de nouveaux travaux. Neuf figues carbonisées, peut-être parthénocarpiques, et 313 graines de figuier ont été découvertes dans le village néolithique de Gilgal I dans la basse vallée du Jourdain, au nord de Jéricho, daté autour de 11 300 avant aujourd’hui donnant à penser que le figuier serait un des arbres domestiqués les plus anciens11. Une autre trouvaille très ancienne, datée entre 10 250 et 9550 avant aujourd’hui a été faite récemment dans un tumulus à Çayönü en Turquie12. Diverses informations archéologiques complémentaires indiquent que le figuier était couramment cultivé en Mésopotamie et en Egypte ancienne à partir de 4000 av. J.-C.13 Selon N.I. Vavilov14, toutes les étapes de la domestication du figuier étaient encore visibles avant la Seconde guerre mondiale dans le sud du Caucase de l’état sauvage aux plantes domestiquées. Plusieurs raisons ont probablement contribué au succès du figuier au Néolithique : la figue fraiche était excellente ; tout en restant très nutritive, elle était facile à sécher, transporter et échanger ; cet arbre se bouturait facilement avant même l’invention de la greffe.
D’autres15 considèrent que la région est de la Méditerranée est le berceau des variétés actuelles de figuier et que sa culture a ensuite été étendue à l’ensemble des pays bordant cette mer ou même qu’elle y aurait été domestiquée plusieurs fois. La présence de figues dans la partie occidentale des rives de la Méditerranée est ainsi attestée depuis le Néolithique moyen en Sicile à la grotte d’Urzo et à l’Âge de Bronze en Italie du nord à Vallegio16. Du IXe au IIe siècles av. J.-C., les Carthaginois ont ensuite répandu le figuier en Afrique du nord entre le niveau de la mer et 1200 m d’altitude, altitude que ne peut atteindre l’olivier.

Il reste que chez cette espèce, les seuls caractères pouvant être liés clairement à la domestication sont la présence de figues d’automne parthénocarpiques, l’augmentation du pourcentage de figues-fleurs, ainsi que les modifications de la taille, des saveurs et des couleurs des figues.

Récolte de figues, Beni Hasan, Egypte pharaonique c. 1 900 av. J.-C. ©Singer et al, 195417

Bien plus tard, le figuier a été diffusé en Angleterre au XVe siècle18, puis des missionnaires espagnols19 ont introduit le figuier dès le milieu du XVIe siècle dans le Nouveau monde. (Antilles en 1520, Pérou en 1526, São Paulo en 1532, Mexique en 1560). En 1525, il était cultivé en Chine, puis aux Etats-Unis en 166920. Aujourd’hui, il est cultivé sur les cinq continents habités.


Plantations de figuiers dans la vallée du Méandre en Turquie ; plantations dans une zone rocheuse en Syrie ©Kjellberg & Lesne, 2020

PaysSurfaces (ha)Production (t)Rendement (t/ha)
Turquie53 964320 0006.0
Egypte27 797201 2127.2
Maroc62 131144 2462.3
Algérie39 026116 1433.0
Iran15 217107 7917.1
Italie2 06012 1805.9
Autres80 597363 3714.5
Totaux280 597872 4143.1
Surfaces, production mondiale et rendement de figues par pays ©FAO 2020


Il reste beaucoup à dire sur ce bel arbre tant au niveau de ses autres usages traditionnels que de son symbolisme. Ceci méritera un autre article.


Alain Bonjean, 150e article
Orcines, le 23 octobre 2023

Mots-clefs : Figuier, Ficus carica, Moracée, arbre caduc, gynodioécie, arbre fonctionnellement dioïque, arbre fruitier, figue, sycone, symbiose, blastophage, Blastophaga psenes, reproduction, économie


1 – L’adjectif carica, signifiant natif de Carie, a été donné à l’espèce parce que l’on supposait que le figuier provenait de l’ancienne province d’Asie mineure.

2 – E.J.H. Corner (1958). An introduction to the distribution of Ficus. Reinwardtia 4, 3, 311-469; J.Y. Rasplus et al. (2018). Revisiting the phylogeny of Ficus (Moraceae): When next generation sequencing corroborates past generation botanists. bioRxiv, https://doi.org/10.1101/340463

3Ficus carica – synthese – eFlore – Tela Botanica (tela-botanica.org) ; Quel type de système racinaire possède un figuier ? – Fiche pratique sur Lavise.fr ; Ficus_carica – Ensembl Genomes 57 ;

4 – Espèce hermaphrodite avec certains plants uniquement de sexe femelle.

5 – P. Rivals (1978). La triple symbiose caprifiguier-blastophage-figuier et le problème des origines du Ficus carica L. Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée 25, 4, 287-290 ; jardin figuier.pdf (capitoudelesterel.com) ; Figuier bifère ou unifère : quelles sont les différences ? (promessedefleurs.com) ; figuier SNHF-JardinsdeFrance-633-annexes-2.pdf ; (99+) Un réseau trophique complexe : le cas du figuier | Bertrand Schatz – Academia.edu ; F. Kjellberg, A. Lesne (2020). Ficus carica et sa pollinisation. Master, France, hal-02516842.

6 – D. Zohary and M. Hopf (1993). Domestication of plants in the Old World. Clarendon Press, 278 p.

7Ficus carica L. | Plants of the World Online | Kew Science

8 – L’ostiole est une petite ouverture arrondie située à l’extrémité des figues qui est nécessaire à leur pollinisation.

9 – M. Chauvet (2018). Encyclopédie des plantes alimentaires. Ed. Belin, 466.

10 – M. Afer et al. (2005). Etude préliminaire des origines de Ficus carica L. et de sa domestication. Les Actes du BRG 5, 53-65.

11 – G.M. E. Kislev et al. (2006). Early domesticated fig in the Jordan valley. Science 312, 5778, 1372-1374.

12 – O. Çalışkan and Z. Dalkılıç (2022). Ancient history and cultural heritage of Ficus Carica in Turkey. In: Z. Dalkılıç, ed. Ficus carica: production, cultivation and uses. Nova Science Publishers, Inc., 3-24.

13 – B.E. van Wyck (2005). Food Plants of the World. an illustrated guide. Portland, Timber Press, 480p.

14 – N.I. Vavilov (1951). The Origin, Variation, Immunity and Breeding of Cultivated Plants. New York: The Ronald press Company, 368 p.

15 – R. El-Rayes (1995). The fig tree dans la région méditerranéenne et en Syrie. Cahiers Options Méditerranéennes 13, 79-83 ; Domestication et diversification variétale chez le figuier au Maroc : Bases pour la conservation et la valorisation des ressources génétiques locales (imist.ma) ;

16 – D. Zohary and M. Hopf (2004). Domestication of plants in the Old World. The origin and spread of cultivated plants in West Asia, Europe and the Nile Valley. New York: Oxford University Press, 316 p.

17 – C. Singer et al. (1954). A history of technology, vol. I. Fall of ancient empires. Oxford Univ. press, London, 938 p.

18 – J.H. Dickson, C. Dickson (1996). Ancient and modern occurrences of common fig (Ficus carica L.) in the British isles. Quaternary Sciences Reviews 15, 5-6, 623-633.

19 – M.C. Gallego et al. (1996) . Estudio espacio-temporal del consume de higos.Ciencia y Tecnologia Alimentaria; 1:43-48. https://doi.org/10.1080 /1135812960948756 ; F.M. Pereira (1981). Cultura da figueira. Piracicaba, Livrocres, 173 p. ;

20 – H. Bellatar (2019). Caractérisation morphologique et moléculaire de quelques variétés de figuier (Ficus carica L.). Université des Frères Mentouri Constantine 1, Algérie. Thèse de doctorat en Science, 175 p.

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