Rencontre avec un arbre ancestral de l’hémisphère nord, Tetracentron sinense

Une récente mission dans le petit et pentu royaume himalayen du Bhoutan coincé entre la Chine au nord et l’Inde au sud et recouvert de plus de 70% de forêts m’a permis d’observer dans son aire de distribution actuelle Tetracentron sinense, Oliver 18891 (anglais/ américain : spur-leaf ; mandarin : , shui sing shu), un arbre fossile vivant de plus de 56 millions d’années (transition Paléocène/Eocène du Tertiaire), période où cette espèce et d’autres du même genre étaient largement distribuées en Amérique du nord, Europe et nord-est de l’Asie2. Réfugié lors des glaciations de la fin du Tertiaire et du Quaternaire dans l’est de l’Himalaya, c’est aujourd’hui une endémique d’Asie de l’Est.


Tetracentron sinense dans son habitat naturel, parc royal botanique de Lampelri Precint entre Thimphu et Punakha, Bhoutan, octobre 2023 : jeune exemplaire au premier plan et arbre adulte juste derrière AlainBonjean

Cet arbre à feuilles caduques, 2n = 483 pour un génome de 1,17 Gb4, est l’unique espèce résiduelle du genre Tetracentron5 de la famille des Tétracentracées en classification classique (ou Trochodendracées en classification AGP III). C’est un arbre de pentes humides et de ripisylves en bordures de forêts toujours vertes à feuilles caduques ou mixtes de conifères et de caducs entre 1100 et 3500 m. Il est présent en zone tempérée au Bhoutan, dans l’est du Népal, le nord-est de l’Inde, le nord du Myanmar, le nord du Vietnam et en Chine (sud du Gansu, Guizhou, sud-ouest du Henan, ouest du Hubei, nord-ouest et sud-ouest du Hunan, sud du Shaanxi, Sichuan, sud et sud-est du Tibet, Yunnan). Sa présence est également supposée dans le massif du Yuecheng Ling au nord du Guangxi et au Sikkim. C’est une des premières eudicotes6 branchues connues. Cette espèce est maintenant assez rare du fait de coupes importantes, notamment en Chine, en Inde et au Vietnam, car son bois est dur et résistant à l’humidité. Elle est aussi peu compétitive7 par rapport aux autres espèces forestières de notre époque et dispose d’une faible capacité à se régénérer, peut-être accentuée par le changement climatique. Par suite, elle a été inscrite dans l’Appendix III de la CITES (Convention of International Trade of Endangered Species).


Ecorce, Bhoutan, octobre 2023


Tetracentron sinense atteint en moyenne 30-40 m de haut avec un tronc de 1,0-1,5 m de diamètre à la base ; toutefois à l’état sauvage, profondément enraciné, il pourrait grimper quelquefois à 60-90 m selon le Missouri Botanical Garden et serait tolérant au froid jusqu’à
-18°C. Son bois présente la particularité de posséder en sus de vaisseaux conducteurs de sève des trachéides8 qui servent à la conduction de l’eau et dissolvent les minéraux. Ce caractère, initialement considéré comme archaïque, est vu aujourd’hui comme une adaptation secondaire9.
Les feuilles sont alternes, ovales-elliptiques, de 7 à 16 cm de long pour 4 à 12 cm de large. Elles apparaissent au printemps avec des teintes rouges, puis virent à un vert profond en été et au rouge à l’automne.
La floraison10 a lieu d’avril à juillet. Les inflorescences sont des chatons de 6-15 cm à 80-125 fleurs. Ces dernières sont jaunâtres, bisexuées, apétales et à ovaire semi-infère. Elles portent 4 étamines alternes à 4 carpelles (caractéristique morphologique du genre à l’origine de sa dénomination). Leur pollinisation est considérée comme entomophile.
La fructification intervient de juillet à octobre. Le fruit brun est profondément divisé en quatre follicules de 2,5-5,0 mm. Les graines (4-6 par follicule ; 2-3 mm de diamètre, brièvement ailées à chaque extrémité) n’ont pas de dormance.

Feuilles et fleurs ; jeunes graines ©CCBY-SA3.0-DPrévôt


Ce bel arbre de sols pauvres et humides tolère l’ensoleillement comme la demi-ombre et a été introduit pour la première fois en Occident par le botaniste E. H. (“Chinese”) Wilson en Angleterre en 1901.
Il s’avère assez délicat à multiplier tout en étant apprécié au par niveau ornemental pour les variations de couleurs de son feuillage au fil des saisons, rougeâtre au printemps, puis vert en été et rouge à l’automne..

Alain Bonjean, 151e article

New Delhi, le 23 octobre 2023

Mots-clefs : Tetracentron sinense, Tétracentracées, forêt, fossile vivant du Tertiaire, espèce endémique d’Asie de l’Est, zone tempérée, trachéide, arbre caduc, arbre ornemental.

1 – Cet arbre a été décrit pour la première fois par le botaniste anglais Daniel Oliver (1830-1916) à partir d’échantillons qui lui avaient été adressés du Hubei, en Chine, par le chasseur de plantes et sinologue irlandais Augustine Henry (1857-1930).
Flora of China a récemment classé cette espèce sous la dénomination synonyme Tetracentron sinense var. himalense H. Harai & Kunai, 1964 dans J. Jap. Bt, 39,7, 194-figs.1-2, Jul. 1964.

2 – S.R. Manchester et al. (2009). Eastern Asian endemic seed plant genera and their paleogeographic history throughout the Northen Hemisphere. Journal of Systematics and Evolution 47, 1-42 ; F. Grimsson and al. (2008). Pollen, fruits, and leaves of Tetracentron (Trochodendraceae) from the Cainozoic of Iceland and western North America and their palaeobiogeographic implications, Grana, 47, 1, 1-14, DOI: 10.1080/00173130701873081

3Flora of China. Tetracentron sinense in Flora of China @ efloras.org

4 – M. Li et al. (2021). A chromosome-level genome assembly for the tertiary relict plant Tetracentron sinense Oliv. (Trochodendracrae). Molecular Ecology Resources 21, 4, 1186-1199,  https://doi.org/10.1111/1755-0998.13334 ; J. Gao et al. (2021). Tetracentron sinense. (Trochodendracrae). Trends in Genetics, https://doi.org/10.1016/j.tig.2021.01.002

5 – A.S. Chanderbali et al. (2022). Buxus and Tetracendron genomes help resolve eudicot genome history. Nature Communications 13, 643, https://doi.org/10.1038/s41467-022-28312-w

6 – Ou eudicotylédones : vraies dicotylédones qui se distinguent de toutes les autres plantes à fleurs par la structure de leur pollen. P.-L. Liu et al. (2020). The Tetracentron genome provides insight into the early evolution of eudicots and the formation of vessel elements. Genome Biology 21, 291, https://doi.org/10.1186/s13059-020-02198-7

7 – W. Fan et al. (2022). Photosynthetic physiological characteristics of Tetracentron sinense Oliv in different DBH classes and the factors restricting regeneneration. Journal of Plant Growth Regulation 41, 1943-1952.

8 – M. Suzuki, L. Joshi, T. Fujii and S. Noshiro (1991). The anatomy of unusual tracheids in Tetracentron wood. IAWA Bulletin n.s.; 12,1, 23-33; Y. Ren et al. (2007). Discovery of vessels in Tetracentron (Trochodendraceae) and its systematic significance. Plant Systematics and Evolution 267, 155-161.

9 – J.G. Worberg et al. (2007). Phylogeny of basal eudicots: Insights from non-coding and rapidly evolving DNA. Organisms Diversity and Evolution 7, 1, 55-77; A. Burleig et al. (2009). Inferring phylogenies with incomplete data sets: a 5-gene, 567 taxon analysis of angiosperms. BMC Evolutionary Biology 9, 1, 61, doi:10.1186/1471-2148-9-61.

10 – L. Chen et al. (2007). Floral organogenesis in Tetracentron sinense (Trochodendraceae) and its systematic significance. Plant Systematics and Evolution 294, 183-193; Tetracentron sinense – Plant Finder (missouribotanicalgarden.org)

2 Replies to “Rencontre avec un arbre ancestral de l’hémisphère nord, Tetracentron sinense”

  1. J’ai vu cet arbre ds un parc botanique anglais et je l’avais trouvé majestueux.
    Mais je suis surpris de cette présence de tracheïdes en remplacement de vaisseaux. Les vaisseaux ne sont ils pas un moyen de transport plus efficace ? Qu’apporte ce retour aux tracheïdes pour le flux montant, je suis curieux d’en savoir plus ?

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